Etats-Unis : l’investiture de Biden sous pression

Après 49 ans de carrière et deux tentatives avortées d’accès à la présidence, le démocrate Joe Biden est officiellement devenu ce mercredi 20 janvier le 46ème Président de l’histoire des États-Unis. A 78 ans, il détient le record du Président le plus âgé à entrer à la Maison Blanche, record auparavant détenu par son prédécesseur et opposant Donald Trump.

 

Une organisation sous tension

La cérémonie d’investiture, tenue mercredi en fin d’après-midi (heure française), s’est déroulée sous très haute surveillance. Suite aux émeutes du 6 janvier dernier, causées par l’intrusion de centaines de partisans de Donald Trump au sein du Capitole à Washington, les mesures de sécurité ont été revues à la hausse, donnant naissance à des images inédites : grillages, barbelés et blocs de béton ont barricadé l’ensemble de la zone afin de protéger les monuments en cas d’attaque, donnant des airs de base militaire à une capitale ordinairement festive en ce jour de célébration.

Mais l’image la plus marquante de cette journée historique restera très certainement celle de l’omniprésence du personnel de sécurité : près de 25 000 gardes nationaux et quelques milliers de policiers ont été méticuleusement choisis pour assurer la sécurité du Président en devenir et de son public lors de l’inauguration. Les soldats présents sur les lieux ont été « passés au crible », a affirmé le général Daniel Hokanson à CBS quelques jours avant la cérémonie : l’éventualité d’une menace provenant de la sécurité intérieure elle-même était effectivement redoutée par les principales agences de sécurité américaines, dont le FBI et les services secrets, qui ont publié un rapport conjoint sur le sujet le 14 janvier dernier. Il semblerait que 12 soldats aient été écartés de l’évènement à l’issue de ces contrôles d’antécédents poussés : parmi eux, certains auraient notamment affiché leur sympathie envers des groupuscules d’extrême droite à travers des publications sur Internet.

Malgré tout, la menace s’est avérée n’être pas uniquement intérieure : une note interne du FBI, divulguée le 11 janvier par le groupe ABC, annonçait le danger imminent d’un « groupe armé identifié » s’apprêtant à « prendre d’assaut » des structures gouvernementales dans l’ensemble des Etats américains, et ce jusqu’à l’investiture officielle du Président. La menace a rapidement été écartée, mais les fervents opposants de Biden se sont tout de même montrés bien décidés à en découdre : un homme lourdement armé, transportant plus de 500 cartouches de munitions, a été arrêté vendredi 15 janvier à Washington alors qu’il tentait de s’introduire dans l’enceinte du Capitole, muni d’une fausse accréditation pour la cérémonie d’investiture.

Des festivités tout en retenue

Malgré l’importance de l’évènement, les festivités n’ont cette année pas pu se dérouler comme à l’accoutumée, pour des raisons de sécurité mais également pour des raisons sanitaires.

Le National Mall, place emblématique des États-Unis sur laquelle se rassemblent habituellement des centaines de milliers de citoyens américains lors des cérémonies d’investiture, s’est retrouvée complètement déserte… ou presque, puisque se tenaient à la place de la foule quelques 200 000 drapeaux des États-Unis, fièrement dressés afin de représenter symboliquement le soutien du peuple américain. Les traditionnels dîner et bal du soir ont été tout simplement annulés, malgré l’attachement de la sphère politique à ces coutumes distinguées : le gouvernement et Joe Biden lui-même ont en effet tenu à célébrer les évènements en respectant autant que possible les mesures sanitaires imposées par l’épidémie de COVID-19, qui a à l’heure actuelle causé plus de 400 000 morts dans le pays.

Malgré tout, l’évènement s’est voulu festif et bien entendu patriotique, et il n’est plus à prouver que les américains savent faire le show en toutes circonstances : la cérémonie s’est ouverte sur une interprétation puissante de l’hymne américain par la chanteuse et star internationale Lady Gaga, suivie de la non moins célèbre Jennifer Lopez interprétant « This Land is Your Land », ode à la grandeur et à la beauté des États-Unis. Le chanteur de country Garth Brooks, qui avait ironiquement refusé de participer à la cérémonie d’investiture de Donald Trump il y a quatre ans, a lui interprété la célèbre chanson « Amazing Grace » devant l’Assemblée. Une parade virtuelle à travers les 56 Etats et territoires américains a également eu lieu à partir de 21h15 (heure française) ; mais le moment le plus attendu par le public était peut-être l’émission du soir de 90 minutes présentée par l’acteur Tom Hanks, intitulée Celebrating America (célébrer l’Amérique) : celle-ci a réuni des stars telles que John Legend, Katy Perry ou encore Bruce Springsteen aux côtés de « héros du quotidiens », avec notamment une institutrice, un chauffeur-livreur et même un jeune bénévole de 8 ans. Joe Biden et sa femme Jill Biden, enseignante et nouvellement Première Dame, étaient bien sûr présents lors de l’émission, accompagnés de la participation pré-enregistrée des trois ex-Présidents Barack Obama, Bill Clinton et George Bush.

