Turquie-Europe : Je t’aime moi non plus !

Mardi 6 avril dernier, les dirigeants de l’Union européenne, Charles Michel et Ursula Von der Leyen, rencontrent le chef d’Etat Turc, Recep Tayyip Erdogan. La situation des droits humains dans le pays et la reprise d’un dialogue sain entre la Turquie et l’Union européenne sont les objets de leur visite. C’est un tout autre événement que retiennent les médias…

 

Relation conflictuelle de longue date

En 1987, la Turquie candidate à l’adhésion avec l’Union européenne (UE). Depuis, le pays entretient une relation complexe avec cette union politico-économique. Pour autant, cette relation est à bénéfices réciproques pour les deux partis.

En effet, l’Europe a tout intérêt à maintenir une bonne entente avec Erdogan car, son pays étant aux frontières de l’Europe, il accueille des millions de réfugiés de pays voisins. Des réfugiés qui dès lors, ne vont pas en Europe.

Cet accueil est le fruit d’accords datant de mars 2016, notamment lancés par Angela Merkel. L’Europe s’était engagée à verser 6 milliards d’euros pour aider la Turquie à accueillir les 3,5 millions de réfugiés dans son pays. Aujourd’hui, l’Europe, qui souhaite renouveler ces accords, est aussi partagée entre se montrer ferme avec Erdogan ou au contraire, être favorable aux négociations pour, aussi, servir ses intérêts.

Face à cela le président Turque affirme ne pas avoir reçu la totalité des fonds promis par les accords et à plusieurs reprises, il a menacé l’Europe en déclarant vouloir ouvrir les frontières européennes aux réfugiés.

Ce « joker » migratoire, Erdogan l’a joué plusieurs fois pour peser dans les négociations et aujourd’hui, on reproche à l’UE d’être trop gentille avec un pays qui ne semble pas porter les mêmes valeurs que l’Union Européenne, notamment en matière de droits de l’Homme.

En 2018, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme publie un rapport dressant le bilan pour l’année 2017. De par la reconduction régulière de l’état d’urgence ces dernières années, les droits humains se sont beaucoup dégradés dans le pays. Le rapport en question fait état de cas de torture, détentions arbitraire, atteintes à la liberté d’association et d’expression…

La tentative de coup d’État de 2016 a été un prétexte pour Erdogan de durcir son pouvoir, qui progressivement est devenu un régime autocratique, plus compatible avec l’UE.

Turquie pays stratégique

Mais les échanges avec la Turquie ne se limitent pas à cette question et vont bien au-delà. D’un point de vue commercial, les échanges commerciaux entre l’Europe et la Turquie se chiffrent à près de 121 milliards d’euros en 2020, ce qui en fait le premier partenaire commercial de l’Union Européenne.

De plus, la Turquie représente un bon allié géopolitique pour l’Europe face à une éventuelle menace Russe ou Chinoise.

Enfin, entretenir de bons rapports avec la Turquie, pays à majorité musulmane, représente aussi un bon point pour l’UE qui, ferme concernant la menace terroriste, souhaite envoyer un message d’apaisement à l’égard de la communauté musulmane.

En somme, les relations entre la Turquie et l’UE sont très complexes, notamment pour l’Europe qui doit aussi veiller à ses intérêts. Mais à l’heure où la Turquie a progressivement basculé dans une régression sociale et des répressions grandissantes, la question d’apaiser les tensions se heurte avec les valeurs propres à l’Europe, qui ne sont pas partagées par Erdogan.

 

Affaire de fauteuils

En octobre 2020, le Conseil de l’UE estime que les négociations sont au point mort avec Ankara. Force est de constater que la Turquie s’est éloignée de l’UE et de sa politique (touteleurope.eu).

Avril 2021, les Présidents des institutions de l’Union Européenne se rendent à Ankara. Ursula Von der Leyen et Charles Michel rencontrent le président Recep Tayyip Erdogan dans un but d’apaisement des tensions. Le mardi 6 avril, les deux hommes et la femme prennent place dans le complexe présidentiel turc. Face à eux deux fauteuils pour trois personnes. Le chef d’état turc s’installe, Charles Michel le suit. Ursula Von der Leyen, reste debout, se retrouvant bête et désemparée devant les politiques. Humiliée, la Présidente de la Commission européenne se résigne et s’assoit sur le sofa, en retrait.

Offense sexiste ? Faux pas ? Erreur d’inattention ? Nombreux sont les questionnements. Le Président du Conseil des ministres d’Italie, Mario Draghi est « très navré par l’humiliation que la Présidente de la Commission a dû subir ». Le protocole est le même peu importe le genre. Serait-ce une faute protocolaire ? Les accusations portent sur Charles Michel, qui était censé gérer la préparation de cette visite. Il déclare dans un communiqué : « Si la pièce avait été visitée, nous aurions suggéré à nos hôtes que, par courtoisie, le divan soit remplacé par deux fauteuils pour la Présidente de la Commission ».

Le service du protocole de madame Von der Leyen était absent lors de la préparation du meeting à cause de la crise sanitaire. Seuls les dirigeant turcs connaissaient la disposition de la pièce. L’affaire du sofa, comme elle a été renommée, a été filmée et diffusée sur les réseaux sociaux avec le #Sofagate. Céline Pina, femme politique membre du PS, tweete : « Comment le Président turc humilie l’Union européenne et, à travers elle, l’ensemble des états qui la composent ». La polémique prend de l’ampleur et les réactions ne se font pas attendre.

 

Sous le signe de la désunion

 La principale concernée s’est dit « surprise » et a « préféré donner la priorité à la substance plutôt qu’à des questions de protocole », assure Eric Mamer son porte-parole. Outre le comportement de Charles Michel, celui du Président Erdogan est également pointé du doigt. Mevlut Cavusoglu, ministre des Affaires étrangères turc, affirme que la mise en place de la salle est une demande de l’Union européenne. Ces « accusations [sont] injustes » déplore-t-il. La controverse arrive à point nommé. Le 21 mars dernier, Ankara se retire d’une convention européenne sur la prévention de la violence à l’égard des femmes.

Manfred Weber, Président du groupe du Parti populaire européen : « La rencontre à Ankara des Présidents Von der Leyen et Michel aurait dû envoyer un message de fermeté et d’unité de l’approche européenne vis-à-vis de la Turquie. Malheureusement, elle s’est traduite par un symbole de désunion, les Présidents n’ayant pas su faire front commun lorsque cela était nécessaire. »

Charles Michel, lors d’une intervention à la télévision belge, dit « regretter profondément » ce qui s’est passé. L’homme n’a pas réagi, n’a pas laissé sa place, n’a rien dit par « crainte de créer un incident bien plus grave ». Les enjeux de la réunion ont primé sur son comportement. Sa défense n’a pas suffi à contenir la classe politique française. L’incident protocolaire fait resurgir les relations tendues entre Paris et Ankara.

La Présidente du groupe des socialistes et démocrates, Iratxe Garcia Perez, réclame l’audition des Présidents des deux institutions dans le but de « clarifier ce qui s’est passé ». Le secrétaire d’Etat aux Affaires européennes, Clément Beaune est indigné face à cette situation : « Ce sont des images qui font mal ! Je ne veux pas d’une Europe naïve, fragile ».

Faute protocolaire sexiste ou simple erreur d’inattention ? La réponse à la question reste, à ce jour, inconnue…

 

Camille Juanicotena & Célia Ory

 

Crédits photos : Alexandros Avramidis, Reuters / Pierre Kroll / DR

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