Les volontaires de l’expédition Deep Time bientôt de retour

L’expédition Deep Time de Christian Clot touche bientôt à sa fin. En effet, les 15 volontaires enfermés dans la grotte de Lombrives en Ariège depuis le 14 mars ressortiront ce samedi 24 avril, soit 40 jours après leur entrée. Dans des conditions inédites, ces participants se sont privés de soleil et de notion du temps pour servir la science.  

 

Deep Time : qu’est-ce que c’est ? 

Cette expérience à la fois humaine et scientifique a été orchestrée par Christian Clot, explorateur et fondateur de Human Adaptation Institute, qui a également participé à sa création en plus d’une centaine de bénévoles et scientifiques. Deep Time, ce sont sept femmes et huit hommes, que l’on nomme timeconautes et qui ont fait le choix de vivre cette expédition de 40 jours dans la grotte de Lombrives, plus grande et profonde grotte d’Europe. Le but de ce projet est de comprendre comment un groupe d’humain peut vivre sans aucune information temporelle dans un milieu naturel hostile aux habitudes de vie de l’Homme (nuit constante, humidité, froid, absence de repère, etc.).  

Si Deep Time est également une expérience humaine et sociale où 15 personnes doivent s’organiser autour d’un nouveau système de vie, il s’agit avant tout d’une importante mission scientifique. L’importance de cette expédition est de comprendre les capacités humaines à s’adapter dans un système anomique (sans norme de vie), d’analyser les liens entre nos cerveaux et le temps, en comprenant la différence entre la perception du temps et sa réalité, et enfin observer la capacité de synchronisation fonctionnelle au sein d’un groupe. Via une science de terrain, dans des situations réelles, l’enjeu est de voir si l’Homme, en tant qu’individu, peut collectivement, vivre dans ce type d’environnement naturel à plus long terme, tout en réalisant des tâches quotidiennes. Pour cela, l’équipe dispose de près de 4 tonnes de matériel, dont du matériel scientifique, adapté à des conditions défavorables, avec une humidité proche de 95% et une température constante d’à peine 12 degrés.

 

Crédits : Human Adaptation Institute

 

Le déroulement du séjour  

Pendant ces 40 jours donc, pas question de se tourner les pouces. Nos 15 timeconautes se sont vu confier un certain nombre de missions à réaliser, comme explorer la grotte, faire des travaux sur le camp, nettoyer et dépolluer le lieu qui a accumulé beaucoup de déchets au fils des siècles et analyser le passage et l’affluence des visiteurs grâce aux inscriptions des hommes gravées dans la roche et qui remontent parfois jusqu’en 1200.  

Ces missions sont rythmées par des cycles, qui équivalent à une période de sommeil et une période de vieille, ce qui pour nous correspond à 24h mais qui, pour les explorateurs, est très variable. Chaque jour, les participants répondent donc à une série de questionnaires et de tests afin de comprendre et analyser l’évolution de leur adaptation à ce nouveau mode de vie. Tous les 4 ou 5 cycles, des récoltes de données objectives telles que le calcul de poids, de la masse corporellede la température ou encore des prises de sang sont effectuées sur les 15 volontaires.  

Mais des données sensorielles sont également analysées par le biais d’ordinateurs. Ceux-ci sont adaptés à l’expérience et n’affichent donc pas l’heure. Les scientifiques utilisent également la réalité virtuelle pour comprendre les sens ou bien la perception afin de voir comment ces sens se transforment ou s’adaptent à cet environnement. Ces mêmes tests sont effectués via des électroencéphalogrammes sur le cerveau pour comprendre nos fonctions cognitives et leurs évolutions 

Enfin, la mission principale est simplement de vivre normalement, en dormant, cuisinant, se lavant au sein de la grotte. Et pour cela, chaque espace est bien délimité et a sa fonction. On retrouve donc une salle commune, avec une cuisine et une grande table pour se réunir et se divertir. Plus profond encore, on retrouve l’espace scientifique, où sont effectuées toutes les expérimentations. Puis, enfin, on retrouve l’espace de sommeil, où tout bruit est proscrit afin de respecter le sommeil de chacun et ne pas perturber le rythme individuel des cycles. Chaque partie de la grotte est parfaitement insonorisée pour qu’un espace n’empiète pas sur un autre.

