Mafia : entre mythe et réalité

En Italie, les mafias règnent en maître. Entre drogue, trafics, guerres sanglantes et liens avec le monde politique, elles ne cessent d’accroître leur puissance. L’imaginaire collectif, alimenté par la fiction, a fortement contribué à l’essor des légendes mafieuses. Mais qui sont-elles réellement ?  

 

Un État dans l’État 

Dans le pays, quatre mafias dominent : la Camorra dans la région de Naples, la Ndrangheta en Calabre, la Cosa Nostra en Sicile et la Sacra Corona Unita dans les Pouilles La plus puissante de toute est la Ndrangheta, elle est considérée par les États-Unis comme étant l’organisation criminelle la plus puissante au monde.

Cette dernière est présente dans les hautes sphères italiennes. Une enquête menée par le parquet de Reggio révèle l’infiltration de la mafia calabraise dans l’État. Cette révélation montre toute l’ampleur de la ‘Ndrangheta en Italie, c’est un véritable État dans l’État auquel les autorités ont affaire

 

Source : L’Express 

 

‘Ndrangheta : un procès hors-norme 

Plus de 350 accusés400 avocats et 900 témoins attendus, voici les chiffres d’un des plus grands procès anti-mafia d’ItalieÀ la barre, des membres présumés de la ‘Ndrangheta et leurs associés, des élus de gauche et de droite, des cols blancs qui selon les enquêteurs étaient à la botte de la mafia. La plupart ont été arrêtés lors d’un vaste coup de filet des autorités italiennes en décembre 2019. Ce procès historique a pour but de mettre en lumière l’infiltration de cette mafia dans de nombreux secteurs d’activité et leur enracinement dans la société italienne. L’éventail des crimes reprochés aux accusés est assez large : association maffieuse, trafic de drogue, vol, extorsion, blanchiment d’argent, meurtres… Ce procès durera au moins deux ans.

 

Crédits : AFP

 

Cette mafia calabraise était peu connue car elle a longtemps été considérée comme archaïque, pratiquant l’enlèvement contre rançon. L‘Ndrangheta était bien loin derrière la Cosa Nostra sicilienne. Mais la réalité c’est qu’aujourd’hui, elle est la plus dangereuse, sans doute la plus riche et surtout celle qui est la plus capable de s’étendre à l’étrangerSa spécificité est sa présence dans le secteur illégal de la criminalité organisée, mais elle exerce aussi une emprise sur l’économie et la politique qui lui permet de contrôler des territoires entiers.  

Une personne est à l’origine de ce procès, Nicolas Gratteri, un procureur mais surtout l’ennemi numéro un de la mafia calabraise. Depuis de nombreuses années, il mène une lutte acharnée contre la ‘Ndrangheta. Vivant depuis 1986 sous escorte policière, il est l’un des premiers à lancer l’alerte sur l’infiltration de la mafia dans les milieux politiques et économiques du pays.  

Le procès de la mafia calabraise est donc un grand coup des autorités italiennes puisqu’il montre à la mafia qu’elle n’est pas invincible. Il aussi pour but de rassurer les citoyens car les mafias terrorisent les populations. En effet, afin d’affaiblir la mafia, la police leur retire des terres, récupérées par la suite par des citoyens. Cependant, ces derniers sont victimes de représailles et d’intimidation, les effrayant encore plus.  

Toutefois, même si 300 accusés paraît être un chiffre énorme, il est assez faible compte tenu des milliers d’affiliés qui forment la ‘Ndrangheta. Ici, c’est une partie de la mafia calabraise qui est ciblée. Même s’ils ressortent avec de lourdes peines, les autorités italiennes sont bien loin de se débarrasser totalement des mafias. Surtout que d’autres clans sont présents sur tout le territoire, avec la Cosa Nostra en Sicile, la Camorra à Naples…  

Entre corruption, trafics de drogue, extorsion et crimes, nous sommes devant un réel cercle vicieux qui terrorise certains et en fait rêver d’autres.

