Aucune citation ou aucun mot ne seraient appropriés pour mettre en relief ce qu’implique une atteinte à la liberté d’expression. Parce que dans « liberté d’expression », il y a bien entendu « liberté ». Un droit revendiqué et défendu par-delà les siècles, quelle que soit l’ethnie, la sexualité, l’origine ou la manière de voir le monde. Parce que dans « liberté d’expression », il y a également « expression ». Une action que les enfants intègrent dès le plus jeune âge, au même titre que le mouvement. L’homme est un animal social, qui a besoin de la parole, de communiquer. Mettez à mal cette liberté d’expression, et ce n’est finalement pas un, mais bien deux droits fondamentaux de l’être humain qui sont bafoués et écornés.
Les faits : le réveil de souvenirs enfouis
Comme un air de déjà-vu. Ce vendredi 25 septembre, deux individus, des salariés de l’agence de presse Premières Lignes, sont blessés à l’arme blanche dans le 11e arrondissement de la capitale. Le lieu de l’attaque n’est pas anodin, puisqu’elle se déroule non loin des anciens locaux de Charlie Hebdo. D’après 20 Minutes, le principal suspect, un homme de 18 ans, pensait bien s’attaquer aux locaux de Charlie. Toutefois, c’était sans savoir que dans le difficile contexte du procès des attentats de 2015, le journal satirique a changé de siège pour un endroit tenu secret. En effet, la republication des caricatures de Mahomet a fait couler beaucoup d’encre. Reste à savoir si l’entreprise du jeune suspect est liée à un réseau islamiste ou non.
Retour cinq ans en arrière : les terribles assassinats de Charlie Hebdo
L’attaque du vendredi 25 n’est pas sans rappeler la tuerie du 7 janvier 2015 à Paris, l’un des trois attentats revendiqués par l’organisation islamiste Al-Qaïda. 11 personnes sont assassinées dont 8 membres de la rédaction après avoir caricaturé le prophète Mahomet. Parmi eux, d’illustres dessinateurs, Cabu, Charb et Wolinski, punis pour avoir exercé leur passion. Après cet attentat, un des plus meurtriers de l’histoire de France (à l’époque), un vent de révolte mêlée à une solidarité inédite souffle sur le globe, un vent qui aurait de quoi faire rougir les alizés caribéens. En effet, les 10 et 11 janvier 2015, des manifestations ont lieu dans Paris, portées par le fameux « Je suis Charlie ». Les Français ont l’habitude de critiquer leurs journaux, ils ont parfois un manque de confiance envers leurs médias, mais l’indignation provoquée par les tueries de Charlie a mis une chose en évidence : les Français aiment leurs journalistes, ainsi que leur liberté d’expression. Les chiffres sont ahurissants : selon Le Monde, 265 villes françaises dénombrent au moins 1000 personnes à leur manifestation. 44 dirigeants de pays participent au cortège parisien du 11 janvier 2015 (c’est dire le retentissement qu’a eu cette affaire à l’échelle mondiale). En tout, le nombre total de manifestants à travers la France est estimé à plus de 4 millions sur les deux journées, dont 1,5 million le 11 janvier à Paris.
La liberté d’expression : Oui, mais dans quelles mesures ?
Pour bien comprendre en quoi la liberté d’expression est essentielle au bon fonctionnement d’une société, il faut tout d’abord la cadrer. La cadrer pour limiter les débordements d’une part, mais également pour que la liberté d’expression garde de sa légitimité. Donnez tous les jours un bonbon à un enfant, il ne comprendra pas pourquoi il n’en a pas le jour où vous lui en refuserez. Les articles 10 et 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen stipulent « que nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi », et que « tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre à l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ». Mais cette loi, que dit-elle ? Elle reste très floue, puisqu’elle garantit bien évidemment la vie privée (article 9 du Code Civil), condamne les diffamations (article 29 à 32 de la loi de 1881) et les incitations à la violence, terrorisme (article 227-24 du Code Pénal)… mais rien ne justifie une atteinte à la liberté d’expression, et encore moins dans le cas extrême d’une tuerie. La presse est protégée par la loi du 29 juillet 1881 dans laquelle son expression est garantie tout en définissant des limites: les atteintes à l’honneur ou à la considération d’un citoyen, les offenses au président de la République, ou encore la publication d’actes d’accusation ou de procédure criminelle sont strictement interdites.
Fin de la liberté d’expression : que cela impliquerait-il ?
5 ans après l’attentat de Charlie Hebdo, la question de la liberté d’expression revient donc peu à peu au goût du jour, notamment à cause de l’attaque au hachoir de ce mois de septembre. Comme dit plus haut, il semble nécessaire de défendre coûte que coûte cette liberté, puisque la force de la presse réside bien entendu dans son panel de points de vue, qui lutte indirectement contre l’uniformisation des sociétés. Lorsque le journaliste travaille, taille son information, il est forcément influencé par sa subjectivité. Et c’est ce qui fait la beauté de notre paysage médiatique. Charlie Hebdo, un journal laïc et anticlérical, qui se fait censurer, ou pire, qui se fait tuer pour ses idées, c’est finalement la porte ouverte à une société autoritaire, dans laquelle il n’y aurait qu’une seule et même manière de voir le monde. En plus d’être muselé, ce monde serait bien moins coloré.
Corentin Madères
Crédits photo : Dessin de Stephff, trouvé sur Infomeduse
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