PFAS : le poison invisible coule à flots 

PFAS : le poison invisible coule à flots 

Ce 20 février, les députés voteront une loi encadrant les « polluants éternels », ces substances chimiques indestructibles qui s’accumulent dans les rivières, les eaux de pluies, les sols, l’air et même dans nos organismes. C’est la crise de pollution la plus grave que l’humanité n’ait jamais été confrontée, et elle est invisible.

Les Substances Per-et polyFluoro Alkyles (PFAS) représentent plus de 14 000 produits chimiques utilisés depuis les années 1950 pour leurs diverses capacités à résister à la chaleur, à l’eau et à la graisse. Ils sont employés dans la chimie et l’aérospatiale, la construction, l’électronique mais aussi le secteur de l’énergie (éoliennes, batteries de véhicules électriques, pompes à chaleur, climatiseurs, etc). On les retrouve dans la quasi-totalité de nos objets du quotidien, nos ustensiles de cuisine, nos vêtements, nos meubles, dans les insecticides, dans les emballages alimentaires, dans la mousse anti-incendie…

Une contamination invisible à l’œil nu 

Les PFAS, ces molécules chimiques indestructibles rejetées dans la nature, ont des effets très toxiques et dévastateurs dans les écosystèmes. Leur extrême persistance dans l’environnement en fait une menace éternelle. Aucune tempête, aucune bactérie dans la nature ne parvient à dégrader ces polluants. Pas même par l’intervention humaine. Une fois émis, ils sont là pour des centaines, voire des milliers d’années.

Rejetés dans les eaux usées ou dispersés sur les sols, les PFAS polluent les nappes et les cours d’eau. Relâchés dans l’air, ils retombent sur les sols et la végétation L’eau potable est massivement contaminée, notamment dans les grands espaces urbains.  Des enquêtes menées par des collectifs scientifiques et des laboratoires rendues publiques ce 23 janvier 2025 démontrent que la quasi-totalité des Français, et globalement des Européens, sont exposés à ces substances toxiques par le biais de l’eau de boisson à des taux excédant le seuil théorique de qualité. Notre composition sanguine à tous comporte désormais des PFAS et les enfants naissent “prépollués” par ces composés très toxiques pour la santé. L’exposition à ces composés est déjà reliée à une liste de maladies dont le nombre ne cesse de s’allonger : cancer, infertilité, endométriose, troubles métaboliques, toxicité pour le rein, le foie ou encore le système immunitaire. Le centre international de recherche sur le cancer a classé lors d’une enquête menée en 2023 le PFOA et le PFOS, les deux PFAS historiques, cancérigènes pour l’humain.

Un scandale environnemental et industriel

Depuis près de quinze ans, la journaliste d’investigation Stéphane Horel travaille sur les PFAS. Elle est responsable d’une enquête collaborative qui unit plus de 45 journalistes à travers l’Europe, le Forever Lobbying Project qui s’associe à un travail d’experts, de scientifiques, de criminologues, de collectifs, d’ONG, des chercheurs juristes qui ont recensé les usines qui produisent les PFAS, les zones contaminées ou potentiellement contaminées sur le vieux continent. En France, on compte cinq usines de fabrication avec des taux pharaoniques de substances chimiques déversées dans les cours d’eau à proximité. À la suite de la publication de l’enquête, le scandale devient rapidement une affaire d’État. Pourtant, ces externalités négatives de l’industrie chimique sont connues depuis très longtemps. Les journalistes de l’enquête ont eu accès à des documents internes des industriels qui s’inquiétaient déjà de la pollution dans la nature dans les années 1970. Concernant les PFAS, un soupçon de toxicité apparaît dès 1961. Cela n’a pas empêché la société DuPont de truffer les produits de consommation et de multiplier les applications industrielles avec ces composants chimiques pour développer des marchés. Cette inaction a un coût très élevé.

Issue d’un travail inédit d’agrégation de données, une “une carte de pollution éternelle”, publiée début 2023 par les Décodeurs du journal Le Monde et ses dix-sept partenaires de l’enquête collaborative internationale  Forever Pollution Project , a permis de visualiser pour la première fois l’ampleur de la contamination de l’Europe par ces substances toxiques et indestructibles. Les résultats sont accablants. Près de 23 000 sites sont classés contaminés. Chacun de ces sites a fait l’objet de prélèvements dans l’eau, dans les sols ou dans des organismes vivants, effectués par des équipes scientifiques et des agences environnementales entre 2003 et 2023.

Une prise de conscience ?

À la suite des résultats de l’enquête, quatre pays, l’Allemagne, le Danemark, la Suède et la Norvège, se sont associés pour proposer une restriction universelle, c’est-à-dire de tout l’univers chimique des PFAS, puis une interdiction totale dans le cadre de la Réglementation chimique européenne. Mais cette proposition est encore à l’étude. Comme tous les processus européens, les étapes sont très sinueuses. Le combat sera très long avant d’obtenir des solutions concrètes face à cette crise environnementale.

Lundi 17 février de cette année, la ministre de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher, a annoncé que le gouvernement de François Bayrou soutiendra l’adoption de la loi interdisant certaines molécules PFAS. Ce texte de loi avait été proposé par les députés écologistes dans le cadre de leur “niche” parlementaire et sera voté jeudi 20 février. Député de Gironde et rapporteur de la proposition de loi, Nicolas Thierry rappelle qu’il “faut faire adopter le texte de manière conforme, si un seul amendement est adopté, le projet de loi sera renvoyé au Sénat, et on repartira pour la navette parlementaire”. Mais en prévision des discussions et du vote qui se dérouleront à cette date fatidique, 17 amendements ont été déposés, dont 14 par le Rassemblement national, ce qui pourrait ralentir les démarches de plusieurs mois, voire de plusieurs années. Ce premier pas fragile mais peu apprécié vers une restriction de produits toxiques, voire mortels pour l’homme, témoigne de notre acharnement à notre propre destruction.

Crédits photo : Coastal Review 

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