GLYPHOSATE PAPERS : Le feuilleton qui divise l’Union Européenne

 

« Roundup, le premier désherbant biodégradable », scandait fièrement un célèbre spot publicitaire de Monsanto, diffusé en 1992 sur les écrans télévisés. Ce même spot qui a valu 15000 euros d’amende au groupe agrochimique pour « publicité mensongère » 15 ans plus tard. Cette condamnation est-elle justifiée ? La réponse reste encore suspendue à ce jour, à l’image du vote concernant le renouvellement de la licence d’utilisation du glyphosate que le comité d’experts des Etats membres de l’UE a décidé, le mercredi 25 octobre dernier, de reporter. Un épisode de plus au feuilleton des Glyphosate papers, diffusé depuis trop longtemps déjà sur UnionEuropéenne TV.

 

Deux manifestants de « Stop glyphosate » devant le Parlement européen le 25 octobre : une photo pleine de sens.

Le glyphosate, c’est le principe actif du désherbant le plus utilisé au monde : le Roundup. Le glyphosate, c’est 25% du marché mondial des herbicides. Le glyphosate, c’est aussi 8000 des 31000 tonnes d’herbicides vendus en France. Mais le glyphosate, c’est surtout un agent probablement cancérogène pour l’Homme.

En 1974, Monsanto commercialise le glyphosate sous la marque « Roundup ». Le groupe américain est alors le seul à l’exploiter, et ce pendant 25 ans. Puis le brevet tombe dans le domaine public en 2000. Résultat : le principe actif entre aujourd’hui dans la composition de près de 750 déclinaisons commercialisées pour plus de 90 fabricants dans 130 pays. C’est pourquoi l’enjeu que constitue cet herbicide est particulièrement crucial à l’approche de la date d’expiration de la licence européenne d’utilisation, soit le 15 décembre prochain.
           

Précédemment, dans Glyphosate papers …

  • Pilote : Publication du rapport du Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC), une agence de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) des Nations Unies (ONU) en mars 2015 
    => le glyphosate est non seulement mutagène, mais aussi cancérogène pour l’animal, et de ce fait probablement cancérogène pour l’Homme. Novembre 2015, conclusion inverse énoncée par l’Autorité Européenne de Sécurité des Aliments (EFSA).
    Episode 2 : Première proposition de vote concernant le renouvellement pour 15 ans de l’utilisation du glyphosate par la Commission européenne en mars 2016 – vote qui sera plusieurs fois reporté. Avril 2016, interdiction de l’utilisation du glyphosate par les particuliers et sur les espaces verts votée par le Parlement européen.
    Episode 3 : Confirmation de l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) du caractère non cancérogène du glyphosate pour l’homme en mars 2017 => Mai 2017, nouvelle proposition de renouvellement de l’utilisation du glyphosate par la Commission européenne pour 10 ans – sans aboutissement.
  • Episode 4 : Publication des « Monsanto papers» par Le monde en octobre 2017 => Monsanto accusé d’avoir rémunéré les scientifiques – censés être indépendants – à l’origine des rapports de l’EFSA et de l’ECHA.

Suite à ces révélations, les députés européens ont voté le mardi 24 octobre dernier une résolution non contraignante demandant la disparition du glyphosate des sols européens d’ici 2022. Ce simple avis émis par le Parlement européen a suffi à faire pression sur la Commission européenne, qui a décidé quelques heures plus tard de réduire sa proposition de renouvellement de la licence d’utilisation du glyphosate à 5 ou 7 ans maximum. Cependant, le comité d’experts, représentant la Commission européenne ainsi que les 28 pays membre de l’UE, n’est pas parvenu le lendemain à un consensus quant à la proposition sur laquelle se baser. Résultat : le vote au sujet de la ré homologation du glyphosate est encore une fois reporté à une date ultérieure.

En réalité, l’intrigue de cet interminable feuilleton réside dans le fait qu’il met en scène de nombreux acteurs aux intérêts divers et variés – mais pas tous nobles, hélas. En effet, on peut déceler dans cette problématique les maux de l’éternel débat à propos de la primauté de l’intérêt privé sur l’intérêt public, et vice-versa ; ou encore de la prédominance des intérêts économiques sur la santé publique et sur l’environnement ; ou bien est-ce la même chose tout compte fait ?

