Un été dans les années 90, Sophie s’en rappelle avec une certaine nostalgie. Des vacances avec son père en Turquie, probablement les dernières et entre enregistrements de son caméscope et souvenirs, elle est aujourd’hui une jeune femme qui essaye de comprendre la face cachée de son père derrière l’homme qu’elle connaissait.
Laissez-vous plonger dans le molletonné des sièges rouges de la salle sombre, l’odeur salée des pop-corn enveloppant l’air, le temps d’une brève critique du film Aftersun. Mais attention, si vous souhaitez voir le film, abstenez-vous de lire les paragraphes qui suivent…
Étoile montante du cinéma
Aftersun est le premier long-métrage de la jeune réalisatrice écossaise Charlotte Wells. Sorti en mai 2022, mais seulement il y a un mois dans les salles françaises, le film s’était déjà fait remarquer à la Semaine de la critique au Festival de Cannes l’an dernier.
Si le film n’est pas une autobiographie le confirme la réalisatrice, il reste inspiré par ses propres souvenirs « L’émotion du film et le chagrin qu’il exprime sont les miens », a-t-elle déclaré au Guardian.
Aftersun c’est, en apparence, un film très simple voire même minimaliste. Dès le début, on plonge dans un cadre paradisiaque : les côtes turques dans les années 90, le temps des vacances de Calum, jeune père, et sa fille Sophie, âgée de onze ans. Sans réel contexte sur les personnages, on comprend rapidement qu’une relation unique existe entre le père – séparé – et sa fille, un lien familial qui souvent est difficile et s’étiole le temps de l’adolescence. Pourtant, Calum et Sophie semblent proches. Mais cela reste en apparence.
Dans le rôle de Calum, on retrouve Paul Mescal, un acteur talentueux, taillé pour pour le cinéma. Paul Mescal que vous avez pu découvrir dans la mini-série Normal People, et dont le rôle était déjà plus que prometteur pour l’acteur. Son rôle dans Aftersun a notamment été salué puisqu’il était en lice pour l’Oscars du meilleur acteur, oscars finalement gagné par Brendan Fraser pour son rôle dans The Whale.
A ses côtés la jeune Frankie Corio, encore inconnue du grand écran. Le duo est remarquable, la complicité des acteurs se ressent à l’écran et donne une relation unique entre les deux personnages qu’ils incarnent. Tout deux apportent une réelle sensibilité à l’écran.
Le rythme du film est assez lent, le spectateur se laisse captiver par l’intensité des souvenirs, renforçant les émotions des personnages. La musique, signée Oliver Coates, est une bulle mémorielle, rappelant les vacances d’été que nous, spectateurs, avant sûrement aussi vécues durant notre enfance.
Père et fille, relation particulière mais unique
Sophie est une pré-ado curieuse et pleine de vie, elle se questionne surtout et rien. En vacances, elle collectionne les souvenirs, des moments hors du temps qu’elle enregistre avec son caméscope. On comprend à la suite du film qu’en réalité, c’est Sophie, désormais adulte, qui se remémore ses souvenirs de vacances tout en visionnant ces moments de vie, figés dans quelques vidéos.
Pendant ces vacances, la jeune Sophie fait ses premiers pas dans le monde impitoyable de l’adolescence : elle traîne avec des gamins plus âgés qu’elle, qui boivent et fument, tandis qu’elle, découvre les premiers émois amoureux. Piscine, farces, repas au soleil couchant, spectacles de club de vacances… tout se passe à merveille.
Mais derrière les apparences, une angoisse grandit sans que l’on n’en comprenne son origine. Le bonheur innocent de Sophie contraste avec Calum, qui semble brisé. De brefs instants, une faille s’ouvre sur son désespoir et toute sa profondeur. Qu’est-ce qui a brisé Calum ? Est-ce la séparation avec la mère de Sophie ? Est-ce un traumatisme de sa jeunesse ? Ou est-ce peut-être qu’il redoute un éloignement avec sa fille, qu’il ne semble pas voir souvent ? Tout semble possible et au final, on ressort du cinéma sans plus de réponses.
Cela peut sembler être un manque mais en réalité, l’intérêt du film n’est pas là, il réside dans cette relation entre père et fille. Cette cicatrice qu’il porte transforme sa relation avec sa fille, et le film a cette vocation de nous montrer l’intensité des échanges entre Sophie et son père. Le reste n’aurait été que fioritures superflues.
Ressentir plutôt que comprendre
Aftersun c’est avant tout des émotions. Le spectateur n’a, en quelque sorte, pas vocation à comprendre mais surtout à vivre les souvenirs avec Sophie, devenue adulte et mère. Le film nous dévoile une sensibilité cachée dans les interstices d’une relation simple mais mystérieuse. Parce que parfois, au sein même de notre famille, nul ne sait quels mystères profonds recèlent nos proches que nous aimons sans réellement connaître.
Tout au long du film, c’est un véritable crescendo émotionnel qui se poursuit jusqu’à son apothéose, une scène deviendra sûrement iconique, où Calum et Sophie dansent dans un bar de Turquie, sur le titre Under Pressure de Queen et David Bowie. Une musique différente de celle que vous connaissez : si elle débute normalement, elle suit les deux personnages et finit dans une dégringolade de désespoir. La musique prend alors une tournure dramatique méconnaissable et la transforme en un chef d’oeuvre dépressif dont les mots manquent pour la décrire.
On le comprend à la fin, ces souvenirs que Sophie se remémore ont probablement été les derniers vécus avec son père. Lorsque Calum chute dans ce qui semble être une rave party, une fête hors du temps et de l’espace, une bulle mémorielle créée par Sophie, on comprend que Calum ne fait plus partie de sa vie. Quand on repense au désespoir du personnage, l’hypothèse d’un suicide devient la plus plausible. Peut-être Sophie, aujourd’hui adulte, comprend-elle l’envers de son père ?
Le spectateur erre dans les scènes au gré des souvenirs de Sophie. Le film est une errance, l’errance d’un séjour d’été à l’étranger, mais aussi l’errance même des personnages qui peinent à se comprendre malgré les liens familiaux qui les unissent et malgré la relation toute particulière qu’ils entretiennent, rare entre un père et une fille disons-le.
Aftersun c’est ces quelques jours de vacances qui parfois marquent une vie entière. Le plaisir y est voilé de mélancolie, une distance s’installe malgré les rapprochements, le manque de compréhension mutuelle, peut être dû à l’écart d’âge entre Sophie et Calum, se ressent de plus en plus. Calum a beau tenter d’être un père présent, d’être un confident pour sa fille, malgré tous ses efforts, cette distance restera à jamais présente entre eux mais ne les empêche pas de vivre.
Charlotte Wells a réussi à produire une merveille, un film profondément touchant sans grandes déclarations sentimentales grandiloquentes. Elle se contente de se souvenir car dans l’absence, il y a une présence, c’est un peu une ode à la vie, dans la mort.
© MUBI
Étudiante en troisième année d’information & communication, passionnée d’actualité et de culture, intéressée par le monde & les gens, je souhaite rejoindre la grande famille des journalistes.
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