Cher Père Noël…

Cher Père Noël, 

 

Nous sommes début décembre, et je ne peux m’empêcher de penser à toi. Au milieu des publicités festives, des décorations féeriques, et des téléfilms de saison, ton aura est omniprésente. Comme tous les ans, les guirlandes colorées descendent le long du sapin de mon petit village girondin. Elles réveillent, le temps d’un mois, un petit bourg d’à peine 4 000 habitants, qui s’endort au mois d’octobre et qui hiberne en attendant l’été. Comme tous les ans, ma crèche est méticuleusement installée sur le buffet de mon salon. Non pas par convictions religieuses, mais plutôt par respect des traditions, et par amour du vaste patrimoine historique de l’Hexagone. Comme tous les ans, partout où je suis, tu es là aussi.  

Tu sais, j’ai longtemps hésité à t’écrire. Peut-être est-ce parce que le temps ne s’y prêtait pas. Un été indien jusqu’en novembre, de la pluie depuis le début de cet ultime mois de l’année, mais aucun flocon de neige à l’horizon. Ou alors peut-être est-ce parce que je n’avais pas envie de recevoir une lettre renvoyée de manière automatique depuis Libourne, ton secrétariat. J’ai toujours aimé me sentir différent, alors tu imagines bien que recevoir la même réponse que tous les autres gamins… Enfin bref, après maintes réflexions, j’ai décidé de traverser mon jardin dans le vent et la pluie pour aller chercher quelques bûches, puis j’ai lancé un feu de cheminée. Tu sais, le genre de feu qui réchauffe à la fois le corps et le cœur. Confortablement installé, armé de mon plus beau stylo, bien décidé à prendre contact avec toi, j’étais prêt à commencer ma lettre. 

 

Tu sais cette année n’a pas été de tout repos. Il y a peine un an, le passage d’une décennie à une autre nous enthousiasmait, porté par de l’espoir à perte de vue. Pourtant, la réalité nous a vite rattrapés. 2020 nous a enlevé des personnalités qu’on pensait immortelles, et des individus qu’on croyait éternels. 

Le légendaire arrière des Lakers, Kobe Bryant, s’en est allé, tout comme la reine des romans à suspense, Mary Higgins Clark. Mais même dans la nuit, le renard a la possibilité d’y voir clair. 

L’institution policière, celle censée incarner les valeurs démocratiques, a fait couler beaucoup d’encre. Mais aussi beaucoup de sang. Rouge comme la couleur de ton manteau, cher Père Noël. Rouge comme la couleur de l’honneur. En Outre-Atlantique, les forces de l’ordre en ont cruellement manqué. Elles sont à l’origine du meurtre de George Floyd, citoyen afro-américain. 2020 nous a rappelé que la couleur de peau était toujours une raison valable pour mourir. 

Cette année nous a pris Pop Smoke, jeune prodige de la Drill, et Bill Withers, digne représentant de la musique blues. Et ce qui est sûr, c’est qu’il n’y a pas de soleil quand il n’est pas là. 

La nature elle-même a été bouleversée. De terribles incendies ont ravagé l’Australie, 6e plus grand pays au monde. 12 millions d’hectares de forêts ont brulé. Tu imagines, cher Père Noël ? C’est plus que la superficie de l’Île-de-France, des Pays de la Loire et de la région PACA réunis. Quelques mois plus tard, deux explosions, équivalentes à un séisme de 3,3 sur l’échelle de Richter, ont complétement détruit le port de Beyrouth. 2020 nous a montré que notre planète était chétive, et que sans une prise de conscience rapide, nous pourrions être à l’origine de sa destruction. 

Pape Diouf, illustre président de l’Olympique de Marseille, est parti, et a emmené avec lui Eddie Van Halen, prince du Hard Rock. Son solo dans Beat It résonne d’ores et déjà dans nos cœurs. 

Après quelques années de répit, la menace terroriste a refait surface. Alors que sa présence se transformait peu à peu en douloureux souvenir, elle a décidé de frapper à nouveau. En ôtant la vie à Samuel Paty, enseignant d’histoire-géographie. Pourtant, je peux t’affirmer que cet homme était sage, cher Père Noël. Son seul méfait a été de monter des caricatures du prophète Mahomet à ses élèves. 2020 nous a prouvé que le chemin vers la liberté d’expression était encore long et sinueux. 