 

Du berceau italien… 

La mafia apparaît en Sicile au milieu du XIXe siècle. Petit à petit ces groupes mafieux se sont implantés sur l’ensemble de l’île. La longévité de son pouvoir peut s’expliquer par son ancrage territorial, son caractère structuré, mais surtout par les liens étroits qu’elle entretient avec la classe politique. Pendant longtemps, la Cosa Nostra a été la mafia la plus puissante d’Italie. Cependant d’autres groupes mafieux se sont développés au fil des années dans d’autres régions d’Italie, provoquant ainsi une rivalité entre les mafiosos.

Les mafias se distinguent entre elles par leurs modes de fonctionnement. La Cosa Nostra était au départ basée sur le contrôle de grandes propriétés agraires, avant de se rabattre sur le trafic de drogues.  

La ‘Ndrangheta, s’est faite connaître par ses horribles enlèvements. Elle est aussi impliquée dans des affaires financières, de trafic de drogues, de contrebande et de racket. Née en Calabre, elle s’est très vite développée au niveau international, et est en lien aujourd’hui avec des cartels de drogue latino-américains. Cette mafia exerce aussi un pouvoir important aux États-Unis. Elle est aujourd’hui l’organisation criminelle la plus puissante au monde, avec plus de 50 000 membres et un chiffre d’affaires de 50 milliards d’euros.  

La Camorra napolitaine se caractérise par des clans fonctionnant de manière autonome. Cette mafia urbaine possède donc une grande diversité d’activité comme l’extorsion, le racket, le trafic d’armes et de stupéfiants, de cigarettes ou d’œuvres d’art.  

Enfin, la plus récente est la Sacra Corona Unita, dont les activités de contrebande de tabac, trafics de drogues, d’armes et d’immigrés clandestins, s’étendent en Europe de l’Est.  

Ces mafias ont un point commun important qui les rend encore plus fortes : leur pouvoir est tel qu’elles peuvent frapper n’importe où, à tout moment.

 

… à la « mafiatisation » du monde 

Ah l’Italie ! Le pays des spaghettis, des pizzas au pepperoni et de Mario Balotelli ! Consciente de ses atouts, la Botte jouit d’une culture singulière et mythifiée. Justement, selon La Tribune de Provence-Alpes-Côte d’Azur, l’export était en 2019 le moteur de l’économie transalpine. Preuve que les effluves italiens font encore et toujours rêver. De plus, cette information n’est pas totalement insensée au vu du processus de « mafiatisation » du monde. Ce néologisme semble assez bien résumer l’exportation de l’esprit mafia, propre à l’Italie, jusqu’au fin fond de l’Albanie, en passant par la Turquie, la Chine, et les calanques marseillaises 

La mafia et ses codes, qui, comme nous l’avons vu, diffèrent en tout point des autres forment de « Gang », envahissent le monde depuis plus d’un siècle. Alors ? Appropriation culturelle ? Volonté italienne ? La question semble complexe. Pourtant, l’attrait de nombreuses populations pour ce que nous appellerons la « philosophie mafieuse » peut s’expliquer par la diversité de ses origines. Si en effet les régions méridionales italiennes semblent être les berceaux des plus puissantes et traditionnelles mafias du monde, l’article de Kolë Gjeloshaj Hysaj‘Ndrangheta et autres mafias italiennes : des influences culturelles balkaniques ? nous apprend qu’il y a un apport culturel certain des populations des Balkans, qui ont migré dans la Botte au XVe siècle.  

Finalement, une philosophie issue de la diversité n’a d’autre choix que de redevenir une culture sans frontières. Et c’est le cas de la philosophie mafieuse après sa parenthèse italienne.  

 

Le constat est donc simple : nous retrouvons aujourd’hui des formes de mafias partout dans le monde. 

 

Depuis 1990, la mafia albanaise a un poids important en Europe, notamment dans la distribution de cocaïne ou d’héroïne, mais aussi dans d’autres activités criminelles. Le crime organisé albanais est soumis à un code d’honneur, le Kanun, qui date à peu près du XVe siècle (coïncidence ? Je ne pense pas). Nous constatons entre autres une codification de la pratique de la vendetta, une loi du silence efficace, et un sens aigu des liens du sang : pas de doute, tous les ingrédients pour la « recette mafieuse » sont réunis.  

