Le César de la banlieue

Après un déroulement tumultueux pour sa 45ème édition, la cérémonie des Césars nous aura presque fait oublier le sens du mot « décence ». Mais si le traitement médiatique de la soirée tourne principalement autour d’un jugement controversé, il est quand même ressorti du choix du jury quelques lauréats annonçant un vent de bon augure pour le cinéma français.

Le sacre des Misérables

« Mes amis, retenez ceci : il n’y a ni mauvaises herbes, ni mauvais hommes, il n’y a que de mauvais cultivateurs. ». Cette phrase tiré du roman éponyme de Victor Hugo « Les Misérables » clôt le film de Ladj Ly sortit en 2019 sous le même nom. La citation et le propos du long-métrage semble visiblement avoir fait réfléchir beaucoup de monde sur son sujet central : la situation des banlieues en France. L’intrigue opte pour un point de vue original dans ce genre que sont « les films de cités », en suivant principalement le quotidien de Stéphane, nouveau venu à la brigade anti-criminalité (BAC) de Montfermeil. Tout bascule lorsqu’un de ses collègues, Gwada, blesse accidentellement un jeune garçon du quartier avec son Flash Ball. La scène, filmée par un drone, contraint les policiers à enclencher une traque sans merci pour étouffer l’affaire, qui les poussera dans leurs retranchements physiques et moraux.

Nommé de nombreuses fois dans la catégorie du meilleur film étranger à diverses cérémonies, « Les Misérables » se sera malheureusement vu passer devant à chaque reprise par l’excellent « Parasite ». Son succès critique et public reste néanmoins incontestable, tant grâce au traitement de son propos, que la mise en scène et le jeu des acteurs. L’abnégation de Ladj Ly aura finalement été récompensée à cette cérémonie des Césars en remportant la bagatelle de 4 statuettes : celle du meilleur espoir masculin, du meilleur montage, du public et avec une agréable surprise celle du meilleur film. L’expression « rendre à César ce qui est à César » a donc été en partie comprise par le jury lors de la soirée.

Derrière ce succès, c’est tout un pan du cinéma français qui triomphe, celui des jeunes cinéastes indépendants et qui ne sont pas forcément issus de la « grande famille du cinéma », d’ailleurs vivement critiquée par Aïssa Maïga durant la cérémonie. Ladj Ly incarne la réussite d’une classe des français défavorisée dans beaucoup de domaines et souvent décriée à cause de son origine sociale et géographique. A travers le succès du film, les populations ouvrières et immigrées des banlieues sont représentées et peuvent faire valoir la dure réalité de leur quotidien par le biais d’images, certes fictionnelles, mais frappantes.

Kourtrajmé

Le film « Les Misérables » permet de mettre en lumière la créativité issue des banlieues, notamment l’école de cinéma fondée par Ladj Ly appelée « Kourtrajmé ». Le nom, verlan de court-métrage, désigne à l’origine un collectif d’artistes crée par Romain Gavras, Kim Chapiron et Toumani Sangaré. De cette association est née, en 2018, l’école en question  portant la même appellation. L’établissement se distingue des autres du même type en proposant une formation gratuite ouverte à tous et en étant basé à cheval entre Clichy-sous-Bois et Montfermeil. Il prend place au sein d’un lieu de partage et de création que sont les « Ateliers Médicis ». Le projet enclenché en 2016 a pour vocation de « développer un établissement dédié à la jeune création », ainsi qu’« aux émergences artistiques et culturelles ».

L’école « Kourtrajmé » jouit donc d’un lieu artistique et coopératif lui donnant cette occasion de pouvoir accepter des étudiants sans aucune condition d’âge ni de diplôme. Les frais de formation sont couverts en grande partie grâce à des aides financières comme celle de la fondation d’entreprise France Télévision. Les 30 élèves d’une promotion y suivent une formation aux métiers du cinéma en se répartissant au sein de 3 sessions : écriture, production et réalisation & postproduction. Les cours théoriques et pratiques auxquels ils participent visent à leur : « délivrer une formation audiovisuelle, artistique et technique », pour «  permettre à chaque élève de développer un réseau professionnel, et donner à chacun confiance en soi et en sa légitimité ». Les cours de l’école fonctionnent selon une pédagogie de projet, dont le but est de faire parvenir 3 scénarios, sélectionnés parmi ceux des élèves de la session écriture, et chapotés par ceux des deux autres sessions, au bout du processus de fabrication d’un film. L’année est marquée par plusieurs « masterclass » de créateurs venu de tout horizon tel que des acteurs, réalisateurs, producteurs et autres. Des personnalités éminentes du cinéma français comme Vincent Cassel ou Cédric Klapisch font partie du riche réseau de l’école. Les galons obtenus par Ladj Ly grâce aux « Misérables » vont sans doute permettre à « Kourtrajmé » de se développer et donner plus de crédits aux jeunes cinéastes qui ont eu la chance d’y rentrer peu importe leur origine sociale et ethnique. 

Le drame qui réjouit

En plus de porter sur le devant de la scène son cinéma et son école, Ladj Ly braque ses projecteurs sur Montfermeil, commune de Seine St-Denis où il a grandi. L’action prend place dans un lieu précis, Les Bosquets, cité HLM souvent décrite comme un lieu de misère et de vie. Après leur construction dans les années 60, les nombreux appartements qui la composent ont été revendus aux fils des années à des populations de plus en plus pauvres et souvent issues de l’immigration. Cette bombe sociale à retardement finira par exploser en 2005, après la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré, qui tentaient d’échapper à un contrôle de police, provoquant de violentes émeutes. 10 ans après, le quartier commence enfin à changer de visage, grâce aux millions d’euros investis dans un programme de rénovation urbaine. Mais les tensions restent palpables entres les jeunes se plaignant d’être harcelé par la police, et les habitants craignant ces jeunes traînards. « Les Misérables » apparaît donc comme un film d’espoir selon le maire Montfermeil car « c’est une production locale, un gars local, des acteurs locaux ». L’œuvre est une fierté pour les habitants, comme Imane, 19 ans affirmant s’être « sentie valorisée », et marquée par la réalité du film qui « exprime les injustices dont sont victimes les gens du quartier ».

Les retombées positives du film de Ladj Ly sont donc elles aussi bien réelles et commencent déjà à apporter une dynamique forte et remplie d’espoir pour l’avenir. Les jeunes des environs peuvent entrapercevoir d’autres options en se dirigeant vers cet écosystème culturel formidable que sont les « Ateliers Médicis », abritant l’école « Kourtrajmé » et bien d’autres espaces de création pour échapper au quotidien morose de la banlieue.

Joaquim Tissot

Crédits photo : JR – Portrait d’une génération

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