Le mercredi 22 novembre dernier, le Tribunal fédéral suisse a déclaré que « la durée d’un viol relativement courte » pouvait être prise en compte lors d’une réduction de peine des agresseurs concernés.
Cette prise de position s’inscrit dans le contexte d’une affaire bien précise qui a révolté les associations féministes. Les faits se sont déroulés dans la ville de Bâle, en février 2020. Une femme alors âgée de 33 ans se fait agresser en rentrant d’une soirée tenue dans un bar. Deux hommes, rencontrés plus tôt au bar la surprennent devant son hall d’immeuble et l’obligent à effectuer une fellation en la tirant par les cheveux et en l’immobilisant au sol. . Ce viol et ces agressions physiques commises auraient duré onze minutes. Les agresseurs étaient âgés de respectivement 33 ans et 17 ans au moment des faits.
Déclarations révoltantes
Quelques mois plus tard, le procès a lieu. L’agresseur mineur est acquitté et l’homme de 33 ans est condamné à 4 ans d’emprisonnement ferme ainsi qu’à une interdiction de séjour de 8 ans sur le territoire suisse, étant de nationalité portugaise. Mais c’est suite à un recours que le procès commence à faire souffler un vent d’indignation sur tout le pays.
La peine du deuxième agresseur est revue à 3 ans d’emprisonnement dont 18 mois de sursis et son interdiction de séjour est abaissée à 2 ans. Les raisons cette réduction de peine sont les suivantes : le comportement de la victime avant les faits ainsi que la durée du viol. Même si le premier argument n’a finalement pas été retenu par la justice suisse, les termes employés durant le procès ont suscité le mécontentement de l’opinion publique. La présidente de la cour d’appel de Bâle avait déclaré que « [la victime] a joué avec le feu » faisant référence au comportement qu’elle aurait eu lors de la soirée. La victime aurait « donné les mauvais signaux » à ses agresseurs. L’autre argument avancé afin de légitimer cette déclaration aurait été le rapport sexuel, consenti, que la victime aurait eu plus tôt dans la soirée avec un homme rencontré au bar. Mais ce sont surtout les mots de la présidente, à savoir « l’acte n’a duré que onze minutes », qui ont scandalisé la population suisse.
« Une insulte majeure à toutes les femmes »
Tels ont été les mots de la conseillère nationale, Céline Amaudruz, après ce nouveau verdict. De nombreuses associations féministes ont d’ailleurs dénoncé des propos alimentant la culture du viol. Cette réduction de peine face aux arguments cités en amont inquiète puisqu’elle érige la victime en fautive et invisibilise également certains viols “de courte de durée”. Charlotte Iselin, avocate spécialiste en droit pénal, a par ailleurs déclaré que cette notion de durée, bien que présente dans la loi suisse, est avant tout à relativiser. Pour l’avocate, peu importe la durée « dans le cadre d’un viol, un acte est commis ». Il est donc utile de se demander si cette durée a réellement de l’importance puisque dans tous les cas, un préjudice moral et/ou physique est commis. Elle ajoute également « on peut aussi même se demander si onze minutes est une durée qui est vraiment courte. Du point de vue de la victime, c’est une durée qui est probablement déjà extrêmement longue». Malgré les manifestations et les réactions outrées, le verdict reste inchangé jusqu’au prochain appel qui devrait se tenir dans quelques mois. Il est également à noter qu’il n’a pour l’instant pas été évoqué de futures modifications concernant cette loi.
Des actes contradictoires
Après la vague de choc concernant l’affaire, le temps est également à l’incompréhension. Ce sentiment vient du fait que la Suisse fasse partie d’un des pays pionners en termes de définition du viol. Une loi a, en effet, été votée l’an dernier en faveur d’une version plus moderne et inclusive de celle-ci et sera définitivement adoptée en 2024. Contrairement à la France par exemple où l’acte, pour être considéré comme un viol, doit être effectué sous « violence, contrainte, menace ou surprise », en Suisse, le consentement tiendra une place plus importante. La nouvelle loi tiendra compte, entre autres, de l’état de sidération dans lequel la victime se trouvera potentiellement, l’empêchant de témoigner son refus. La Suisse se modernisera donc en abandonnant le principe « seul un non est un non ». En d’autre termes, la contrainte ne sera plus abordée comme définitionnel du viol et constituera en une circonstance aggravante. Il est également nécessaire de rappeler que cette loi s’est écrite avec la participation d’associations féministes. Cet élément vient appuyer le pas vers la modernité que la Suisse tend à effectuer pour les droits des femmes.
Cette justice suisse à deux versants laisse donc perplexe et appelle à se questionner quant aux réelles moyens donnés au combat des violences sexistes et sexuelles.
Roxane Laulan
Crédits photo : Ceci Figueroa – Pexels
Étudiante en L2 Information et communication, j’aime tout ce qui touche de près ou de loin à l’art et à la politique. J’écris ici pour entraîner mon écriture et mon esprit critique. Bonne lecture !
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