Les Triades chinoises sont les descendantes de la Triade originelle, société secrète patriote qui prospère entre le XVIIe et le XIXe siècle. Désormais, depuis 1950, cette organisation n’est plus que l’ombre d’elle-même, en se centrant principalement sur le crime organisé : trafic de drogues et violence sont au cœur de leurs activités. Respectées par le gouvernement, les Triades chinoises ont encore aujourd’hui un poids important dans la vie politique du pays.

 

Crédits : Atlantico

 

Dans l’Hexagone, le crime organisé est indissociable de la ville de Marseille. Le Milieu marseillais, comme il est appelé, se développe lors de la Belle époque, dans laquelle nous retrouvons une économie informelle qui pèse tous les ans davantage. L’essor du port de Marseille, place importante du commerce international, fait entrer la ville dans l’engrenage de la drogue. Après la diversification des activités criminelles marseillaises par les parrains François Spirito et Paul Carbone, le Milieu atteint son apogée dans les années 1960 alors que la ville est au cœur d’un trafic international d’héroïne. Il est toutefois important de préciser que le crime organisé marseillais doit aussi sa légende à l’imaginaire collectif et à un certain nombre de films qui ont fait de cette ville « la capitale du crime en France » 

 

Quand le mythe rattrape la réalité 

Oui, la mafia est une réalité. Oui, la mafia a une influence sur l’économie et les systèmes politiques. Oui, la mafia n’hésite pas à utiliser la violence lorsqu’il le faut. Et oui, la mafia est un contre-pouvoir effrayant. 

Pourtant, cela serait mentir que de dire que la mafia ne doit pas une partie de sa renommée à un sous-genre de film policier, à savoir les films de gangsters ou de mafieux. Développé dans les années 1920 avec le crime organisé américain et ses figures telles qu’Al Capone, ce style de film connaît son âge d’or dans les années 1970. L’intrigue est racontée du point de vue d’un criminel ou de son organisation, ce qui pousse le spectateur à s’attacher à ce qui parait être au départ un antagoniste.  

 

C’est en 1972 que sort le film référence, qui va pendant longtemps devenir l’une des principales sources d’informations sur la mafia : Le Parrain, de Francis Ford Coppola. On suit l’histoire de Don Vito Corleone, chef de la famille mafieuse Corleone. Ce film iconique a consolidé le mythe de la « bonne mafia », juste et honorable. De plus, cette œuvre a participé à la création de la légende du parrain mafieux sûr de lui, charismatique et respecté de tous. La superbe performance de Marlon Brando, alors au sommet de son art, permet d’étendre ce caractère charismatique à l’ensemble de la famille.

 

Source : Allociné

 

Rosario Giovanni Scalia, dans son analyse Mafieux ou héros ? Mythes et motifs tragiquesrelève deux points particulièrement intéressants : grâce à ce film, la mafia est tout d’abord ennoblie aux yeux de ses autres membres, mais elle est également « « promue » et entourée d’une aura prestigieuse auprès de l’opinion». En mettant l’accent sur l’immigration, Le Parrain explique de manière sous-jacente que les « bons mafieux » sont en réalité des hommes issus des classes populaires. Tout le cadre est construit de manière à défendre cette idée, en donnant à la mafia une image de Robin des Bois moderne : une famille unie avec un sens de l’honneur à toute épreuve, qui affronte un gouvernement corrompu.  

L’œuvre de Coppola a finalement bouleversé à la fois les codes du réel de la mafia, mais aussi le regard que le monde porte sur elle. Rosario Giovanni Scalia, dans son analyse, affirme même que les agissements de la Cosa Nostra ont évolués après la sortie du film. L’organisation essaya en effet de se ranger du côté de la « bonne mafia », comme si elle s’était finalement faite engloutir par sa propre légende 

 

Alors, maintenant que vous avez toutes les cartes en main, à vous de nous dire. Est-ce la réalité qui influence la fiction, ou bien la fiction qui bouleverse la réalité ?

 

Corentin Madères et Raphaël Douenne

 

Crédits photo :  Le Parrain de Francis Ford Coppola 

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