Le 23 janvier dernier, les nominations de la 96e édition des Oscars ont été dévoilées au grand public. Saltburn, le thriller érotique de la jeune réalisatrice Emerald Fennell, ne se classe dans aucune des catégories, malgré son succès notable auprès du public.
Barbie, Oppenheimer, Pauvres Créatures, Anatomie d’une chute : ces films cumulent à eux seuls trente-sept nominations pour cette édition 2024 des Oscars. Oppenheimer est largement surreprésenté, avec treize nominations au total pour vingt-trois catégories. Face à ces phénomènes, le long-métrage Saltburn, sorti le 17 novembre au Royaume-Uni, n’a pas réussi à se démarquer, malgré les attentes du public.
Au premier abord, pourtant, le film avait tout pour se qualifier. D’abord, une réalisatrice talentueuse, déjà acclamée il y a trois ans pour son premier long-métrage Promising Young Woman. Le grand retour d’Emerald Fennell était très attendu, et ces espérances trop élevées n’ont peut-être pas joué en sa faveur. Ensuite, le scénario présenté dès les premières bandes-annonces laissait entrevoir un film qui pourrait facilement se qualifier pour les Oscars et entrer dans les annales du cinéma. Ce qu’on y voit, c’est un thriller psychologique se déroulant au cœur de l’aristocratie élitiste anglaise. Il raconte l’histoire d’Oliver Quick (Barry Keoghan), un étudiant d’Oxford au passé modeste, qui intègre par hasard le cercle d’amis restreint du très fortuné Felix Catton (Jacob Elordi). Oliver est invité à passer l’été à Saltburn, au château de l’excentrique famille de Felix, et développe peu à peu une obsession malsaine pour son ami. Tout cela est sublimé par un somptueux décor estival qui pour beaucoup de spectateurs évoque un mélange entre le naturel de Call me by your name et une critique sociale beaucoup plus artificielle. Des thématiques qui donnent envie d’en savoir plus.
Le casting lui aussi avait tout pour plaire. Jacob Elordi, Barry Keoghan et Rosamund Pike offrent une belle réputation au film dès l’annonce de sa sortie. Saltburn se présente alors comme le film qui va clôturer l’année en beauté. Avec quatre rôles importants au cinéma en 2023 et un rôle mémorable dans la série à succès Euphoria, la réputation de Jacob Elordi n’est plus à faire. Il en est de même pour Rosamund Pike qui s’est démarquée par son interprétation splendide de personnages déjantés comme celui d’Amy Dunne Gone Girl. Barry Keoghan de son côté avait déjà fait sensation dans Dunkerque ou encore The Batman en 2022. Son rôle dans Saltburn constitue son premier rôle principal dans un long-métrage. Le public était impatient de découvrir sa performance dans la peau de ce nouveau personnage, très éloigné de ceux qu’il avait pu interpréter auparavant.
Mais au-delà de cette belle promotion et du succès attribué au film sur les réseaux sociaux avant même sa sortie, était-il digne d’un Oscar ? Les performances livrées par les acteurs sont en effet à la hauteur des attentes. Elles ont d’ailleurs été récompensées par d’autres académies, comme les Golden Globes, qui ont attribué à Barry Keoghan et à Rosamund Pike deux trophées pour leurs rôles dans Saltburn. Les BAFTA, cérémonie récompensant principalement les productions britanniques, ont aussi accordé cinq nominations au film. Cela peut être expliqué par l’inspiration classique anglais de l’esthétique qu’a conçue Emerald Fennell.
Mais le scénario et la mise en scène n’ont pas su convaincre le jury. Le succès du film s’est donc plus affirmé auprès d’un jeune public, en particulier via les réseaux sociaux, qu’auprès de l’académie des Oscars.
Ce qu’il manquait à Saltburn pour être nominé
Si vous n’avez pas vu Saltburn, vous en avez au moins entendu parler, et vous avez même probablement aperçu son affiche. Et pour cause, depuis novembre dernier, le film envahit Internet. Il s’agit d’abord d’une campagne publicitaire, principalement axée autour de l’aspect esthétique du film. Sans nous dévoiler l’objet de l’intrigue, on nous propose un avant-goût de la sensualité provocatrice des personnages en image. Et puis il y a toujours ces trois noms en tête d’affiche qui intéressent le public.
Ensuite, dès la sortie du film, ce sont les internautes qui s’emparent des réseaux pour partager leur ressenti – assez mitigé – sur le film. Malgré le peu de retours positifs, notre curiosité est piquée. Certains parlent de scènes dérangeantes, de nudité et de violence, et certains le qualifient de chef d’œuvre. Alors on a envie de se faire son propre avis, de comprendre ce à quoi tout le monde s’intéresse.
Pour ce qui est des scènes dérangeantes, voire choquantes, on savait à quoi s’attendre et on n’est pas déçu. Mais pour ce qui est de l’histoire en elle-même, du développement des personnages et de l’atmosphère du film, on a l’impression de ne rien découvrir de plus que ce qui avait été dévoilé dans les bandes-annonces. L’abondante campagne de promotion en ligne pour Saltburn a finalement contribué à dévaloriser le film à sa sortie. Emerald Fennell a ainsi gagné la viralité sur Tiktok plus que la reconnaissance officielle qu’elle souhaitait. En voulant servir au public la tendance actuelle qu’il recherche et en se distinguant des autres concurrents par une présence sur les réseaux sociaux, elle n’est parvenue qu’à créer un effet « putaclic » qui ne plaît pas à l’académie des Oscars. Ce n’est pas tant le côté déstabilisant et osé du film qui a refroidi les critiques, mais le fait de se revendiquer comme tel pour gagner de l’audience. Le succès de Pauvres Créatures aux Oscars nous montre que les films dérangeants et perçus comme singuliers sont souvent salués par la critique. Ce n’est pas un obstacle à leur réussite. Mais il faut savoir s’en servir comme il faut.
Ici, on a du mal à comprendre où va cette histoire. On se perd dans l’intrigue pour finalement n’y voir que l’aspect psychologique obsessionnel incarné par le personnage d’Oliver et marqué par les scènes très explicites qui n’épargnent pas le cœur des spectateurs.
Il y a aussi la volonté évidente de critiquer la classe aristocratique grotesque et arrogante dont fait partie la famille de Felix. Mais pour beaucoup d’internautes, cette critique n’est finalement pas assez marquée ni développée, ce qui fait de Saltburn un mélange hésitant de plusieurs genres, sans clairement en revendiquer un. Le renversement final ne fait que renforcer ce sentiment de confusion. Quel est le vrai message du film ? Est-ce un thriller à sensation ou une critique plus subtile du monde irréaliste dans lequel vivent les aristocrates fortunés ? Ce qu’il manque à Saltburn, c’est une trame plus explicite, et un fond mieux adapté au visuel très travaillé qui a plu au public.
Carla Defay
Crédits photo : Jiří Menzel – Libreshot
Étudiante en L2 information-communication et, avec un peu de chance, future journaliste. J’écris pour le plaisir, alors pourquoi pas le faire aussi pour Pop-Up !