Les Aborigènes sans “ Voix “

Les Aborigènes sans “ Voix “

Les Australiens ont rejeté le référendum sur les droits des populations aborigènes, samedi 14 octobre. Après le comptage des voix de trois-quarts des bureaux de vote du pays le soir du scrutin, plus de 55 % des électeurs ont dit “ non “ au texte qui proposait notamment de reconnaître, constitutionnellement, les Aborigènes comme les premiers habitants de l’île.

Le projet prévoyait de créer un conseil consultatif, “la Voix”, auprès du Parlement et du gouvernement. Ce conseil aurait eu la possibilité d’émettre des avis sur les lois et les politiques publiques affectant les Aborigènes et les insulaires du détroit de Torres. Les autochtones représentent 984 000 personnes, soit 3,8 % de la population du pays-continent.

Le Premier ministre australien, Anthony Albanese, a réagi en déclarant : “ Ce soir, je tiens à reconnaître que pour de nombreux aborigènes et insulaires du détroit de Torres cette campagne a été un fardeau lourd à porter. Et ce résultat sera très difficile à supporter “. Anthony Albanese était très impliqué dans ce projet de réforme. Il a lancé un dernier appel aux électeurs le jour du vote.

La campagne qui a précédé ce vote a été particulièrement acrimonieuse et a creusé les divisions raciales dans le pays.

 

Vague de désinformation

Il y a encore un an, cet échec paraissait inimaginable. Au début de la campagne, le camp favorable au changement de la Constitution de 1901 était largement majoritaire. Mais au cours de ces derniers mois, il n’a pas cessé de perdre du terrain. Une des raisons est la campagne menée par l’opposition conservatrice, dirigée par l’ancien ministre de la Défense Peter Dutton.

Le camp conservateur a présenté la réforme comme un bricolage constitutionnel qui aurait créé des divisions au sein de la société. Pour lui, ce projet aurait par exemple instauré une distinction de citoyenneté.

Pour le directeur de la campagne “ Yes23 “, Dean Parkin, “ C’est un résultat difficile, un résultat très difficile “. La campagne en faveur de la réforme avait été visée par de nombreux commentaires racistes sur les médias en ligne. De fausses informations ont été partagées, polluant la campagne. Certaines affirmant, par exemple, qu’en cas d’adoption de la réforme, les titres de propriété pourraient être remis en cause ou encore que des réparations pourraient être versées.

La campagne de l’opposition conservatrice a particulièrement ciblé les indécis en les encourageant à voter “ non “. Un de ses slogans les plus populaires était “ Si vous ne savez pas, votez “ non “. Selon Dominic O’Sullivan, professeur de sciences politiques à l’Université Charles Sturt en Nouvelle-Galles du Sud (Australie), “ la dévalorisation de la démocratie qui sous-tend ce slogan est extraordinaire. Il a rendu l’ignorance socialement acceptable pour de nombreuses personnes “.

Depuis le début de la campagne, une multiplication d’attaques racistes sur les réseaux sociaux et en personne a été constatée. Cette vague de racisme à l’égard des autochtones risque d’augmenter après ce résultat négatif. Pour le professeur O’Sullivan, “ le “ non “ est une incroyable affirmation de la puissance coloniale “.

 

“Semaine de silence”

Les partisans de “La Voix” espéraient que cette réforme aiderait à panser les plaies vives d’un passé colonial, empreint de répression raciale. Ils voyaient en ce référendum un moyen d’unir le pays. Les Australiens autochtones ont les mêmes droits que les autres citoyens, plus de 200 ans après la colonisation britannique. Malgré tout, ils souffrent toujours de fortes inégalités.

Les ancêtres des aborigènes d’Australie se sont installés sur l’île il y a environ 60 000 ans. Les aborigènes sont reconnus comme l’une des plus anciennes cultures au monde. 235 ans après l’arrivée des premiers colons britanniques, ils ont une espérance de vie inférieure de huit ans à celle des autres Australiens. Ils sont en moyenne plus pauvres, plus souvent incarcérés et ont un accès moindre à l’éducation. Les aborigènes ont dû se battre pour obtenir certains droits fondamentaux comme le droit de posséder leurs terres traditionnelles ou le pouvoir d’être élus au Parlement. Ils n’ont obtenu le droit de vote au niveau fédéral qu’en 1962.

Les populations aborigènes d’Australie ont exprimé leur amertume et leur colère après le rejet de la réforme. Certains de leurs responsables ont appelé à “ une semaine de silence “ afin de faire le deuil de l’échec du référendum. “ La vérité est que nous avons proposé cette reconnaissance et qu’elle a été refusée. Nous savons maintenant où nous en sommes dans notre propre pays “, ajoutent leurs représentants. Pour un groupe d’associations de défense des Aborigènes, des millions d’électeurs australiens ont négligé l’opportunité de réparer la “ dépossession brutale “ de leur peuple.

Pour la militante aborigène et universitaire Marcia Langton, “ la réconciliation est morte “.

Le Premier ministre Anthony Albanese a appelé la nation divisée à s’apaiser “ dans un esprit d’unité “. Il a promis que son gouvernement continuerait à travailler pour assurer la reconnaissance des peuples autochtones, même si les options à disposition restent floues.

Le vote était obligatoire pour les 17,5 millions d’électeurs australiens. Pour être adoptée, la réforme devait recueillir une majorité de votes au niveau national, mais aussi dans au moins quatre des six Etats du pays. Elle n’a obtenu aucune de ces deux conditions. Avec plus de 70% des bulletins dépouillés dimanche 15 octobre, il est ressorti que 60% des Australiens ont voté “ non “ à la question de savoir si la Constitution de 1901 devait être modifiée.

“ Nous n’acceptons pas un instant que ce pays ne soit pas le nôtre “, clament les chefs aborigènes dans une lettre ouverte, lundi 23 octobre. Le temps n’est pas à la résignation.

Crédits photo : Tim Lin – Pixabay

Lily REY

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