Le projet Super Ligue : coup de maître ou coup de traîtres ?

Un véritable séisme vient de ravager le monde du football. Son nom : Super Ligue. Portée par 12 clubs emblématiques d’Europe, l’annonce de ce projet de nouvelle compétition européenne a fait polémique. Entraîneurs, joueurs, dirigeants, supporters, et mêmes personnalités politiques se sont rapidement indignés contre cette initiative qui a finalement échoué. Pourquoi ce projet particulièrement alléchant sur le papier a t-il fait l’unanimité contre lui ?

 

Une naissance tourmentée

L’envie de créer une nouvelle compétition qui réunit les clubs les plus prestigieux d’Europe n’est pas apparue subitement. Régulièrement évoqué ces dernières années, ce projet a finalement été détaillé le week-end dernier. Mais au fait, c’est quoi la Super Ligue ?

C’est une compétition imaginée par 12 clubs puissants afin d’asseoir leur domination et de concurrencer la mythique Ligue des Champions. 6 clubs anglais : Liverpool, Manchester United, Manchester City, Chelsea, Arsenal et Tottenham. 3 clubs italiens, à savoir la Juventus, l’AC Milan et l’Inter Milan. Les équipes espagnoles de l’Atlético Madrid, du FC Barcelone et du Réal Madrid, dont le président Florentino Pérez est à la tête du projet, font également partie des 12 clubs fondateurs.

Des équipes mythiques, qui ont obligatoirement leur place réservée dans cette compétition. Ce format permet d’avoir des grandes affiches toutes les semaines. L’occasion d’offrir aux fans le meilleur du football européen et donc un spectacle total.

Il faut ajouter 3 autres équipes permanentes dont l’identité est inconnue. Enfin, 5 autres clubs seront invités chaque saison selon des critères sportifs. Au total, 20 équipes participeraient à un événement qui deviendrait annuel.

Si ce projet révolutionnaire a tant fait réagir, c’est aussi à cause du timing de son annonce. Il a été officialisé la veille de l’adoption de la nouvelle formule de la Ligue des Champions proposée par l’UEFA (Union des Associations Européennes de Football). Cette version qui entrera en vigueur en 2024, les clubs fondateurs de la Super Ligue l’ont jugée insatisfaisante. Elle ne serait pas suffisamment attractive et ne donnerait pas assez de garanties financières. L’argent est donc la motivation première de cette révolution. La Ligue des Champions engendre « seulement » 2 milliards d’euros de recettes à répartir pour l’ensemble des clubs, contre 5 milliards pour la future Super Ligue.

Cette compétition offre plus de matchs de haut niveau, ce qui signifie plus d’argent : hausse des droits télévisés, des recettes publicitaires, plus de public dans les stades lorsque ce sera possible… Une véritable aubaine dans un contexte économique fragile où la plupart des clubs européens souffrent. L’argent est roi, le football visiblement beaucoup moins.

 

Crédits : L’Équipe

 

Un accueil délétère

Ce nouveau projet a indéniablement réussi à faire l’unanimité… contre lui.

Les instances dirigeantes ont désapprouvé ce mouvement qu’elles jugent comme une véritable trahison. Le président de l’UEFA, Aleksander Ceferin, a menacé les équipes concernées de sanctions juridiques, mais aussi les joueurs qui participeront à cette nouvelle compétition. « Les joueurs qui joueront dans la Super Ligue seront interdits de jouer la Coupe du monde et l’Euro, ils ne seront pas autorisés à jouer pour leurs équipes nationales ». Des avertissements forts certes, mais à destination des joueurs qui sont véritablement pris en otage entre leur volonté et celle de leurs employeurs. Drôle de solution qui ne rime à rien.

Plusieurs joueurs, dont les clubs font partie « des 12 traîtres » ou non, ont exprimé leur désaccord face à ce projet. Parmi les réactions les plus virulentes, citons celle du joueur parisien Ander Herrera. L’Espagnol a twitté « Je crois en une Ligue des champions améliorée, mais pas aux riches qui volent ce que le peuple a créé, ce qui n’est rien d’autre que le plus beau sport de la planète ».

Certains entraîneurs de clubs concernés adoptent aussi une position courageuse. Jürgen Klopp, entraîneur de Liverpool, s’est dressé contre cette Super Ligue, un concept qu’il avait déjà dénoncé en 2019 : « J’espère que cette Super Ligue ne verra jamais le jour. […] Bien sûr que c’est économiquement important, mais pourquoi devrait-on créer un système où Liverpool pourrait se retrouver à jouer dix années de suite contre le Réal Madrid ? Qui voudrait voir ça ? »

Pour l’ancien joueur anglais Gary Neville, ce projet est « un acte criminel contre les fans ». Neville, comme beaucoup d’acteurs du football, appelle à des sanctions contre les clubs à l’initiative de cette idée. Une exclusion de ces 12 équipes de leurs championnats nationaux respectifs est notamment demandée.

