La Covid va-t-elle tuer le sport français ?

Un deuxième confinement depuis l’intervention d’Emmanuel Macron du 28 octobre dernier, et peut-être le confinement de trop pour le sport français. Contrairement à celui qui a duré du 17 mars au 11 mai, cet acte deux du confinement autorise la pratique du sport professionnel. Les différents championnats de sports collectifs ou encore les tournois individuels peuvent se poursuivre dans le respect des consignes sanitaires. Hélas, une absence est particulièrement notable : celle des supporters, privés de stades au moins jusqu’au 1er décembre, date supposée de fin de confinement.  Inévitablement, ce huis clos général provoqué par la Covid va avoir de graves conséquences économiques pour l’ensemble du sport français.

Un huis clos synonyme de mort lente

Adieu les ambiances festives, les supporters qui chantent dans les tribunes pour soutenir leur équipe de cœur. Bienvenue dans l’ère triste du huis clos, une période qui pourrait malheureusement se poursuivre pendant de longues semaines. Un huis clos longue durée qui va mettre de nombreux clubs dans une situation économique périlleuse, voire même insoutenable. De nombreux sports sont ainsi concernés.

Deux d’entre eux ont publiquement tiré la sonnette d’alarme ces derniers jours : le rugby et le basket. Ces deux sports ont un point commun essentiel : les clubs tirent la majorité de leurs recettes de la billetterie et du sponsoring. Le huis clos implique donc l’absence totale de billetterie, alors même qu’elle représente 70% des revenus des clubs français de ces deux sports. Les pertes sont immenses et les conséquences absolument désastreuses.

Si l’on s’intéresse au cas du rugby, un huis clos pour un match de Top 14, le championnat de France de première division, engendrerait des pertes variant de 500 000 à 1 000 000 d’euros selon les clubs. Avec au minimum 16 matchs à domicile par saison, les clubs de première division enregistrent des pertes énormes, alors même que les recettes en billetterie augmentent d’années en années grâce à l’augmentation de l’affluence dans les stades. Les estimations de la Ligue Nationale de Rugby prévoient un déficit global d’au moins 180 000 € si l’intégralité de la saison devait se disputer sans public. Ce montant s’élèverait même à 270 000 € si l’on prend en considération les matchs manquants de fin de saison dernière. Le premier confinement avait déjà été compliqué pour le rugby français comme le montre l’évolution des budgets des clubs. 11 des 14 clubs de l’élite ont ainsi vu leur budget diminuer pour l’exercice 2020-2021 par rapport à la saison précédente. Cette diminution risque de se poursuivre encore. Les jauges limitées du début de saison n’incitaient déjà guère à l’optimisme. Une affluence de 5000 personnes permettait néanmoins de limiter la casse en attirant des partenaires et des abonnés dans les tribunes (environ 1/3 de partenaires et 2/3 d’abonnés). Le passage à 1000 spectateurs maximum avait déjà contribué à creuser les manques à gagner. Avec un huis clos désormais systématique, la situation devient catastrophique. Le Président de l’Union Bordeaux Bègles Laurent Marti (c-f photo) avait d’ailleurs alerté fin août, soit avant le début de saison, que cela entraînerait « la mort du club ». Il est loin d’être le seul président inquiet par cette menace.

Même constat du côté du basket français. Une perte financière évaluée à 110 000 € de moyenne par match joué sans public pour les clubs de Jeep Elite, la première division. Selon une note d’information de l’Union des Clubs Professionnels (UCPB) le déficit global sur la saison en cours serait de 23 millions d’euros pour l’ensemble du basket professionnel français. Le Président de l’UCPB Michel Gobillot a fait part de sa grande inquiétude, indiquant que des clubs pourraient déposer le bilan dès la fin de l’année civile. « On va à l’abattoir ! », voici la phrase choc qu’il a récemment tenu. Tony Parker est lui aussi monté au créneau en affirmant ce week-end dans un entretien à L’Equipe que « sans aides de l’État, ce sera la mort du basket ». La situation est désormais critique.

La poursuite des compétitions plutôt que l’arrêt

Une question se pose alors : pourquoi continuer à jouer sans spectateurs alors que le huis clos pourrait entraîner une faillite totale ? Plusieurs éléments permettent de comprendre pourquoi les diverses compétitions se poursuivent.

