COP 28 : quand un géant du pétrole se convertit à la lutte écologique

COP 28 : quand un géant du pétrole se convertit à la lutte écologique

Ce jeudi 30 novembre débute la 28ème édition de la COP à Dubaï. L’homme d’affaires et ministre émirien désigné Président de la conférence, Ahmed Al-Jaber, place les énergies fossiles au cœur du débat cette année.

Durant deux semaines, plus de 70 000 personnes participeront à des réunions, conférences et sommets destinés à faire avancer la lutte contre le dérèglement climatique. La société civile, les ONG et les dirigeants politiques de 197 pays se réunissent pour réfléchir à des solutions innovatrices, en se concentrant particulièrement sur l’abandon des énergies fossiles.

En janvier dernier, la présidence de la COP 28 est confiée au Sultan Al-Jaber, PDG du groupe Abu Dhabi National Oil Company et ministre de l’industrie des Emirats Arabes Unis. La décision est prise, un sultan pétro-gazier dirigera les discussions sur l’avenir de notre planète. Un choix absurde pour nombre d’ONG et d’activistes écologiques. Les métaphores s’enchaînent rapidement : c’est comme confier la garde du poulailler au renard, ou “nommer le patron d’une entreprise de tabac à la tête d’un congrès sur la lutte contre le cancer” selon l’ONG 350.org. Greta Thunberg réagit immédiatement : cette nomination est “complètement ridicule” selon elle.

La société craint alors le risque de conflit d’intérêt. En tant que Président de cette édition de la COP, Al-Jaber doit conserver un rôle neutre, et ne doit pas faire de la COP 28 une campagne de lobbying. D’autant plus que ce n’est pas la première fois qu’on accorde une place de choix aux lobbies des industries très polluantes. En 2022, 630 lobbyistes étaient présents en Egypte. Rachel Rose Jackson, membre de l’ONG Corporate Accountability, nous rappelle l’importance de laisser plus de place à la société civile. Il faut inclure ceux qui sont le plus touchés par le changement climatique : les habitants des pays du Sud. L’ONG de Rachel R. Jackson veillera à ce qu’on leur laisse une voix au même titre que les grandes entreprises tout au long de la conférence de Dubaï.

D’autres activistes ne sont pas aussi alarmistes, et voient même une immense opportunité dans la nomination d’Al-Jaber. Avec un géant du pétrole à la tête des négociations, “la question des énergies fossiles sera enfin au centre d’une COP”, déclare Gaïa Febvre, responsable “politique internationale” au Réseau Action Climat. La question des fossiles n’a encore jamais figuré dans un accord final de Conférence des Parties.

Un Président de la COP 28 qui prend son rôle à cœur

 Malgré les critiques, Ahmed Al-Jaber assume pleinement ses responsabilités. En tant que directeur de la COP 28, il est chargé de pousser certains sujets au premier plan et d’orienter les discussions qui auront lieu au cours des deux semaines. L’une de ses idées phares, qu’il présente comme une véritable révolution, est d’inclure le secteur privé dans le débat. Selon lui, la lutte écologique est un effort collectif auquel toutes les industries doivent prendre part, en particulier les industries privées. Depuis sa nomination, Al-Jaber renouvelle les discours en insistant fortement sur cette volonté. “Tout le monde doit assumer ses responsabilités et rendre des comptes. Cela inclut toutes les industries, notamment les industries très émettrices comme l’aviation, les transports, l’aluminium, le ciment, l’acier ainsi que l’industrie pétrolière et gazière”, a-t-il déclaré. Ainsi, il espère atteindre un objectif d’ 1,5°C de réchauffement de la planète par rapport à la période préindustrielle. L’un des enjeux de la COP 28 est de parvenir à un accord qui engagerait tous les secteurs dans un même objectif.

Al-Jaber veut aussi convaincre les producteurs de pétrole d’investir dans les énergies renouvelables, afin d’enclencher une transition écologique à l’échelle globale. Son rôle de PDG de compagnie pétrolière peut lui donner la légitimité nécessaire pour exercer son influence sur les producteurs pétro-gaziers. François Gemenne, co-auteur du sixième rapport du GIEC publié en 2023, pense que le fait d’avoir choisi Dubaï pour la COP 28 est très pertinent afin “d’impliquer les autres pays producteurs dans la discussion.”

Les espoirs et les désillusions

Entre les critiques des ONG et les promesses d’Al-Jaber, que peut-on réellement espérer de la COP cette année ?

L’objectif premier est de parvenir, à l’issue des deux semaines de discussions, à établir un bilan mondial. Les 197 Etats présents doivent s’accorder sur deux points : un bilan des mesures prises jusqu’à présent, et de nouvelles ambitions précises pour les années à venir. La négociation du bilan mondial est l’un des rendez-vous les plus importants depuis la signature de l’accord de Paris lors de la COP21 en 2015. Suite à la ratification de ce bilan mondial, chaque Etat aura jusqu’à 2025 pour proposer une stratégie de réduction d’émissions au niveau national. Mieux vaut espérer que cet accord soit assez robuste pour obliger les Etats à réagir.

L’implication progressive de certaines grandes entreprises dans la cause de la transition écologique à de quoi redonner de l’espoir aux activistes écologiques. En effet, ce dimanche 26 novembre, la Tribune Dimanche a publié une tribune appelant aux investissements dans la transition écologique. Soixante grands patrons français des secteurs de l’énergie, des transports et du BTP ont signé la tribune. Un tel engagement rappelle l’importance de l’accélération d’une transition écologique qui pousserait les entreprises à changer d’énergie, à former les différents acteurs économiques et à investir dans des modèles de production décarbonés. Les dirigeants signataires de la tribune, dont Anne Rigail d’AirFrance ou Patrick Pouyanné de TotalEnergies, parlent d’une “nouvelle prospérité compatible avec les limites de notre planète”.

Mais en ce qui concerne le reste du monde, il est très difficile de connaître les intentions des gouvernements avant la fin de la COP. Outre la Russie, qui a déjà annoncé s’opposer à la démocratisation des énergies renouvelables, nombreux sont les pays comme l’Inde qui changent régulièrement de position concernant les énergies fossiles. Pour la plupart, il s’agit des pays en développement qui comptent sur l’aide économique des pays les plus avancés en matière d’écologie. La promesse des 100 milliards d’euros annuels d’aide à la transition, faite par les pays du Nord en 2007, n’a pas suffisamment été respectée jusqu’à aujourd’hui.

François Gemenne perçoit le golfe Persique, dont font partie les Emirats Arabes Unis, comme “un pont entre le Nord et le Sud”, ce qui donnerait à la conférence de Dubaï l’opportunité de faire s’accorder différents points de vue autour de la question climatique.

Carla Defay

Crédits photo: UNclimatechange – Flickr

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