Le 24 janvier dernier, les forces militaires du Burkina Faso ont pris le pouvoir et destitué le président Roch Kaboré. Il s’agit du 8e coup d’état dans le pays depuis 1960, année de son indépendance.
*Burkina Faso est le nom donné au pays par Thomas Sankara en 1984. Issu de plusieurs dialectes africains, Burkina Faso signifie « Pays des Hommes Intègres ».
La prise de pouvoir par la junte
Dimanche 23 janvier, la tension monte au Burkina Faso. Le peuple proteste – une fois de plus au cours des derniers mois – contre l’inaction du pouvoir face à la menace djihadiste, dont les forces armées se recentrent sur le pays. Plusieurs mutineries ont lieu dans les casernes militaires : en colère contre un gouvernement passif, les soldats réclament davantage de moyens pour pouvoir lutter. Ils appellent également au départ de certains chef d’armée, qu’ils considèrent incompétents face au danger terroriste. La colère des Burkinabés se ressent d’autant plus à Ouagadougou, la capitale, où le siège du parti présidentiel est saccagé. Le Burkina Faso est prêt à céder à la tentation d’un coup d’état, comme ce fut déjà le cas ces derniers mois dans plusieurs pays de la région du Sahel. Le jour des émeutes, comme alerté par un pressentiment, le président Roch Kaboré admet sur son compte Twitter que sa nation « vit des moments difficiles ».
Il publie : « J’invite ceux qui ont pris les armes à les déposer dans l’intérêt Supérieur de la Nation. C’est par le dialogue et l’écoute que nous devons régler nos contradictions. » Son appel ne suffit pas. Après un week-end emplis d’incertitudes et d’inquiétudes pour les burkinabés, lundi 24 janvier, les forces militaires du pays prennent parole sur la chaîne publique RTP. Le journal télévisé classique laisse place à un nouveau présentateur : Kader Ouedrago et son équipe. Ce dernier est le porte-parole de Paul-Henri Sandaogo Damiba, le président du Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR). Texte à la main, il annonce le coup d’état qui vient de survenir à Ouagadougou : « Le mouvement qui regroupe toutes les composantes des forces de défense et de sécurité a ainsi décidé de mettre fin au pouvoir de Monsieur Roch Marc Christian Kaboré ce 24 janvier 2022. Une décision prise dans le seul but de permettre à notre pays de se remettre sur le bon chemin, et de rassembler toutes ses forces afin de lutter pour son intégrité territoriale, son redressement, et sa souveraineté. »
Selon lui, le président Roch Kaboré a été démis de ses fonctions de manière non-violente, et se trouve en sécurité. Un modération remise en cause par plusieurs journalistes sur le terrain, qui trouvent à proximité de la résidence de l’ex-chef de l’État des véhicules criblés de balles et tâchés de sang. Le jour suivant, la chaîne RTP publie sur son compte Twitter une lettre de démission signée par l’ex-chef de l’état. La lettre est signée, la page est tournée : après 6 ans au pouvoir, Roch Kaboré n’est officiellement plus président du Burkina Faso, et laisse place aux forces militaires du MPSR.
Les origines d’un énième coup d’État
Il ne s’agit pas du premier putsch militaire du pays. Depuis son indépendance en 1960, l’ex-colonie française a déjà connu huit coups d’états au cours de son histoire. Les protestations qui secouent le pays depuis toutes ces années semblent successivement trouver leur solution dans ces prises de pouvoir informelles, laissant de côté une manière plus classique et modérée : celle des élections présidentielles. Pourtant, en 2015, Roch Kaboré était le premier président civil à être élu démocratiquement par les Burkinabés. Un vrai changement alors que le gouvernement avait toujours été formé par les forces militaires. Dans ce cas, quelles sont les raisons qui ont conduit Kaboré à être démis de ses fonctions lors de son second mandat ? A l’origine du putsch, l’insatisfaction des Burkinabés et notamment de l’armée à l’égard de l’ex-président, en grande partie liée à la menace terroriste. Durant les sept dernières années, les attaques djihadistes contre les forces armées et le peuple burkinabé se sont multipliées.
Frappes à Ouagadougou entre 2016 et 2018, assauts dans les milieux ruraux, attaques contre l’Ambassade de France et l’État major des forces armées… la menace est réelle et toujours d’actualité. Selon le journaliste spécialiste Antoine Glaser, des groupes armés affiliés à Al-Quäida et à l’État Islamiste sont actuellement positionnés au Nord et à l’Est du pays. Face à ces offensives, l’armée burkinabè est prête à défendre sa nation, mais manque de moyens. En effet – et cela peut s’expliquer par le nombre de putschs militaires dans l’histoire du Burkina Faso – le président Kaboré a toujours eu une défiance à l’égard de son armée. Par conséquent, malgré la menace djihadiste, il n’a jamais souhaité la réformer ni lui accorder davantage de moyens. De même, Kaboré s’est toujours montré distant vis-à-vis de la France et de l’appui militaire qu’elle pouvait lui apporter. Même s’il avait accepté la présence exceptionnelle de l’opération Sabre, il a toujours rejeté l’idée d’une opération Barkhane dans son pays. Comme l’explique Antoine Glaser sur France24 : « […] il ne tenait pas à avoir une opération Barkhane dans son pays parce que Barkhane, c’est quand même une force conventionnelle à l’ancienne que la jeunesse africaine considère comme un retour aux années de la France-Afrique. »
Un coup d’État à la fois approuvé…
Si les forces armées étrangères ont été rejetées par Kaboré au cours de son mandat, leur soutien pourrait néanmoins s’avérer utile pour le Burkina Faso. En effet, les jours qui ont précédé la prise de pouvoir par la junte militaire ont été l’occasion pour l’armée burkinabè et les militaires de l’opération Barkhane de s’allier contre la menace terroriste. Une opération fructueuse selon l’état-major de l’armée française. Le 30 janvier dernier, ce dernier a annoncé via un communiqué : « A quatre reprises, entre le 16 et le 23 janvier 2022, différents groupes de terroristes ont été localisés, identifiés et neutralisés par les forces burkinabées et par les unités de “Barkhane” ». Une coopération qui a mené à la mort d’une soixantaine de djihadistes – « mis hors de combat » selon les dires de l’état-major. Ce bilan vient appuyer les arguments de la junte contre l’inactivité de l’ex-chef de l’état face à la menace terroriste.
