Entre Bogota et l’EMC, la paix peine à triompher

Entre Bogota et l’EMC, la paix peine à triompher

Ce 17 mars signe la trêve entre le gouvernement colombien et l’EMC des Farcs (État-major central des Forces armées révolutionnaires de Colombie). Suite à la violation des accords de paix, le président Gustavo Petro cherche à condamner ces guérilleros par une justice sereine. Analyse d’une décision susceptible d’accroître les chances d’une escalade de la violence.

Le dimanche 17 mars 2024, dans le département de Cauca, une communauté indigène s’interpose dans la tentative de capture d’un adolescent. Une femme de 52 ans se retrouve tuée par balle pour sa résistance au groupe armé. L’État-major central est tenu responsable de cette action violente. Leurs cibles sont souvent d’innocents civils autochtones et des dirigeants paysans. Cette attaque n’en est donc qu’une parmi d’autres. En 2023, quatre mineurs tentent de fuir l’organisation terroriste, en vain. Assassinés, ils ne peuvent témoigner de la brutalité des agissements de cette branche des Farcs, pourtant ces meurtres apparaissent bel et bien sur les radars des membres du gouvernement de Colombie.

Drapeau blanc en berne

Face à ces agissements, le premier président colombien de gauche entend bien faire valoir sa politique de “paix totale”. Sans manquer de rappeler la gravité des injustices commises, Gustavo Petro s’engage à capturer vivant le commandant du groupe ennemi Ivan Mordisco. Dans cet objectif, le politique s’accorde à l’Association des conseils communaux indigènes du nord du Cauca (ACIN) sur la nécessité de défendre la communauté de cette région marquée par près de cinq massacres depuis le début de l’année (d’après Indepaz, Institut d’études pour le développement et la paix). En 2023, Bogota parvient à un accord censé pacifier le pays et limiter les mouvements de rebelles de façon drastique. C’est ce qu’explique Gustavo Petro dans la prise de parole suivante : “Nous avons convenu un cessez-le-feu bilatéral avec l’ELN (Armée de libération nationale), la Segunda Marquetalia (dissidents des Farc), l’État-major central, les AGC (Autodéfense gaïtanistes* de Colombie) et les forces d’autodéfense de la Sierra Nevada, du 1er janvier au 30 juin 2023, dont la prolongation dépendra des progrès réalisés dans les négociations”.

Prolongée jusqu’à 2024, cette suspension prend fin et annonce, selon le ministère de la Défense, “la reprise des opérations militaires offensives et des opérations policières à partir de 0h00 contre les structures de l’État-major central.” L’objectif est donc le démantèlement, le désarmement sans céder à la tentation d’une traque vengeresse dépourvue des principes moraux dignes d’un régime présidentiel.  

À couteaux tirés

L’EMC est une faction dissidente du mouvement communiste des Farc né à la fin des années 1960. Ils aspirent à plus qu’une simple défiance de l’autorité établie, une véritable motivation ethnico-politique est en jeu. La naissance de ces guérillas provient d’une période historique du pays latin, familier avec des politiques d’austérité qui oscillent entre libéralisme et conservatisme. Pour lutter contre l’oppression des autorités, ils se permettent de procéder à des prises d’otages et à toute sorte de crimes contre l’humanité d’autant plus facile à réprimer depuis la dissolution des Forces armées révolutionnaires de Colombie. Aujourd’hui, le paysage politique n’est plus le même et plusieurs révolutionnaires voient l’influence de la légitimité de leur combat s’amenuiser grâce à l’arrivée de chefs d’Etats qui cherchent à briser le cycle de la violence.

Un lourd passif pèse sur les épaules de l’exécutif et de l’armée. Tous deux tentent de se défaire de la corruption endémique qui sévit dans le pays depuis plusieurs décennies. Entre les alliances organisées avec des unions paramilitaires d’extrême-droite, les négociations menées avec des gangs de narcotrafiquants et les liens établis avec des guérilleros marxistes, assainir l’image du gouvernement semble loin d’être chose aisée. Pour s’assurer que la mission du corps militaire soit comprise sans ambiguïté, Gustavo Petro va même jusqu’à s’écrier lors d’un discours public : “Je veux qu’ils capturent Ivan Mordisco vivant, pas qu’ils le tuent (…) Je veux qu’il soit vivant pour qu’il aille parler en prison, parce que ce genre de confusion ne m’intéresse pas. Nous avons fait la paix il y a 30 ans et je tiens parole, nous avons déposé les armes.”

Environ 90 groupes politiques et criminels armés menacent la paix des habitants du pays sud-américain. Un bilan inquiétant qui entraîne des avis divers. Bien qu’une voie de médiation puisse sembler impossible pour certains, pour d’autres le chemin qu’emprunte Bogota peut servir d’exemple à l’échelle internationale.

* mouvement inspiré des idées de Jorge Eliécer Gaitán (1898-1948), un politique colombien influent devenu le symbole d’une révolution populaire

Inès Mbemba Kabuiku

Crédit photo : Nell Haynes

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