Mais pourquoi est-il si difficile de parvenir à un consensus ?

Partis pris des 28 Etats membres de l’UE concernant la proposition initiale de renouvellement pour 10 ans de l’utilisation du glyphosate.

La Commission européenne a décidé le 24 octobre de revoir sa proposition à la baisse afin de réunir une majorité qualifiée des représentants des 28 Etats membres, c’est-à-dire d’obtenir les votes favorables de 55% d’entre eux et représentant 65% de sa population totale de l’UE. Cependant, on constate que l’obtention de cette majorité qualifiée présente des limites lorsqu’on considère le fait que certains pays ont des poids démographiques prédominants. Prenons les exemples de la France, qui préconise un renouvellement pour 3 ans seulement et dont la population représente à elle-seule 13% de celle de l’UE, ainsi que de l’Allemagne dont l’abstention – due à une récente mosaïque gouvernementale – appuie dans le sens du report de ce vote.  

 

La question de la suspension du glyphosate est entrée dans le débat public lors de la dernière campagne présidentielle, puisqu’elle figurait dans les engagements du président à venir d’Emmanuel Macron. Cependant, des dissonances sont apparues dans le gouvernement français au sujet des Glyphosate papers, ce qui n’a pas été pas sans attirer les critiques à l’encontre du manque de communication – entre autres – au sein du nouveau gouvernement. Si la ministre des solidarités et de la santé Agnès Buzyn proclamait d’interdire au plus vite le glyphosate, l’arbitrage entre le ministre de la transition écologique et solidaire ainsi que le ministre de l’agriculture et de l’alimentation s’est en effet beaucoup fait attendre. Lorsque Nicolas Hulot demandait la ré autorisation pour 3 ans seulement, Stéphane Travert affirmait la nécessité d’un renouvellement pour 5 à 7 ans encore. Ces divergences ont raisonné comme un arrière-goût de réchauffé avec l’affaire des néonicotinoïdes datant de juin dernier.
L’opinion publique a également joué un rôle déterminant dans le vote de la résolution non contraignante des députés européens ce 24 octobre. En effet, on assiste ces derniers temps à une réelle montée en puissance des préoccupations de la société civile au sujet la santé publique. Ce phénomène s’est notamment traduit par la rédaction d’une pétition contre la ré homologation du glyphosate qui a réuni plus de 1,3 millions de signatures à l’échelle européenne.

Aujourd’hui, 2 agriculteurs sur 3 utilisent le glyphosate – ou un de ses dérivés. Cet herbicide est apparu comme un miracle dans le contexte actuel d’une agriculture productiviste car il procure un gain de temps important et revêt le caractère indéniable d’atout économique. Le 22 septembre, ils étaient 250 à manifester sur les Champs-Elysées au nom de la distorsion de concurrence avec d’autres pays producteurs. En effet, supprimer le glyphosate reviendrait à revoir entièrement les méthodes agronomiques ainsi qu’un modèle développé depuis bientôt une vingtaine d’années. Mobilisés à l’appel de la Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitations agricoles (FNSEA), les agriculteurs s’étaient alors heurtés à un Nicolas Hulot particulièrement déterminé.

 

« Moi, je ne prends aucun risque avec la santé. […] Je ne veux pas nous retrouver, dans quelques années, ni vous, ni moi, ni vos responsables devant la justice, parce que nous aurons su les choses et que nous n’aurons pas pris nos responsabilités. »
Nicolas Hulot, le 22 septembre.

Si on ajoute à tout cela la faillite de l’expertise européenne liée à la problématique récurrente des lobbies, on comprend toute la difficulté qui réside dans l’établissement d’un consensus à l’échelle européenne.

« Monsanto Papers » ou la trace indélébile de l’action des lobbies

           

Souvenez-vous de ces deux rapports respectifs de l’EFSA et de l’ECHA, soutenant que le glyphosate n’était pas un agent cancérogène pour l’Homme – contrairement à ce qu’affirmait le CIRC. Ces mêmes rapports, sur lesquels s’est basée la Commission européenne en mai dernier pour suggérer le renouvellement de la licence d’utilisation du glyphosate pour 10 ans. Le 4 octobre dernier, les « Monsanto papers » sont révélés au grand jour ; soit la preuve irréfutable que le géant américain de l’agrochimie a rémunéré des chercheurs indépendants pour un service de blanchiment d’études provenant d’employés du groupe lui-même. C’est cette véritable opération de « ghost-writing » – qualifiée de « désinformation organisée » par Le Monde – qui révèle la triste vérité : l’influence des lobbies au sein-même d’une institution internationale – prônant l’existence d’un code déontologique qui lui est propre par ailleurs – telle que la Commission européenne.