 

Crédits : Human Adaptation Institute

 

Ce que l’on sait depuis l’extérieur  

Jusqu’à maintenant, l’expédition semble s’être bien déroulée. Comme imaginéles personnes se sont totalement désynchronisées pour suivre leur propre rythme de vieLe 15 avril, Christian Clot publiait un podcast depuis l’intérieur de la grotte en expliquant, au moment de l’enregistrement, en être à son 24ème cycle, alors que d’autres en étaient seulement à leur 20ème et certains déjà à leur 26ème cycle. Cet asynchronisme pose évidemment quelques difficultés dans un groupe qui doit œuvrer ensemble pour mener à bien les missions confiées. Il est dur d’avancer avec chacun son rythme mais l’enjeu est justement de voir si des solutions sont possibles. 

Autre difficulté pour le groupe : le froid. L’humidité est plus importante que prévue, avec un taux de 100%. Les températures sont plus basses, avoisinant les 10 degrés. Cela entraîne une plus grande somnolence, et donc une perte en productivité mais rend également les conditions plus dures, car tout s’humidifie constamment. Il faut préserver sa température, mais surtout protéger le matériel scientifique qui ne peut être parfaitement adapté à l’expédition. L’avantage qu’a permis la désynchronisation des rythmes de sommeil est qu’il y a toujours au moins une personne qui est réveillée et active dans la grotte. Cela permet par exemple de pédaler à tour de rôle sur des vélos dédiés à la production d’énergie nécessaire aux équipements scientifiques installés. Un moyen également de garder la forme, puisqu’il faut pédaler l’équivalent d’une douzaine d’heures par jour pour satisfaire leur besoin en électricité.  

Enfin, l’équipe, en parallèle de leurs expériences, explore un peu plus les lieux. Le campement étant situé sur le 1er niveau de la grotte, ils s’aventurent également sur le 2nd niveau, avec des rappels de plus de 90 mètres, découvrant ainsi des lacs ou de nouvelles galeries. Le but de Deep Time n’est pas de rester confiné et statique mais d’explorer un milieu naturel. C’est pour cette raison que la plus vaste grotte d’Europe a été choisie et non un simple bunker qui aurait, de la même façon, pu couper les volontaires du soleil et du temps. Le large espace qu’offrent les galeries permet de marcher, se déplacer, découvrir et ne pas se sentir pris au piège, ce qui impacterait fortement les études scientifiques menées sur la santé mentale.  

 

Crédits : Human Adaptation Institute

 

Et après ?  

À la sortie de la grotte, dans 4 jours à peine, l’équipe pourra enfin remonter à la surface et goûter au bien fait du soleil, mais également rejoindre ses proches. L’enjeu sera ensuite d’analyser et comparer toutes les données et observations obtenues lors de l’expédition afin de voir ce que cette expérience a apporté à l’humain et à la science.  

Les attentes de Deep Time sont grandes. Cette expérience inédite n’a été imaginée et organisée qu’en l’espace de 4 mois. Pendant les premiers confinements causés par l’apparition de la Covid-19, beaucoup ont ressenti une perte de la notion du temps et une désynchronisation de leur mode de vie. Après une étude menée par le laboratoire Human Adaptation Institute, ceux-ci ont constaté que 40% des personnes interrogées étaient en difficulté de gestion temporelle. C’est ce résultat impressionnant qui a décidé Christian Clot de mettre ses explorations et aventures au service de la cause humaine, en permettant d’en apprendre plus sur l’homme et ses capacités cérébrales mais aussi d’aider à mieux vivre les personnes qui ressentent ce dérèglement encore aujourd’hui. 

À plus long terme, cette mission servira aussi à d’autres domaines plus divers comme les missions spatiales sur des bases lunaires possibles dès 2024 ou bien dans des sous-marins, sans repère solaire et où l’on vit en environnement confiné.  Le milieu de l’entreprise, pour les travailleurs miniers ou les tunneliers, serait lui aussi concerné. Enfin, cette expérience pourrait tout simplement servir pour un futur encore imprédictible, où l’homme pourrait être amené à vivre dans un lieu souterrain ou encore inconnu suite au dérèglement climatique et à la montée des eaux par exemple.

 

Noémie Renard

 

Crédits photo : Human Adaptation Institute

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