Même réaction chez les quotidiens de presse spécialisés avec des unes contestataires comme celle du quotidien As. Quant aux fans de football, ils ont eux aussi manifesté leur mécontentement partout dans le monde.

 

Une du journal As

 

Les acteurs politiques sont eux aussi entrés dans la danse en critiquant ce projet. Emmanuel Macron a salué la position des clubs français de refuser de prendre part à cette ligue. La ministre déléguée aux Sports, Roxana Maracineanu a été plus virulente en dénonçant : « Un système sans critère sportif d’accession qui réunit un club VIP de quelques puissants représente non seulement la négation du mérite sportif mais aussi un véritable danger pour le monde du football ». Même son de cloche en Angleterre avec la position de Boris Johnson qui a affirmé « tout faire pour que ce projet échoue ». Une véritable levée de bouclier internationale contre une Super Ligue qui n’est absolument pas la bienvenue.

 

La mort du football ?

Deux camps radicalement opposés s’affrontent. Les détracteurs de la Super Ligue pensent qu’elle va détruire le football et provoquer sa mort. Ses partisans affirment eux le contraire. Pire, Florentino Perez, qui a été nommé patron de la Super Ligue, a déclaré que cette compétition allait carrément « sauver le football ». Elle va en réalité sauver les intérêts d’une minorité d’acteurs. Cette idée est le fruit d’un consensus entre quelques clubs riches et puissants dont les présidents agissent par pur égoïsme, et non la conséquence d’une réflexion collective entre les divers protagonistes du football. Un constat qui fait tâche à l’heure ou la solidarité devrait être de mise face à un contexte difficile.

Ce concept va à l’encontre d’un des principes sportifs fondamentaux : la méritocratie. Cette logique a totalement disparu du modèle de la Super Ligue. 12 équipes s’auto-invitent dans une ligue semi-fermée selon des critères subjectifs qui n’obéissent à aucune logique sportive. Ainsi, l’absence de certains clubs ayant déjà gagné au haut niveau européen pose question. Deux autres absents de marque : les deux derniers finalistes de la Champions League, le Paris Saint Germain et le Bayern Munich. Ils ont refusé de participer à ce coup d’État.

La présence de certaines équipes dans ce club privé pose question, alors que leurs résultats laissent franchement à désirer. C’est notamment le cas d’Arsenal qui est actuellement 9e du championnat d’Angleterre, ou du Milan AC qui n’a plus été vu en Ligue des Champions depuis 2014. Deux clubs qui bénéficient cependant de leurs ronds de serviette à la table des plus grands. Cette table, on ne peut visiblement s’y asseoir que si on est riche et influent.

Cette Super Ligue n’est au final que le point d’orgue d’une politique de ségrégation menée depuis de nombreuses années par les instances dirigeantes. Tout a commencé en décembre 1995 avec l’adoption par la Cour de Justice des Communautés Européennes de l’arrêt Bosman. Cette mesure a mis fin à la politique des quotas qui régissait le football. Avant cette loi, seuls 3 joueurs étrangers pouvaient être admis dans les clubs européens. L’abolition des quotas va considérablement modifier le paysage footballistique mondial. Les transferts de joueurs deviennent fréquents et leurs prix vont enfler d’année en année.

On assiste alors à un football à plusieurs vitesses : les clubs riches financièrement vont attirer les meilleurs joueurs de la planète et construire des équipes impressionnantes tandis que ceux moins aisés ne pourront plus rivaliser. Un fossé s’est creusé entre les différentes équipes européennes. Cette fracture se constate immédiatement dans les résultats puisque l’on retrouve toujours les mêmes noms en haut de l’affiche lors des compétitions européennes : les clubs anglais, italiens et espagnols. Depuis l’arrêt Bosman, 25 Ligue des Champions ont eu lieu. 20 des 25 vainqueurs sont issus de 3 nations pré-citées. Tous ces clubs lauréats font évidemment parti de la Super Ligue.

Ce projet s’inscrit finalement dans la continuité d’une politique menée depuis des années, une politique qui favorise l’élite et écarte les plus faibles. Malgré tout, la formule actuelle de la Champions League permet à des petites équipes d’avoir leurs chances et d’affronter les grosses afin de créer l’exploit. Hélas, cela embête les cadors européens de faire des milliers de kilomètres pour affronter une « modeste » équipe ukrainienne, roumaine ou hongroise dans des matchs pas assez attractifs. Alors on met définitivement de côté ces petits clubs avec la création d’une ligue ou ils ne sont pas admis.

 

L’argent et la politique de l’entre-soi, voilà les deux principes qui prévalent avec cette Super Ligue. Heureusement, la pression populaire a permis de faire dérailler ce coup d’État. 9 des 12 clubs fondateurs se sont retirés du projet. Néanmoins, cet épisode a permis de révéler au grand jour les ambitions machiavéliques de certains présidents. La menace d’une ligue de riches s’est plus que jamais précisée et risque de réapparaître prochainement. Le football a gagné une bataille, mais la guerre ne fait que commencer.

Mathias Babin

 

Crédits photo : Icon Sport

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