Et maintenant ?

Les années Biden annoncent une politique bien différente de celle des années Trump. Le fossé entre les deux Présidents, qui n’a eu cesse de se creuser au cours de la campagne présidentielle, a été bien visible mercredi lors de la cérémonie d’investiture. Le mot d’ordre de la journée ? « Unité ». Martelé par le nouveau Président lors de son discours d’inauguration et répété dans un nouveau discours télévisé lors de l’émission du soir, l’unité est selon Biden le principe qu’il souhaite mettre au fondement de sa politique et de ses décisions.

« Je serai un Président pour tous les américains, même pour ceux qui ne m’ont pas soutenu » a-t-il affirmé, certainement comme une première tentative pour rassurer les supporters de Trump, en grande partie farouchement opposés à Biden. Dans un discours assurant que cette victoire n’était « non pas la victoire d’un candidat, mais celle d’une cause : la démocratie », le nouveau Président se positionne comme celui qui veut rallier le peuple américain, profondément divisé, affirmant qu’il n’était « pas question d’opposer les ruraux contre les urbains, les libéraux contre les conservateurs ».

Tant sur la politique interne qu’externe, Joe Biden se démarque de son prédécesseur : il a déjà exprimé son souhait d’apaiser les tensions politiques avec les gouvernements étrangers, tensions vivement intensifiées lord du mandat Trump, et de remédier à la colère du peuple américain, notamment sur les questions de justice sociale et raciale. Il a par ailleurs entamé la signature de plusieurs décrets dès son investiture, notamment afin d’annuler certaines décisions prises par Donald Trump : il a ainsi lancé le processus de réintégration des Etats-Unis dans l’accord de Paris pour le climat et annulé un décret interdisant l’arrivée sur le territoire de membres de plusieurs pays musulmans ; il aurait également suspendu la construction du mur séparant le pays du Mexique. Il aurait ainsi pris 17 décisions dès son arrivée à la Maison Blanche, en rendant par exemple obligatoire le port du masque dans les établissements fédéraux ou encore en ordonnant aux agences fédérales d’enquêter sur les inégalités au sein de leurs programmes et politiques.

L’administration Biden veut ainsi se montrer progressiste, et compte parmi ses membres la première femme Vice-Présidente de l’histoire des Etats-Unis, l’ex-procureure générale et sénatrice de Californie Kamala Harris, qui est également la première personne afro-américaine et asio-américaine à occuper ce poste. Cette femme charismatique est devenue au cours de la campagne démocrate un véritable symbole, symbole de diversité, de progrès, tranchant totalement avec le duo Donald Trump – Mike Pence.

Cette nouvelle Vice-Présidente aura un rôle d’autant plus important lors du mandat puisqu’en tant que Présidente de la chambre haute au Sénat, divisé en 50% de républicains et 50% de démocrates, elle aura le pouvoir de faire basculer le vote si besoin est. Elle constitue également la candidate favorite du camp démocrate pour la prochaine campagne présidentielle, Biden risquant de ne pas se présenter de nouveau en raison de son âge. Mais malgré les nombreuses promesses de ce nouveau duo, une grande partie du peuple américain reste méfiante, certains pointant du doigt le passé politique des deux démocrates.

Et Donald Trump, dans tout ça ? Le Président sortant a fait le choix, annoncé déjà depuis plusieurs jours, de ne pas assister à la cérémonie d’investiture de Joe Biden ; rompant avec la tradition, cette situation ne s’était pas produite depuis plus de 150 ans. Son Vice-Président, Mike Pence, s’est quant à lui rendu à la cérémonie. L’ex-Président s’est donc adressé mercredi matin à une foule de supporters dans un discours d’adieux retransmis à la télévision, juste avant de s’envoler une dernière fois à bord de l’avion présidentiel Air Force One vers sa résidence privée de Mar-a-Lago, en Floride, où il compte s’installer. Malgré les tensions encore vives entre républicains et démocrates, Donald Trump encourage le nouveau gouvernement : « Je souhaite bonne chance et du succès à la nouvelle administration. Je pense qu’ils auront du succès. Ils ont les bases pour faire quelques chose de spectaculaire. » Mais, curieusement, celui-ci achève son discours sur une phrase pleine de suspense : « C’est juste un au revoir. Nous vous aimons. Nous serons de retour d’une manière ou d’une autre. Ayez une bonne vie, nous nous reverrons bientôt. »

Affaire à suivre…

Romane Pelletier

 

Crédits photos : Kevin Lemarque/Reuters / Samuel Corum/Getty Images/AFP / Susan Walsh/AFP via Getty Images /Andrew Caballero-Reynolds/AFP / Reuters / EFE

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