Le finaliste de la Coupe du Monde 1999 de rugby, Christophe Dominici, est passé de vie à trépas, au même titre que le véritable James Bond. Il s’appelait Sean. Sean Connery. 

Comment passer à côté. Durant cette difficile année, toute notre société a été complétement bouleversée. La faute à un virus qui était jusqu’alors inconnu. La COVID-19, comme on l’appelle, nous a privés de nos libertés de déplacement : la France a connu deux confinements en 8 mois. Mais rassure-toi, cher Père Noël, c’était pour la bonne cause. Ce virus inédit a tué, à l’heure où je t’écris, 1 549 332 personnes dans le monde. Nous nous devions de réagir. Mais ces confinements ont malheureusement été à l’origine de nombreux dommages collatéraux : précarité, hausse des féminicides, angoisses et dépressions. 2020 nous a appris à nous méfier, car tout peut changer du jour au lendemain. 

Durant cette année, nous avons vu partir Diego Maradona, le Dieu du football, mais aussi le président Valéry Giscard d’Estaing, exemple de modernité. Et une chose est certaine, c’est que ces deux-là ont bel et bien le monopole du cœur.  

 

Je te l’avais dit, cher Père Noël. 2020 n’a pas été de tout repos. Nous avons slalomé entre désillusion et remise en question. Mais si une chose n’a pas changé, c’est bien l’espoir. Il y en a toujours à perte de vue.

Alors voilà, à l’approche de ce Noël si particulier, j’ai voulu revenir aux choses simples, et aux traditions d’antan. Le parfum des épines du sapin familial, mêlé aux odeurs des braises encore chaudes m’a poussé à t’écrire cette lettre. Il est tard désormais, et le feu de cheminée est presque éteint. Il n’y a plus que quelques lueurs rougeoyantes sur la seule bûche restante. Je sens mon stylo manquer d’encre, alors je pense qu’il est temps d’en finir. Cette année, cher Père Noël, je ne veux absolument rien.  

Tu es surpris, pas vrai ? Mais c’est la vérité, je ne veux rien. Car le meilleur des cadeaux, nous l’avons déjà. 2020 est un cadeau. Les enseignements que nous tirerons de cette année nous pousseront vers le haut. 

 

Il n’y a qu’à voir le mouvement Black Lives Matter qu’a entrainé la mort de George Floyd, cher Père Noël. C’est un tournant social sans précédent : le racisme, appelons-le comme tel, ne passera plus inaperçu. Mieux, il ne sera plus toléré. Et c’est même déjà le cas Regarde les joueurs de football, à l’image de ceux du PSG et de Basaksehir. Ils ne laissent déjà plus passer une seule once d’ambiguïté dans les propos. Grâce à 2020, les choses sont en train d’évoluer.  

Les terribles incendies d’Australie pousseront les générations futures à développer une conscience environnementale. Il sera désormais impossible de penser le monde sans prendre en compte la dimension écologique. Cette dernière sera probablement au centre de tous les programmes politiques.  

La mort de Samuel Paty résonnera ardemment dans nos cœurs et nos esprits. Elle nous rappellera que la liberté d’expression est un élément essentiel, un élément qui garantit la pérennité d’une démocratie. Dans les années à venir, la liberté d’expression méritera qu’on se batte pour elle, cher Père Noël.  

La COVID-19 est d’ores et déjà à l’origine de grands changements dans nos vies. Peut-être est-ce la fin d’un modèle consumériste qui nous fait consommer toujours davantage depuis déjà de trop nombreuses années. Peut-être que cette année si particulière nous poussera finalement à revenir à des choses simples, à réapprendre la véritable valeur de la solidarité et du partage.   

Toutes les personnalités précitées, quant à elles, nous lèguent leur musique, leur style, leur caractère et leur modernité. Tout cet héritage les rendra, j’en suis sûr, éternels. 

 

Alors, non cher Père Noël, je ne veux rien pour ce Noël 2020, car dans un sens, cette année est déjà le plus beau des cadeaux.  

 

PS : S’il te reste une petite Playstation 5, je ne suis pas contre non plus.  

  

Corentin Madères 

  

Crédits photo : Fred Jimenez  

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