Gouvernement : un 49.3, et ça repart ?

Les deux motions de censure, déposées par Les Républicains et les forces de gauche en réaction au 49.3 voulu par Édouard Philippe, ont été rejetées hier soir à l’Assemblée nationale. L’examen du volet organique de la réforme des retraites s’ouvre aujourd’hui.

 

Avec 148 voix pour, c’est la motion de droite qui est parvenue à faire le plein de votes, en obtenant la faveur de La France insoumise. Celle défendue par les trois forces de gauche (LFI, PS, PCF) n’a, en revanche pas convaincu LR, mais le Rassemblement National, avec un total de 91 voix favorables. Les deux motions de censure, brandies par les oppositions pour destituer le gouvernement d’Édouard Philippe, devaient espérer la majorité absolue, soit 289 suffrages, pour l’emporter. La République En Marche, forte de 298 députés inscrits, demeurait loin d’être inquiétée.

Pourtant, la passe constitutionnelle risque de marquer durablement le quinquennat Macron, où pour la première fois retentit l’écho calamiteux du 49.3. Le chef de l’état y avait même été très réticent lorsqu’il se trouvait ministre de l’Économie sur les bancs de l’Assemblée, et qu’un certain François Hollande avait imposé le 49.3 sur la loi Macron. Pour la réforme des retraites, Édouard Philippe a dû justifier sa décision samedi 29 février. « Le débat au Parlement sur le projet de loi instituant un système universel de retraites fait face à une stratégie d’obstruction délibérée de la part d’une minorité. Je n’ai pas le sentiment que notre démocratie puisse se payer le luxe d’un tel spectacle » a-t-il déclaré, emportant avec lui les applaudissements de la majorité, et les sifflets de la gauche.

Usage unique

Mais du côté de l’opposition, on gronde et parfois on ne comprend même pas les arguments du gouvernement. Dans des propos rapportés par Le Monde le dimanche 1er mars, Bruno Milienne, député MoDem constate : « Je voudrais rappeler que par moment on a des débats absolument fructueux et intéressants. […] Le texte a fortement évolué grâce au travail parlementaire. » Et si les députés du Palais Bourbon avaient passé cinq jours sur le tout premier article du projet de loi, le rythme s’était ensuite accéléré, avec 7 autres articles validés en 115 heures d’examens. « Il n’y avait pas d’urgence folle, on pouvait terminer les débats sur deux ou trois mois » estime Marine Le Pen, présidente du RN.

A présent que le 49.3 est passé, dans un calme relatif malgré les manifestations à Paris mardi 3 mars, le texte de loi sur un nouveau régime des retraites est donc considéré comme validé par l’Assemblée nationale, en première lecture. Pour rappel, l’article 49 alinéa 3 de la Constitution dit ceci :

« Le Premier ministre peut, après délibération du Conseil des ministres, engager la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale sur le vote d’un projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale. Dans ce cas, ce projet est considéré comme adopté, sauf si une motion de censure, déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent, est votée dans les conditions prévues à l’alinéa précédent. Le Premier ministre peut, en outre, recourir à cette procédure pour un autre projet ou une proposition de loi par session. »

En l’occurrence, le 49.3 dégainé le 29 février ne concerne ni un projet de loi de finances ni de financement de la Sécurité sociale. Ainsi, le gouvernement ne pourra pas recourir une nouvelle fois à l’article sur la session parlementaire en cours qui va jusqu’en juillet. Les prochains débats devraient donc être houleux à l’Assemblée.

Début, ou fin du débat ?

Aujourd’hui même, l’examen du projet de loi organique sur la réforme des retraites entre à l’Assemblée. Autre volet de la réforme, il vise à instituer des règles de financement du système de retraites, en fixant une règle d’or. « L’équilibre financier doit être observable sur une durée de cinq ans. » Le système pourra être en déficit sur un ou deux ans, mais devra ensuite vite revenir à l’équilibre. Aussi, le texte de cinq articles, qui devrait être voté beaucoup plus vite que son prédécesseur transmis à présent au Sénat, déterminera la valeur du fameux point de cotisation. La majorité espère un vote avant dimanche.

Mais comment débattre, si la majorité se pose en groupe disruptif du dialogue parlementaire ? Cette évidence n’est pas tout à fait exacte selon le Premier ministre. Le 49.3 a été utilisé « non pour mettre fin au débat mais pour mettre fin à cet épisode de non-débat dans un Parlement privé de sa fonction éminente de faire la loi » a déclaré Édouard Philippe. L’article constitutionnel, comme mentionné plus haut, dit pourtant l’inverse. Le projet de loi est adopté et les débats sont clos. Et le Premier ministre ne peut, d’un point de vue rhétorique, se targuer de l’inverse.

« C’est un passage en force et un déni de démocratie sans précédent sur une réforme des retraites », explique Damien Abad, rapporteur de la motion de censure des Républicains. L’exercice périlleux aura, au-delà des hurlements de l’opposition, impacté directement la majorité. Lundi 2 mars, deux députés LREM, Hubert Julien-Laferrière et Delphine Bagarry, ont annoncé qu’ils quittaient le parti présidentiel suite au recours constitutionnel. Albane Gaillot, députée du Val-de-Marne, a quant à elle voté la motion de gauche, se justifiant par un vote non contre le gouvernement mais contre le 49.3. Son cas sera discuté par la direction du parti. Depuis 2017, la majorité a ainsi perdu 15 députés. Mais grâce au soutien du groupe MoDem, fort de 46 représentants dans l’Hémicycle, la majorité peut couler une fin de quinquennat sereine.

Loi sur la pauvreté

Ou pas tout à fait. Puisque les dossiers qui attendent Emmanuel Macron et son parti en 2020 sont épineux. Avec les élections municipales tout d’abord, sujet de crispation pour LREM, qui traduira l’ancrage ou le non-ancrage territorial du parti. Avec la défection de Benjamin Griveaux à Paris et la stagnation de Thomas Cazenave à Bordeaux, les présages n’offrent rien de rassurant.

Aussi, le gouvernement s’attaquera, dans la foulée du volet retraites, à celui de la dépendance et de la pauvreté. Un sujet attendu par l’aile gauche du parti, qui doit proposer les modalités de mise en place d’un « Revenu universel d’activité » pour les plus démunis. L’opposition ne manquera sûrement pas de rappeler le coup politique de la majorité sur les retraites, lorsque celle-ci invoquera ses préoccupations sociales. La poursuite de la seconde moitié du quinquennat Macron se révèle houleuse, alors que le président l’avait axée sur la thématique de l’écoute suite à la crise des « gilets jaunes ».

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