Et si le coup d’état tient ses origines du côté des militaires, il est aussi approuvé par une partie non-négligeable du peuple burkinabé. En effet, depuis le début de la présidence de Roch Kaboré en 2015, les attaques djihadistes ont fait plus de 2000 victimes et 1 million et demi de déplacés. Ainsi, les citoyens sont eux-aussi bien conscients du manque d’efficacité du pouvoir face à cette menace. Outre ce point crucial, des bruits de corruption se sont aussi répandus sur Kaboré. Un bond en arrière regrettable, alors que dans les années 1980 Thomas Sankara avait nettement lutté contre cette faille du système politique. Le peuple burkinabé est donc grandement déçu de la gouvernance de Roch Kaboré et de ses promesses non-tenues. Le mauvais résultat de la lutte antiterroriste place le besoin de sécurité des citoyens au premier plan. Seidik Abba, journaliste spécialiste du Sahel, explique qu’il y a bel et bien une adhésion populaire au coup d’état, bien qu’elle soit contradictoire avec les volontés de démocratie des burkinabés.
…et contesté.
Par contraste, une autre partie du peuple burkinabé, elle, ne défend pas le coup d’état et semble plutôt placer la nécessité démocratique au premier plan. C’est également le point de vue de plusieurs instances internationales qui ont réagi face au putsch. Le nouveau parti à la tête du pays, le MPSR, a pourtant bien tenté de rassurer quant à sa prise de pouvoir : lors de l’annonce du coup d’état, les militaires ont assuré qu’un calendrier du retour à l’ordre constitutionnel serait publié dans un délai raisonnable. Trois jours après, jeudi 27 janvier, le président du parti Paul-Henri Sandaogo Damiba a lui annoncé un « retour à une vie constitutionnelle normale » dès que les conditions seront réunies. Mais ces allocutions télévisées n’ont pas suffit à la communauté internationale qui conteste vivement le coup d’état. L’ONU a tout d’abord demandé la « libération immédiate » de Roch Kaboré, toujours détenu en résidence surveillé. La CEDEAO (Communauté Economique des Etats d’Afrique de l’Ouest), elle, a suspendu le Burkina Faso de son organisation. Dans un communiqué, elle affirme « son engagement total en faveur du principe de tolérance zéro pour l’accession au pouvoir par des moyens anticonstitutionnels ». De même, le lendemain de la prise de pouvoir, Emmanuel Macron a fait savoir qu’il condamnait le coup d’état militaire. Le putsch est donc principalement blâmé par le peuple burkinabé et à l’international pour son caractère anti-démocratique. Ces mises à l’écart du Burkina Faso par les organisations internationales pourraient poser difficultés au nouveau pouvoir. En effet, ce lundi, l’Union Africaine a fait savoir elle aussi qu’elle suspendait le pays de son organisation. Une coopération avec les différentes organisations des pays de l’Afrique de l’Ouest s’annonce donc compliquée pour le MPSR. De même, de nouvelles réponses internationales devraient survenir dans les prochains jours, a commencer par celle de la délégation-conjointe de la CEDEAO et de l’ONU qui se rend au Burkina Faso aujourd’hui.
Ainsi, tandis que le procès sur l’assassinat de l’ancien-dirigeant Thomas Sankara vient d’être suspendu, les questionnements quant à la nouvelle transition gouvernementale sont nombreux. A l’époque, dans les années 1980, le célèbre « héros de la jeunesse africaine » avait donné de réelles impulsions au Pays des Hommes Intègres. Émancipation des femmes, modernisation du pays, regain de dignité pour les citoyens… les progrès ont été nombreux sous sa gouvernance. De telles évolutions pourraient-elles se produire sous le pouvoir de Paul-Henri Sandaogo Damiba ? La question reste en suspens est pleine de doutes, car si le coup d’état effectué par Sankara en 1983 a donné lieu à plusieurs évolutions positives au Burkina Faso, ce qui résultera du coup d’état du MPSR reste encore à définir.
Etudiante en licence information-communication/anglais, je m’intéresse un peu à tout : dessin, peinture, musique, astronomie, langues étrangères… J’aime garder un œil sur le monde qui nous entoure et écrire sur des sujets qui m’accrochent.