Une pancarte mouillée et un parapluie troué
19 janvier 2023. Sur les pavés de la place de la République, la belle endormie semble enfin se réveiller. « La retraite avant l’arthrite ». Au cœur de la métropole bordelaise, les pancartes cyniques sont brandies à la même hauteur que les parapluies. Dans le froid et la bruine, nombreux sont les Girondins venus défendre leur avenir. Mais ce ne sont pas les seuls à prendre l’eau. À quelques centaines de kilomètres de là, au sud de Paris, les étudiants de la résidence Crous de la Pacaterie pataugent dans des appartements verdâtres, moisis par les infiltrations. Eux n’ont pas le temps de penser à leur retraite. Ils doivent d’abord s’occuper des cafards qui baignent dans leurs bols et des punaises de lit qui leur soutirent de précieuses heures de sommeil. Le lendemain, au lieu de manifester, ils tenteront plutôt de valider courageusement leur semestre de médecine à l’Université Paris-Saclay.
À l’heure où la qualité de vie prévaut désormais sur le « tout-travail », trop de logements insalubres sont encore mis à disposition de la jeunesse. Comment cultiver un esprit lorsqu’il est pollué par un domicile hostile ? Mis en lumière par le média Reporterre, l’état déplorable de la résidence de La Pacaterie n’est pas une nouveauté en France. Bien sûr, il ne s’agit pas de faire un amalgame maladroit. Les Crous savent aussi offrir à leurs boursiers des hébergements décents. Mais à plus grande échelle, c’est l’état des centres universitaires français qui est questionné. L’enseignement supérieur public mérite d’être choyé, si nous désirons, à terme, préserver nos intellectuels. Et il serait sûrement temps d’en prendre conscience. Auquel cas, peut-être qu’un jeudi pluvieux de janvier, les étudiants viendront se joindre aux retraités, armés d’une pancarte mouillée et d’un parapluie troué.
Dans la semaine…
Lundi
À défaut de vous parler des pintes du Carnaval Café, on file en Guadeloupe s’envoyer des ti’punchs lors du carnaval antillais.
Mardi
Le Poulpe est étudiant à l’ISIC. Vous l’aurez deviné, le mardi, c’est grasse matinée. Méfiez-vous : rien faire, ça fatigue.
Mercredi
Pendant que toi tu n’assumes pas ta playlist de looser, Rock en Seine prépare déjà son été en douceur. L’histoire de ce festival iconique, c’est juste ici.
Jeudi
Non, Lebron James n’est pas qu’une expression utilisée par des prépubères qui découvrent leur sexualité. C’est aussi un formidable joueur de basket. Si t’as manqué les dernières actus NBA, c’est par là.
Vendredi
Tout est permis. Le Poulpe t’explique pourquoi papi et mamie ont lancé des cocktails molotov sur les CRS la semaine dernière. Sacrée réforme des retraites.
Samedi
Ça y est, le couple franco-allemand s’est enfin rabiboché à l’occasion du 60e anniversaire du traité de la réconciliation. On a vraiment eu Scholz au cul.
Dimanche
Une photo, un mot, une définition. Pas de doutes, c’est bien le Dico’Pop de la semaine. N’oubliez pas : regarder l’actualité avec un pas de côté, ça aide à arrondir les esprits trop carrés.
Un coup de nos 3 cœurs
Je me lance aujourd’hui dans une recommandation qui fera sûrement débat. Mais le cinéma français a besoin de prendre des risques. Et c’est ce qu’entreprend sans sourciller Romain Gavras avec cette nouvelle exclusivité Netflix. Athéna, c’est avant tout l’histoire d’Abdel, rappelé du front à la suite de la mort de son plus jeune frère, décédé des suites d’une prétendue intervention de police. Au cœur d’une cité assiégée par les forces de police, il essaiera de raisonner son autre frère, Karim, devenu centurion des temps modernes.
L’écriture maladroite du scénario et des personnages entache la qualité du long-métrage, c’est indéniable. N’est pas Vincent Cassel qui veut. Nombreux sont les films qui souffrent de la comparaison avec La Haine, le classique pondu par Mathieu Kassovitz en 1995. Pour autant, les images sont d’une qualité rare ; et la mise en scène, n’ayons pas peur des mots, est exceptionnelle. Le pari du plan-séquence est parfaitement maîtrisé, ce qui favorise, dès le début du film, l’immersion du spectateur. Pour cause, les dix premières minutes sont marquées par une scène réalisée sans coupure, qui part d’un commissariat et qui arrive deux kilomètres plus loin, à la fameuse cité « Athéna ». L’histoire, sous couvert de guerre civile, reprend tous les codes de la tragédie grecque et offre un spectacle grisant. Le tout est accentué par la partition (orchestre, cuivres, chœurs, ou électro psychédélique) qui joue la démesure opératique jusqu’à saturation, conférant aux affrontements de la banlieue la dimension d’un drame antique. Une prise de risque, je disais donc.
Contact : corentin.mads@gmail.com / @cocomaderes