Il faut tout d’abord souligner que malgré l’aspect dramatique du contexte actuel, les sportifs professionnels disposent d’une véritable chance : celle de pouvoir continuer à exercer leurs professions. Le confinement du printemps a généré d’immenses frustrations chez les sportifs, privés durant de longues semaines de leurs espaces d’expressions. Une période particulièrement délicate à gérer aussi bien d’un point de vue physique que mental. Certains sportifs sont même tombés dans des états de dépression causés évidemment par les angoisses liées au Covid, mais aussi conséquences du manque de compétition, de l’absence d’objectifs à court et long terme. Aujourd’hui, les sportifs concernés par la poursuite des compétitions sont pleinement concentrés sur leurs saisons et leurs objectifs. Ils ont également conscience d’être des privilégiés, et savent qu’une partie de leur mission doit consister à donner du bonheur à tous ceux qui en ont été privés : les supporters. Ils peuvent ainsi continuer à vivre de leur passion.

Au-delà de cette explication qui est plus d’ordre psychologique, il y a aussi des raisons médiatiques au maintien des compétitions professionnelles. Poursuivre les différents championnats, c’est avoir une visibilité médiatique dans une période où elle sera forcément plus importante. Cela permet d’éviter de tomber dans l’anonymat le plus complet, et ainsi de maintenir une exposition pour les différents partenaires qui investissent dans le sponsoring d’un club. Pour prendre l’exemple du rugby, beaucoup de clubs s’inscrivent dans une économie réelle avec une forte identité locale. Beaucoup de PME locales s’impliquent dans le sponsoring et ont un impératif de visibilité. Ces mêmes PME qui sont aujourd’hui frappées de plein fouet par la crise.

Enfin pour le football, l’intérêt économique de poursuivre les compétitions est vraiment très fort puisque l’essentiel des revenus des clubs et fédérations n’est pas basé sur la billetterie et le sponsoring mais sur les droits télévisés. Diffuser des matchs même à huis clos permet de garnir les caisses grâce aux droits télés, dont les montants sont de plus en plus élevés. Remplir les caisses certes, mais seulement quand ces derniers sont reversés… ce qui n’est pas le cas actuellement des droits de la Ligue 1, que le diffuseur Médiapro n’est pas en capacité de payer dans son intégralité. Il faut dire qu’une facture d’1,153 milliards d’euros par an, ça fait cher pour Jaume Roures, le grand patron de Médiapro (c-f photo). En cette période de crise, un bras de fer entre la Ligue de Football Professionnel et le diffuseur est engagé, de quoi rajouter encore plus de tension.

Des aides financières vitales

Les clubs et fédérations sportives n’ont plus qu’un dernier recours pour éviter une faillite considérable : faire appel à des aides extérieures, et notamment à celle de l’État Français. Malheureusement ce dernier n’a pas que le sport à prendre sous son aile. Toute l’économie du pays est grippée et il n’y a pas suffisamment d’argent pour satisfaire tout le monde. Le monde du sport se sent délaissé, stigmatisé même, à tel point qu’une lettre ouverte au Président de la République a été rédigée par le CNOSF (Comité National Olympique du Sport Français) avec l’appui de 95 fédérations. Cet appel au secours a en partie été entendu puisqu’un fond d’aide au sport professionnel a été acté, les derniers arbitrages sont d’ailleurs en cours à la Commission Européenne de Bruxelles.

Cette sorte de Plan Marshall appliquée au secteur sportif se traduit en chiffres par une aide financière de 110 millions d’euros. Ce montant est une somme globale pour l’ensemble du sport professionnel français. Mais dans une situation particulièrement anxiogène ou chaque club joue sa survie, il y a une absence d’unité. Chacun prêche pour sa paroisse et espère recevoir le plus d’aides possibles de l’État. Il y a quelques jours une source proche de la Ligue Nationale de Rugby a affirmé qu’elle allait recevoir 40 millions d’euros de la part de l’État, dont 70% seraient distribués rapidement. Cette information a été fermement démentie par la ministre déléguée aux sports Roxana Maracineanu. Bref, tout le monde veut sa part du gâteau et espère qu’elle sera la plus grosse possible. Malheureusement il faudrait plusieurs gâteaux pour assurer la survie de l’ensemble du secteur sportif car ces aides ne suffiront pas. Le problème est donc là : il faut maintenir en vie à la fois le sport professionnel, véritable vitrine médiatique, et le sport amateur privé de compétition suite au confinement. Or le constat est implacable : la Covid détruit rapidement toute la pyramide du sport français. Suite au premier confinement on a constaté une baisse nette du nombre de licenciés amateurs. Ce constat a de grandes chances de se renforcer, alors même que la pierre angulaire des ressources financières des clubs amateurs réside dans le paiement des licences.

Le sport français est donc dans une situation particulièrement insoutenable, alors que se présentent devant lui deux évènements majeurs sur son territoire : La Coupe du Monde de Rugby 2023 et les Jeux Olympiques d’été 2024. Deux évènements qui semblent à la fois si proches et pourtant si loin tant le précipice guette de plus en plus.

Mathias Babin

Crédits photos : Stéphane Lartigue / Icon Sport / J. Prévost, L’Equipe

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