Jean d’O, une vie bien remplie, même pour un immortel

Deux voix de la France se sont éteintes en deux jours, Mardi 5 et Mercredi 6 décembre. Retour sur la vie extraordinaire de l’acteur, académicien, écrivain, journaliste, philosophe et secrétaire général de l’UNESCO, Jean d’Ormesson.

“Vous savez, c’est très mauvais pour un écrivain de mourir par exemple en même temps qu’Edith Piaf.” Qu’en est-il de mourir en même temps que Johnny ?

 

Petite vidéo :

 

          A chaque Jean son grand chanteur, après Cocteau, Jean d’O, qui avait presque réussi à nous convaincre qu’il était immortel, s’est éteint à l’âge de 92 ans. Il ne voulait pas mourir en même temps qu’un grand chanteur, il aura au moins raté cela.

ll y a peut-être autre chose. Lui qui ne voulait pas de la pompe républicaine a eu droit à un hommage national dans la cour des invalides ce vendredi 8 décembre.

L’académicien, le symbole, l’homme de lettres, l’exquis, s’est éteint dans la nuit de mercredi 6 décembre, laissant derrière lui ses paroles d’une profonde légèreté. Retour sur le parcours d’un homme, sous bien des aspects, exceptionnel.

Le 18 octobre 1973, il est élu au fauteuil de Jules Romains. Il est sacré par l’Académie française à 48 ans après à la publication de son roman La gloire de l’Empire.

A l’époque, les commentateurs estiment que c’est “l’homme d’un seul livre” qui a été consacré, quel manque de clairvoyance… Après des études à l’Ecole normale supérieure de Paris et un passage éclatant à l’UNESCO, Jean d’Ormesson devient le plus jeune des immortels.

L’Académie encore en 1980. L’ex directeur du figaro de 1974 à 1977, plutôt conservateur donc, milite pour la modernisation de l’institution. Il soutient en interne la candidature de Marguerite Yourcenar, afin “qu’être une femme ne suffisse plus pour être empêché de s’asseoir sous la Coupole”. Le 6 mars 1980, elle devient, grâce à lui, la première femme académicienne. Lors de son discours de réception, elle fera référence à Jean d’Ormesson, le remerciant de l’avoir soutenue.

Jean d’O serait-il un progressiste refoulé ? Sans doute est-il simplement ouvert. Il aime discuter avec ses adversaires de gauche.

En 1995, François Mitterand l’invite à l’Elysée quelques heures à peine avant la passation de pouvoir.

Lorsque le futur ex-président lui demande s’il est libre ce matin du 17 Mai Jean d’Ormesson est d’abord surpris. Il n’a rien de prévu, mais le président, lui, est occupé. Il doit passer ses pouvoirs à Jacques Chirac à 11 h le jour même.

Le président lui propose alors de venir à 9 h. Les deux hommes discuteront ensemble pendant deux heures, jusqu’à une minute avant la passation. Son adversaire politique était, par là même, son ami lointain. En 2012, il interprétera d’ailleurs son rôle dans “Les saveurs du palais” (Film de Christian Vincent avec Catherine Frot).

Le 17 Avril 2015, l’entrée dans la pléiade de l’auteur fait polémique. La collection créée en 1931 et récupérée par Gallimard depuis 1933 ne publie que les plus grands auteurs français et mondiaux, presque toujours à titre posthume. Seulement 15 auteurs y sont déjà entrés de leur vivant, et pas des moindres. Parmi eux, Marguerite Yourcenar (encore elle), Eugène Ionesco, André Malraux ou encore André Gide. Beaucoup voient dans cette publication la volonté d’Antoine Gallimard de donner un coup de pouce à son ami tout en boostant les ventes de la maison, car l’auteur fait vendre.

Peut-être ont-ils vu juste, car une seule chose obsédait Jean d’Ormesson, la postérité. Il affirmait que si on lui donnait le choix entre “ 200 000 lecteurs aujourd’hui ou 2 millions, ou peut-être 300 après sa mort”, il choisirait les 300.

“Allez savoir celui qu’on lira dans 30 ans ?”. Certainement l’immortel d’Ormesson.

Un autre de ses motifs de satisfaction était la jeunesse de son lectorat, j’ai 20 ans et me voilà en train de faire son éloge.

Alors, après tant de réussites, Jean d’Ormesson a-t-il vraiment raté cette “toute petite chose” qu’est sa mort ? S’endormir dans son lit d’un sommeil éternel n’est pourtant pas si mal. Quant à l’hommage national, le président de la République a lui-même demandé pardon, “pardon, pour ne pas l’avoir tout à fait écouté, pardon pour cette pompe qui n’ajoute rien à sa gloire”.

Il a ensuite placé sur sa tombe un crayon. Je dirais malgré tout que sa mort fut belle.

Share

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *