Parasite: La propagation d’un succès

C’est avec un mélange d’admiration et d’étonnement que l’Oscar du meilleur film, prix cinématographique le plus prisé au monde, vient d’être décerné à « Parasite », premier long-métrage étranger dans l’histoire de la cérémonie à recevoir ce Graal. Une décision ayant créé la surprise générale mais qui n’est pas dénuée de sens lorsqu’on connaît le parcours déjà très prolifique du film depuis sa première projection.

Le foyer du virus

A l’origine de la perle filmique venue d’Asie, un homme, Bong Joon-ho. Le réalisateur n’en est pas à son coup d’essai, ayant déjà remporté nombre de victoire et de prix malgré certains moment difficiles. Avec son premier court-métrage « White man », le jeune Sud-Coréen remporte un prix au Shin-Young Youth Movie Festival en 1995. Son talent commence à se faire ressentir lorsque sort son deuxième long-métrage intitulé « Memories of murder » en 2003. Basé sur des faits réels, le film traite de l’histoire des premiers meurtres en série commis en Corée du Sud, comptabilisant 10 victimes entre 1986 et 1991, toutes des femmes violées et assassinées sauvagement. L’œuvre installe profondément Bong Joon-ho dans le gratin des meilleurs réalisateurs de l’état, rencontrant un succès commercial immense au pays des matins calmes. Il lui permet aussi d’exporter la culture cinématographique de son pays à l’international, qui s’accompagne d’un chaleureux accueil critique en remportant quelques prix étrangers tel que celui du festival du film policier de Cognac de 2004 en France.

La reconnaissance de ses pairs étant acquise et le reste du monde commençant à découvrir le cinéma sud-coréen sous un autre œil, le réalisateur continue sur sa lancée avec « The Host », sortit en 2006. Le thriller fantastique conquiert le public comme la critique et finira même par être désigné comme le 4ème meilleur fil de la décennie 2000-2009 par les Cahiers du cinéma (revue de cinéma française créée en 1951). Sa réputation n’étant plus à faire, Bong Joon-ho sort les grands moyens pour « Snowpiercer : le Transperceneige », bijou de science-fiction adapté de la célèbre Bande dessinée française et majoritairement tourné en anglais. Le film s’offre un budget pharamineux, le plus cher dans l’histoire du septième art sud-coréen, et un casting international avec en tête d’affiche Chris Evans (aujourd’hui mondialement connu pour son rôle chez Marvel de Captain America).

A la suite de cette sortie, la renommée de Bong Joon-ho ne cesse de s’accroitre et son talent est reconnu à sa juste valeur. C’est pour cette raison que Netflix lui accorde son entière confiance en lui donnant les moyens nécessaire afin qu’il réalise son prochain film, « Okja » qu’il dépeint comme un croisement entre « The Host » et « Snowpiercer ». Avec une nouvelle fois un casting multiculturel et un budget confortable, l’énième succès du réalisateur n’évitera pas les critiques négatives et sera bousculé par le public lors de sa projection au festival de Cannes. Victime du contentieux entre la plateforme de vidéo à la demande et le monde du cinéma, le film sera diffusé malgré les huées et problèmes techniques qui surviendront, puis sera encore malmené durant plusieurs jours.

Avec ce parcours rocambolesque, le cinéaste est maintenant devenu une star adulé en Corée et se voit recevoir comme un invité d’honneur aux plus grands festivals internationaux. Bong Joon-ho peut maintenant se targuer d’être devenu le porte étendard du cinéma de genre sud-coréen, encore peu représenté en salles. Ses films noirs, avec leur part de mystère, de violence et d’absurde trouvent leur public grâce des thèmes connus mais revisités à la sauce Joon-ho, souvent doté d’un double message politique et social, par exemple sur l’impérialisme américain avec « The Host » ou encore l’inégale répartition des richesses dans « Snowpiercer ».

Triomphe infectieux

Fort de son expérience passée et après avoir digéré les piques arbitraires à propos de son dernier film. Le cinéaste décide de revenir en force avec un retour aux bases qui lui ont permis de se faire connaître. A savoir un film noir et intriguant, tourné dans sa langue natale, composé d’un casting exclusivement sud-coréen et se déroulant à Séoul. « Parasite » sort donc en 2019. L’œuvre est présenté par le réalisateur comme une « tragicomédie impitoyable et cruelle ». De quoi se questionner suite à une promotion en dévoilant le moins possible sur les éléments du film. Mais voilà le peu de choses que le cinéphile prévoyant était autorisé à connaître : Toute la famille de Ki-taek est au chômage, et s’intéresse fortement au train de vie de la richissime famille Park. Un jour, leur fils réussit à se faire recommander pour donner des cours particuliers d’anglais chez les Park. C’est le début d’un engrenage incontrôlable, dont personne ne sortira véritablement indemne… (Résumé officiel du distributeur français The Jokers). La troupe de « Parasite » mise donc sur un sentiment de frustration et de curiosité qui pourrait pousser le spectateur à vouloir absolument éclaircir les zones d’ombres autour du genre précis et de la trame du film.