Ces documents internes rendus publics par la justice américaine révèlent comment le géant des produits phytosanitaires a demandé à 15 experts appartenant à un même cabinet de consultants de rédiger des synthèses sur l’inexistence de liens entre le glyphosate et le cancer. Le problème, c’est que ces textes ont été largement relayés dans la littérature scientifique – dont un article plus de 300 fois – ainsi que dans les médias généralistes – le magazine Forbes notamment. Cette révélation traduit donc une faillite de l’expertise européenne. En effet, celle-ci a relayé une expertise plus soucieuse de l’intérêt privé du groupe Monsanto que de la santé publique. Mais les « Monsanto papers » induisent le soulèvement d’une autre problématique : la Commission européenne ne dispose pas des moyens nécessaires pour permettre à son comité d’experts d’effectuer lui-même ces expertises. On assiste à une réelle crise institutionnelle de l’UE. 

De plus, le géant de l’agrochimie n’en est pas à son premier scandale, et traîne plusieurs procès derrière lui – notamment à propos du lymphome non hodgkinien. L’agent orange, puissant herbicide fabriqué dans les années 40, a été déversé par million de litres durant la guerre du Vietnam par les avions américains afin de détruire la végétation permettant aux combattants du Vietcong de se cacher. La dangerosité du produit – tout de même employé comme une arme chimique – était connue de Monsanto puisque les premières victimes ont été les ouvriers des usines qui le fabriquait. Cependant, lorsque les vétérans du Vietnam ont intenté une action collective contre le groupe américain suite à des formations de cancers et de maladies congénitales – entre autres -, celui-ci s’est dédouané de la même façon que 40 ans plus tard avec le glyphosate : en produisant des études biaisées car rédigées par des scientifiques rémunérés.

L’alter mondialisme comme alternative ?

A ce stade de l’article, vous êtes normalement en train de vous demander : sommes-nous embourbés dans ce fumier chimique jusqu’au cou ? Eh bien rassurez-vous, non ; ou du moins, pas de façon irréversible. Il est encore temps d’échapper à l’infection généralisée, qui touche certes les organes biologiques du citoyen lambda, mais surtout les trois organes indispensables au développement durable.

Nous sommes donc au carrefour de la santé publique et de la nouvelle agriculture en Europe. Il n’existe pas à ce jour de produit de substitution au glyphosate, bien que l’Institut National de la Recherche Agronomique (INRA) s’y emploie. Puis quand bien même, c’est le fonctionnement-même de la filière agricole qu’il faut repenser. Il n’y aura pas d’avancées tant que le glyphosate ne sera pas considéré comme cancérogène probable pour l’Homme par les agences européennes, ou plutôt tant que l’indépendance de l’expertise de la Commission européenne ne sera pas indépendante, faute de moyens.
Il est dans tous les cas inutile de mentionner qu’une décision unilatérale de la France d’interdire immédiatement toute utilisation du glyphosate aboutirait à une concurrence déloyale au niveau de l’UE pour les agriculteurs français. Peut-être que ceux-ci seraient moins réticents à stopper leur utilisation du glyphosate en sachant que l’herbicide qu’ils mettent sur leurs champs les met eux-mêmes en danger, en plus des consommateurs. Cependant, il existe des agriculteurs qui évoluent sans le glyphosate depuis de nombreuses années. Leurs témoignages constituent des clés pour prouver qu’un monde sans glyphosate n’est pas utopique. Si les agriculteurs se passaient tous du glyphosate, si la règle était la même pour tous sur le marché européen, le prix ne se répercuterait-il pas forcément d’une manière ou d’une autre sur le consommateur, qui n’aurait alors d’autre choix que de payer plus cher pour se nourrir, certes, mais en étant garanti de la sécurité alimentaire et donc de l’aspect sanitaire des produits alimentaires – et de surcroît d’avoir bonne conscience ?

