Le 1er mai 2004, la Pologne rentre officiellement dans l’Union européenne. Cette annonce fait suite à la ratification du traité d’Athènes un an plus tôt, suivie d’un référendum national pour valider le processus. À la question « Consentez-vous à l’adhésion de la République de Pologne à l’Union européenne ? », les Polonais ont répondu « oui » à 77%. C’est l’aboutissement d’une démarche instaurée depuis une dizaine d’années. Aujourd’hui, les relations entre l’UE et la Pologne se sont gravement détériorées, à tel point que la menace d’un départ de cette dernière fait surface ces derniers jours.
Origine du conflit
Le terme Polexit est un néologisme qui exprime la possibilité pour la Pologne de quitter l’Union européenne, à l’image de ce qu’a fait la Grande-Bretagne avec le fameux « Brexit ». Cette hypothèse est la conséquence d’un conflit qui dure depuis plusieurs années entre Varsovie et Bruxelles, siège de la Commission européenne.
Ces tensions sont apparues à partir de la prise de pouvoir du parti PiS (Droit et Justice) en 2015 en Pologne. Ce parti politique est considéré comme conservateur, avec une politique très largement orientée vers la défense de la souveraineté nationale. PiS est également réputé pour être eurosceptique.
L’élément qui a mis le feu aux poudres, c’est le projet de réforme judiciaire entamé par la Pologne en 2015. La Cour suprême a instauré une nouvelle chambre disciplinaire, qui permet alors au PiS de prendre le contrôle de la justice en désignant elle-même les membres de cette chambre. Cette mesure menace grandement « l’impartialité et l’indépendance de la justice » selon les termes de la CJUE (Cour de justice de l’Union européenne). L’UE ne reste pas les bras croisés : elle met d’abord la Pologne en garde à plusieurs reprises, avant de sortir son arsenal législatif et de déclencher l’article 7. Lorsqu’un État membre viole les principes sur lesquels se base l’Union européenne, l’article 7 permet à cette dernière d’entreprendre des sanctions, notamment la suspension du droit de vote du pays en faute au Conseil.
Malgré la menace insistante de sanctions, la Pologne ne va pas faire marche arrière pour sa réforme judiciaire. Pire, elle se lance dans un véritable bras de fer avec les instances européennes. Le Tribunal constitutionnel polonais, la plus haute juridiction du pays, conteste avec véhémence les ordonnances rendues par la CJUE et affirme la primauté du pays vis-à-vis de l’Union européenne. Il rendra une décision historique le 7 octobre dernier.
Cette date marque définitivement la fracture entre l’UE et la Pologne. Le Tribunal constitutionnel annonce l’incompatibilité de certains articles du traité de l’UE avec la Constitution polonaise. Il se prononce contre la suprématie absolue du droit de l’Union européenne. Cette décision scelle définitivement le désaccord entre les deux partis. Elle peut à terme menacer le financement du pays par l’UE et son appartenance à celle-ci. Le Polexit semble désormais inévitable.
La position paradoxale de la Pologne
Tout laisse à croire que la Pologne a fermement l’intention de quitter l’Union européenne. Pourtant, cette perspective de départ n’est absolument pas à l’ordre du jour. Le gouvernement polonais préfère le combat à la fuite et se lance dans une grande campagne de négociation et de justification.
Le Premier ministre polonais, Mateusz Morawiecki, s’est exprimé ce mardi à Strasbourg face aux euro-députés. Sa ligne de défense est claire : son pays est victime d’un chantage de la part de l’UE. Il dénonce aussi le fonctionnement des institutions européennes comme le Parlement qu’il juge « partial et arbitraire ». Il semble prêt à privilégier la voix de la confrontation, et ce car il dispose d’alliés au sein de l’Union européenne. D’autres pays d’Europe centrale partagent la position de la Pologne et font preuve d’un scepticisme grandissant à l’égard du système européen. C’est le cas de la Hongrie, dont les relations avec l’UE se sont également dégradées depuis l’arrivée au pouvoir de Viktor Orban. D’autres pays comme la Lettonie ou la Slovénie sont aussi à l’écoute des arguments polonais. L’objectif de la Pologne n’est absolument pas de quitter l’UE mais d’en changer les règles, le Polexit étant alors une pure fiction.
Si la Pologne adopte cette stratégie de défense, c’est aussi parce que la solution de sortie ne correspond pas à la volonté de la population. De nombreux rassemblements ont été organisés dans tout le pays pour montrer l’attachement du peuple polonais à l’Union européenne. Ils ont été à l’initiative de l’ancien Premier ministre et président du Conseil européen Donald Tusk.
