Le Big Data, l’IoT, l’Intelligence artificielle, les nouveaux flux de réseaux : des nouvelles technologies qui s’imposent et envahissent notre espace. Sans aucun doute, le digital marque profondément nos vies et nos manières d’interagir. Mais quelles sont ses limites et sommes-nous prêts à accepter l’irruption de technologies toujours plus performantes, voire intrusives ?
La course à la connectivité
La ville intelligente a largement fait ses preuves dans l’amélioration de la qualité de vie urbaine : la mobilité verte, la gestion de l’énergie et des bâtiments, les systèmes connectés de santé, de sécurité et des finances. Et ceux par le déploiement de flux en réseau et l’installation de capteurs sur les mobiliers urbains pour assurer la sûreté dans les rues, optimiser les échanges, fluidifier le trafic, ou encore améliorer la qualité de l’air… Une ville où tout est connecté : de l’habitat aux services publics, jusqu’à la culture et l’éducation.
Dans le panorama des « smartcities », Singapour est l’exemple par excellence. Cette cité-état s’impose en tête du classement des villes les plus innovantes, notamment sur l’aspect de la mobilité verte et de l’énergie. C’est une des villes dans laquelle la voiture électrique est la plus convoitisée et où les transports publics sont parfois gratuits, faisant d’elle une ville « durable ».
De nombreuses autres villes ambitionnent de devenir leader des villes intelligentes : San Francisco, Londres, Séoul et New York. Plus récemment, le Vietnam a annoncé un projet de construction d’une ville intelligente, de A à Z, en prolongement de la ville d’Hanoi au Vietnam, d’ici 2025.
Le « Big Brother » français
Si la création de la « smartcity » mise sur la résolution des problèmes urbains (embouteillages, pollutions, agressions…), qu’en est-il de notre liberté ?
Sur tout le territoire français, l’illusion d’un Etat plus protecteur s’immisce avec le déploiement de systèmes de sécurité que vantent les « smartcities », mais se forme en réalité un système de surveillance totale à des fins policières.
Nice, Paris, Toulouse sont des lieux d’expérimentation de la vidéosurveillance dite « intelligente » (reconnaissance faciale). Selon BBC, le secteur de la Ville Intelligente devrait atteindre plus de 775 milliards de dollars en 2021. Les deux grands industriels Engie et Thalès saisissent l’opportunité d’un nouveau business en initiant des projets de « safe city ». Un véritable outil conçu pour reconnaître les émotions des passants dans l’espace urbain à « l’interconnexion massive des bases de données » ainsi que surveiller les réseaux sociaux afin de prévenir les incivilités et tracer nos faits et gestes. Marc Darmon, directeur général adjoint de Thalès confie que : « La sécurité est, avec la mobilité, le pilier le plus réaliste de la Smart City. »
Le concept de « villes intelligentes » tient des promesses d’inclusivité, de mobilité et de facilité proches du fantasme de liberté et d’attractivité, malheureusement assombri par la nécessité d’un contrôle massif et intrusif pour la sécurité et l’optimisation de tous les domaines de la ville. Mais à l’heure où la fracture numérique concerne 17% de la population, l’inclusion de toutes ces nouvelles technologies dans nos pratiques pourrait renforcer les inégalités sur le territoire.
Vers une technopolice ?
A l’ère où la problématique de la sûreté dans les villes fait l’actualité sur les réseaux sociaux par les témoignages de nombreuses jeunes femmes agressées dans l’espace urbain, la surveillance rapprochée des individus peut s’avérer être une solution.
Bien que la sécurité soit une priorité pour l’Etat envers ses citoyens, ce modèle tend à accroître les discriminations dans toutes ses formes, la réprimande des mouvements sociaux, la rationalisation, vers une déshumanisation de l’espace urbain. Nos rapports sociaux se voient chambouler.
Récompensés ou réprimés ? Bientôt, les citoyens jugés vertueux dans les lieux publics se verraient attribuer une bonne note, sur une plateforme type « Human-advisor » (référence à Tripadvisor). Cela tend à croire qu’on se rapproche du modèle de « crédit social » instauré en Chine… Les technocrates privilégient alors la machine pour contrôler nos villes, et nos vies.
« Souriez, vous êtes filmés »
Drones et vidéosurveillance : la nouvelle lucarne des autorités. L’objectif dans ces projets sécuritaires est de créer un espace surveillé et amélioré par les nouveaux outils technologiques qui élèvent au premier plan l’intelligence artificielle au profit de l’humain.
Utopie ou dystopie ?
Si l’argument de la sécurité est bien avancé pour justifier la mise en place de ces projets de sûreté, s’engage une réflexion sur les réelles motivations des politiques des villes : enjeu sécuritaire ou politique ?
L’émergence du terrorisme et la menace qu’elle représente sur le sol français est l’argument implacable des politiques pour intégrer ces dispositifs dans notre environnement. Bien qu’il soit légitime, un problème éthique se pose, celui de l’intrusion massive des nouvelles technologies dans nos vies. Les start-ups, les industriels et les politiques des villes s’offrent à ce nouveau marché en rapportant les bénéfices du progrès technique au service de la sécurité urbaine : la « ville intelligente comme la ville de demain ».
Christian Estrosi, le maire de Nice, ne cache pas son intention de vouloir « suivre, grâce au logiciel de reconnaissance faciale dont est équipé [le] centre de supervision urbain [de Nice], toutes les allées et venues des fichés S ». Une question alors politique plutôt que sécuritaire : améliorer le sentiment de sécurité des citoyens dans une finalité électoraliste.
Un concept en demi-teinte
Concrètement, la « smartcity » a un potentiel considérable pour les politiques publiques, notamment sur le domaine de la mobilité (vélib, waze…), de la sécurité, de l’urbanisme, de la culture, de la santé et de la participation citoyenne. Si cet investissement repose sur la volonté d’améliorer la qualité de vie urbaine, grand défi de la « smartcity », c’est aussi le risque de faire naître le sentiment d’être épié, fiché, jugé, noté, pouvant finalement contribuer au mal-être du citadin dans la société.
Léa Marchebout
Crédits photos : Offset / Sensenet / DR / Reuteurs
Etudiante en Info-com. Food, com’, marketing et culture, j’écris sur ce qui me passionne !