           

Puis, comme le dit si bien notre cher président de la République : « Le bon débat n’est pas de savoir s’il faut sortir du glyphosate dans 10 ou dans 5 ans […], c’est d’abord de dire qu’au niveau européen reporter à 10 ans la problématique du glyphosate n’est pas une bonne idée parce que c’est prendre une responsabilité face à l’Histoire ». Mais alors pourquoi le gouvernement a-t-il décidé de mettre fin aux aides pour le maintien de l’agriculture biologique en septembre ? Cette décision paradoxale semble être à l’image de notre société actuelle, tiraillée entre le profit économique et le profit économique, certes, mais aussi social et écologique à long terme – d’un point de vue quelque peu manichéen, je le concède. Mais l’Homme est seul coupable des maux de la société actuelle.

Street art : métaphore des critiques émises à l’encontre de Monsanto. (Los Angeles)

Il n’empêche que si la Commission européenne ne parvient pas à un consensus d’ici le 15 décembre, Monsanto sera alors en droit de déposer un recours devant la cour de justice de l’UE.

Pour aller plus loin :

Et si cette petite plaidoirie n’a pas suffi à te convaincre, ô toi jeune étudiant inconscient et nombriliste, pose tout de suite ta plâtrée de pâtes carbo de la veille réchauffée au micro-onde, ou ton traditionnel bol de lait céréales d’adolescent retardé. Voici quelques chiffres qui suffiront à éveiller l’altermondialiste qui est en toi.
Rappelons d’abord que les produits alimentaires commercialisés contenant du glyphosate n’ont jamais été testé quant à leur probabilité cancérogène pour l’Homme car, est-ce bien étonnant, la règlementation ne le demande pas. Le glyphosate est présent dans :
45% des sols européens et 60% des cours d’eau en France
7 céréales du petit déjeuner sur 8
2 pâtes alimentaires sur 7
7 légumineuses sur 12

Nous disposons de plusieurs pistes de réflexion relayées dans les médias par quelques figures emblématiques, prêcheurs de la bonne conscience, telles que la permaculture, le bio, la culture urbaine ou l’action d’ONG à encourager comme Kokopelli. Il suffit simplement de prendre le temps de s’y intéresser.

A. B.

Bien comprendre les enjeux :

  • « Glyphosate : le Parlement européen met la pression » (EuroNews)

https://www.youtube.com/watch?v=iSWqg_T6aaA&t=72s&index=61&list=PLLxAtkH007hHmToTnMIXtmNVo4oBTdyX9

  • « L’Union européenne reporte le vote sur le futur du glyphosate » (France 24)

https://www.youtube.com/watch?v=YTmcssZZIxI&list=PLLxAtkH007hHmToTnMIXtmNVo4oBTdyX9&index=62

  • « Nicolas Hulot : ministre sous pression » (23/10/2017, C à vous)

https://www.youtube.com/watch?v=IHY4MnPJJRU&index=64&list=PLLxAtkH007hHmToTnMIXtmNVo4oBTdyX9

 A propos des Monsanto Papers :

  • « Comment Monsanto a manipulé l’information scientifique autour du glyphosate » (Brut)

https://www.youtube.com/watch?v=Q5HuUZSgkFk&list=PLLxAtkH007hHmToTnMIXtmNVo4oBTdyX9&index=64

  • « De l’agent orange au glyphosate, comment Monsanto a tout fait pour couper l’herbe sous le pied de ses détracteurs » (24/10/2017, France TV Info)

http://www.francetvinfo.fr/monde/environnement/pesticides/de-l-agent-orange-au-glyphosate-comment-monsanto-a-tout-fait-pour-couper-l-herbe-sous-le-pied-de-ses-detracteurs_2405936.html

 Matières réflexives :

  • « Le combat d’un paysan contre les pesticides » (23/10/2017, C à vous)

https://www.youtube.com/watch?v=XcmYfpKiAvY&list=PLLxAtkH007hHmToTnMIXtmNVo4oBTdyX9&index=62

  • « Les semences » (La Barbe)

https://www.youtube.com/watch?v=56rnPdwLPG8

 

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