Le politologue Jacques Rupnik, spécialiste de l’Europe centrale, explique dans un entretien à L’Express la vision de la population polonaise sur le bras de fer engagé avec Bruxelles :
« En Pologne, il y a une division entre les grandes villes, plus ouvertes, plus tournées vers l’Europe, et les petites villes et milieu rural, attentif au discours du PiS, ce qu’on retrouve dans la Hongrie de Viktor Orban ou la Slovénie de Janez Jansa. Cependant, plus de trois-quarts des Polonais ont confiance dans l’UE, montrent les sondages. Donc le PiS n’ira pas jusqu’à une sortie de l’UE. »
Dans le camp d’en face, la fermeté est également de rigueur. La Commission européenne, par le biais de sa présidente Ursula von der Leyen, annonce qu’elle « ne laissera pas ses valeurs communes être mises en danger ». Elle compte bien « faire respecter les principes fondateurs de l’UE ». Parmi les sanctions possibles, un retour de l’article 7 est évoqué, tout comme des sanctions financières. Les 36 milliards d’euros promis par l’UE à la Pologne dans le cadre du plan de relance pourraient ne pas être versés. L’Union européenne demeure inflexible et compte bien gagner son bras de fer. Sa légitimité est en jeu, une légitimité souvent remise en question au cours de son histoire.
L’incapacité de l’Union européenne à fédérer
Cette période de turbulence illustre une nouvelle fois l’incapacité de l’Union européenne à rassembler tous ses membres autour d’un cadre commun. Si on rembobine le film de la construction de l’UE, on constate qu’elle a souvent été parsemée de profonds débats et désaccords, et ce depuis les prémisses de son développement jusqu’à nos jours.
En 1948 naît le projet de création d’une union des États européens afin d’instaurer la paix dans un espace fracturé par les guerres. Le congrès de La Haye devait structurer cette idée mais il aura finalement fait un flop. Cet échec est dû à la confrontation de deux visions de l’Europe : une vision fédéraliste prônant la création d’une Europe supranationale au-dessus des États, et une vision unioniste d’une Europe intergouvernementale où chaque État conserve sa pleine souveraineté. Pour satisfaire un maximum de monde, le projet d’union des Etats européens va prendre forme autour d’un compromis d’idées fédéralistes et unionistes. La mésentente régnait déjà sur le type de gouvernance à adopter, alors même que l’UE, dans sa première version (la CEE en 1957), ne comptait que 6 États membres.
Des désaccords subsistent et freinent la mise en place de mesures concrètes. Un des épisodes les plus célèbres est celui de la « politique de la chaise vide ». Mécontente de la mise en œuvre d’une politique agricole commune et du passage du vote à l’unanimité au profit de celui à la majorité qualifiée, la France, à l’initiative du président Charles de Gaulle, va bouder les institutions européennes entre le 30 juin 1965 et le 30 janvier 1966. Cette crise sera finalement réglée par le compromis du Luxembourg qui laisse le recours au vote à l’unanimité pour les décisions importantes.
L’entente était déjà complexe à 6, alors imaginez la pagaille rencontrée par l’Union européenne avec son élargissement successif jusqu’à 28 membres en 2013. Comment faire cohabiter dans une même structure des États aux situations et ambitions politiques et économiques totalement différentes ?
La politique menée ne peut pas satisfaire tout le monde. Le constat d’impuissance est grandissant, ce qui aboutit à une hausse nette de l’euroscepticisme.
De plus en plus de pays affichent leur volonté de se détacher de l’UE. La Grande-Bretagne a franchi le pas en premier en votant par référendum sa sortie de l’Union européenne en 2016, départ officialisé en 2020. La Pologne pourrait être contrainte de céder aussi à cette tentation si elle ne parvient pas à trouver d’accord. Le scepticisme gagne même des États historiquement liés au projet européen. C’est notamment le cas de la France où plusieurs candidats à la prochaine élection présidentielle remettent en cause la primauté du droit européen et prônent la défense de la souveraineté nationale.
Au-delà de son combat face à la Pologne, l’Union européenne semble plus que jamais dans une impasse. L’issue de ce conflit risque d’être décisive car elle pourrait servir de jurisprudence et conditionner l’Europe de demain.
Etudiant en licence Information-Communication. Rédacteur dans la rubrique Sport car passionné de rugby, de football, de sports mécaniques, de handball…bref, fan de sport en général.
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