Il fallait ensuite un élément déclencheur, qui rajouterait du poids et de la crédibilité derrière le nom de Bong Joon-ho, pour susciter assez d’intérêt sur un film dont on ne sait pratiquement rien, dans une ère d’impatience où chaque long-métrage attendu fait l’objet de multiples teasers et bande-annonce pour alimenter l’attention du public. Et la contamination a commencé à Cannes, le festival qui avait pourtant laissé un goût amer dans la bouche du réalisateur lorsqu’il avait présenté « Okja ». Pour sa 72ème édition, le jury offre en quelque sorte une agréable compensation à Bong Joon-ho en lui attribuant la Palme d’or. Dans la presse cannoise, c’est l’effervescence, et le public ne demande qu’à voir l’œuvre asiatique qui a su conquérir les jurés. Ainsi, c’est avec habilité que The Jokers, le distributeur français du film, avait prévu sa sortie en salle une semaine seulement après la tenue du festival, pour que la captation du public n’ai pas le temps de retomber, faute de bande-annonce et d’informations marquantes. Le réalisateur avait d’ailleurs écrit une lettre à l’attention des journalistes présents à la projection du film pour qu’ils ne dévoilent que l’essentiel de l’intrigue.

Comme l’indique le bref résumé, « Parasite » est un film sur les inégalités sociales en Corée du Sud, mais qu’on pourrait imaginer se dérouler n’importe où dans le monde. Le fil conducteur de l’histoire se concentre sur la rencontre entre deux univers sociaux diamétralement opposé, ceux venant du bas et désirant simplement survivre en profitant de la crédulité des plus riches, et ceux venant du haut espérant mener un vie paisible et rendue moins pénible par l’asservissement des plus pauvres. On imagine les tensions que cela pourrait provoquer, mais le problème étant que toute personne allant voir le film ne dispose que d’un minimum d’éléments, qui ne sont en fait qu’une vitre teintée dissimulant des secrets et des rancœurs auxquelles on ne s’attendait pas forcément, d’un côté comme de l’autre. Les retournements de situations surprenants et les réactions qui semblaient jusqu’alors inenvisageable scotchent le spectateur à son siège et tissent un scénario nous faisait comprendre de façon rare le sens du mot suspens. 

Pandémie cinématographique

Et ce suspens si bien mené, ce sentiment d’angoisse à l’approche d’une situation dont on avait envisagé toutes les facettes mais qui nous bluffe quand même a fini par payer. Car après s’être transmis et propagé en France grâce au festival de Cannes, « Parasite » a poursuivi son chemin évoluant du stade de simple virus à celui de véritable Pandémie. Allant au-delà des 165 millions de dollars de recettes, il devient le plus gros succès du réalisateur depuis « The Host ». En termes d’entrée, le bouche à oreille a agi comme un moyen de transmission efficace, attirant plus d’1 millions de spectateurs en France, près de 200 000 personnes en Russie et permet au film de devenir le plus gros coup commercial pour un long-métrage coréen en Nouvelle-Zélande et en Australie.

Cet afflux massif dans les salles a été semble-t-il approuvé par les jurys des plus grands festivals internationaux de cinéma. Sa Palme d’or en poche, « Parasite » s’offre le luxe de rafler de nombreux prix, avec souvent celui du meilleur film en langue étrangère, notamment aux BAFTA et aux Golden Globes. Mais à l’image du suspens poignant du film, personne n’était prêt pour le raz de marée qu’il a généré aux Oscars, repartant avec 4 statuettes. Dont une fois de plus celle du meilleur film en langue étrangère (qui passe encore sous le nez de notre Ladj Ly national avec « Les Misérables »), et sans prévenir celle du meilleur film, plongeant Bong Joon-ho dans un rêve éveillé. Le prix du meilleur réalisateur et du meilleur scénario viendront clore cette cérémonie riche en rebondissement.

Le chef d’œuvre sud-coréen est donc dorénavant inscrit en lettre d’or dans l’Histoire du septième art, comme le premier long-métrage étranger à remporter l’Oscar du meilleur film, et comme un membre du cercle très fermé de films détenant à la fois l’Oscar ultime et la Palme d’or. Si la ribambelle de prix que traîne l’œuvre derrière elle vous a enfin convaincu d’aller le contempler, sa version cette fois-ci en noir et blanc lui octroie une résurrection temporaire dans les salles françaises depuis ce mercredi, alors profitez-en ! Quoi qu’il en soit, Bong Joon-ho aura réussi son retour aux sources d’une main de maître en nous délivrant un scénario inimaginable à la fois au sein d’un film, mais également dans une réalité qui actuellement ne nous surprend plus assez souvent. 

 

Crédits photos: Allo-ciné, AFP

Joachim Tissot 

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