Toxicos, le fléau parisien

Toxicos, le fléau parisien

Trois décennies après la crise du crack, la problématique persiste. Colère, polémiques, inquiétudes, on prend les mêmes et on recommence… Les tensions grandissantes de ces derniers mois ne font qu’envenimer le phénomène. Une situation irrespirable, des décisions politiques sont attendues. Explications.

Histoire de longue date

« L’usage illicite de l’une des substances ou plantes classées comme stupéfiants est puni d’un an d’emprisonnement et de 3 750€ d’amende » article L3421-1 du Code de la santé publique

Depuis 1916, la cocaïne est prohibée en France, et pourtant…

1980. Les premières substances illicites « dures » arrivent en France. Dérivé de la cocaïne, le crack s’implante rapidement dans les quartiers de la capitale française. Les Halles et Pigalle deviennent les points de rendez-vous entre dealers et consommateurs. Facilement transformable, la « drogue du pauvre » fait des ravages dans bien des pays. L’inaction des autorités publiques n’arrange rien, elle favorise la progression du crack au sein des populations fragilisées, et contribuent au développement des addictions.

En 1990, la crise du crack explose. Une horde de toxicomanes investit la place Stalingrad dans les quartiers Nord de Paris. Très mal considérés par les habitants, le campement final prend place sur un terrain vague, proche de la Porte de la Chapelle, au niveau de l’échangeur du périphérique. Le refuge, nommé « la colline du crack » en référence à sa situation géographique, a été évacué plus d’une quinzaine de fois dans les années 2000. En vain.

Un problème qui persiste et qui se surimpose à la crise migratoire en Europe. La porosité des différents publics complique les potentielles et futures solutions.

Déplacer, la solution ?

La colline du crack et ses habitants deviennent peu à peu un véritable problème auquel les autorités et riverains ne savent plus comment agir. Alors quoi faire ? En 2019, alors que le terrain vague, proche de la Porte de la Chapelle, est en travaux, les toxicomanes sont contraints de quitter le camp. Direction un tunnel proche de la station de métro Rosa Parks mais c’est finalement sur la place Stalingrad qu’ils jettent de nouveau leur dévolu. Surnommée la place « Stalincrack », les crack heads * deviennent des membres à part entière du quartier.

Fatigués de la situation, les habitants s’en remettent à la mairie de Paris. En mai 2021, la préfecture propose, ainsi, de déplacer le camp dans le 19ème, aux Jardins d’Eole, un parc public avec aires de jeux pour les enfants. L’objectif est de soulager les habitants proches de la place Stalingrad. La maire de Paris choisit une zone un peu plus éloignée du centre…Atterrés et indignés par cette décision, les toxicomanes sont pris à partie par les habitants du quartier. Tensions, violences, agressions…Tous souffrent de la situation.

Vendredi 24 septembre, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin déplace de nouveau le problème. Les crack heads s’installent dans le parc de la Porte de la Villette. Le ministre estime « [avoir pris] ses responsabilités » et ce, devant le Parlement. Pour « protéger » les habitants des quartiers environnants, un mur est érigé à la hâte sous le pont qui sépare Paris de la ville de Pantin. Rebaptisé le « mur de la honte », « ce mur est le symbole de cette décision [..] absurde. […] On sait pertinemment qu’il suffit de faire le tour à quelques dizaines de mètres » déclare Bertrand Kern, maire de Pantin pour France Info.

Plusieurs opérations de nettoyage sont organisées afin d’éviter l’installation pérenne d’un nouveau camp. Valérie Pécresse, présidente de la région Ile-de-France et candidate à l’élection présidentielle 2022, propose « d’ouvrir une structure de désintoxication au lieu d’ouvrir des salles de shoot qui troublent l’ordre public […] ». « La Seine-Saint-Denis n’est pas une poubelle ! » s’exclame-elle lors de son déplacement à Pantin.

Salles de shoot, danger à ciel ouvert ?

Le « plan crack », voté en 2019, prévoyait en effet l’ouverture de lieux destinés à encadrer la consommation de drogue, appelés « salle de shoot » ou « salle d’inhalation ». Deux ans plus tard aucune n’est encore sortie de terre. Il faut dire que la pandémie de Covid-19 n’a pas aidé les choses mais la France ne fait pas figure de pionnière dans ce domaine. Elle est loin derrière l’Allemagne et ses 24 salles d’inhalation et les Pays-Bas avec plus de 35 salles. Des pays qui semblent prendre au sérieux la problématique des toxicomanes et des nuisances qui en découlent. En France, deux salles sont pour le moment fonctionnelles, une première à Paris et la seconde à Strasbourg, toutes deux inaugurées en 2016. Une controverse plane néanmoins sur l’utilité de ses infrastructures jugées inutiles, ne faisant qu’encourager la consommation de drogue et in fine la normaliser.

Plus de 9 millions d’euros du « plan crack » ont déjà été dépensés sans véritables mesures mises en place. Pourtant l’objectif était clair. Accompagner les usagers, intervenir dans l’espace public tant auprès des toxicomanes que des habitants au travers de campagnes de prévention et améliorer la connaissance des publics concernés sans les stigmatiser comme le font certains politiques aujourd’hui les comparants à des « déchets » déplacés et redéplacés dans des villes « poubelles ». Tout comme l’alcool ou le tabac, le crack constitue une addiction à part entière lorsqu’on en devient dépendant et nécessite un traitement particulier. L’ouverture de salle de shoot en nombre ne fonctionnerait pas en l’absence d’un parcours médical complet passant par la prévention, la prise en charge et si nécessaire la répression.

Déplacer les usagers ne fait que provoquer des tensions entre les usagers et les riverains. C’est aussi un moyen rapide et à faible coût pour les responsables politiques. Limiter l’impact du phénomène dans Paris même en le délocalisant hors de la vue des touristes. A Pantin, nouveau lieu de villégiature des toxicomanes, les habitants ont décidé de manifester chaque mercredi pour dénoncer l’inaction de l’Etat et réclament une solution pérenne face au problème du crack.

Jeudi 30 septembre, une réunion a eu lieu entre la préfecture de la Région, la préfecture de police, l’Agence Régionale de Santé et la Marie de Paris. « Des mesures concrètes sont en trains d’être expertisées » déclare le premier adjoint à la mairie de Paris, Emmanuel Grégoire. Après plus de 30 ans d’aveuglement politique dénouement semble proche.

 

* personne qui consomme du crack

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