Le conflit russo-ukrainien engage évidemment une tectonique entre Etats à différentes échelles, mais est-elle vraiment neuve ?
Le conflit russo-ukrainien est déjà commémoré comme étant le premier conflit européen du XXIe siècle. Il serait la victoire de la force sur le droit dans l’aire européenne, celle de la paix. Les retombées du conflit sur le reste du monde s’annoncent nombreuses : entre crises économique généralisée à l’énergie et à l’agroalimentaire, d’autre spéculent même sur la possibilité d’un conflit nucléaire. Et à en juger par les titres de presse, beaucoup d’hypothèses ont pour thématique centrale la personnalité de Poutine. L’imprévisibilité du président donne lieu à beaucoup d’interprétations qui tirent généralement leur source de la communication du régime russe plutôt que d’une étude des rapports de force.
Une guerre d’agenda
Des spéculations se dégage une analyse stratégique : le conflit va durer plus longtemps que prévu. C’est en tout cas ce que signifient les difficultés russes sur le terrain. Les points forts de l’armée réputée pour ces manœuvres rapides et profondes ne semblent pas porter leur fruit sur le sol ukrainien, en dépit même de la claire supériorité de leur aviation.
Reste à savoir si les Etats occidentaux parviendront à maintenir leurs sanctions.
Dans l’immédiat, on observe l’unanimité européenne à l’endroit des sanctions économiques à l’égard de la Russie, et ce, malgré la diversité des taux de dépendance énergétique du continent.
Dans une économie interdépendante où les rapports de force sont une constante à court terme, le marché européen a pour l’instant besoin de l’offre russe, et la Russie dépend de ses parts de marché et autres avoirs en Europe. L’unanimité européenne révèle en fait plus la volonté de faire bloc dans un bras de fer avec la Russie qu’une réelle capacité d’impacter massivement l’économie russe sans en subir les retombées.
Alors, c’est une question de temporalité : quel agenda l’emportera en premier ? Le russe, ou l’européen ?
Il est dans l’immédiat périlleux de statuer à plus long terme sur les implications économiques de la guerre.
Il est toutefois certain qu’une prolongation du conflit engagerait des complications économiques sérieuses à l’échelle mondiale.
À eux deux, les Etats belligérants mettent en circulation 1/3 du blé mondial, à noter que d’un point de vue stratégique, plus la Russie grappille du territoire en Ukraine, plus elle muscle son levier commercial en mettant la main sur les silos de blé ukrainien. L’invasion de l’Ukraine a donc été suivie d’une flambée du cours du blé, qui a atteint un pic à 340 euros la tonne en cours jeudi 24 février, avant de se stabiliser autour de 315 euros. Un niveau supérieur à l’ancien record, 300 euros la tonne, en novembre 2021, sachant qu’un scénario similaire de chute des exportations de blé russe s’est déroulé à cette période. La Russie avait annoncé la mise en place de taxes à l’exportation des produits agroalimentaires dont le blé, l’orge et le maïs, laissant des zones entières du globe en situation de pénurie voire de famine à l’horizon 2022. La raréfaction des produits alimentaires, qui se couplerait alors aux 12 % d’exportation ukrainiens engagerait une explosion de prix agroalimentaires dans le monde.
Cette donnée alimentaire est également à recouper par la donnée énergétique, car les céréaliers européens dépendent du gaz et du pétrole russe pour produire en quantité décente.
Les hydrocarbures posent précisément ce problème protéiforme qu’ils impactent tout le pan de l’économie. En Europe, les chiffres sont connus : 40 % du gaz européen est russe, 90 % dans les pays baltes et scandinaves.
L’ « Union » européenne
D’un point de vue diplomatique, à l’échelle européenne, il est encore compliqué de parler d’une nouvelle ère. Les positions varient toujours à l’aune des intérêts que quelques-uns tirent de leur relation avec la Russie. On a par exemple vu Mario Draghi, président du Conseil des ministres italien et chantre de l’Union européenne négocier la tenue des exportations de Gucci en Russie.
En revanche, la question de l’élargissement de l’OTAN en Europe de l’Est se fait impérative. L’univocité de l’alliance et le durcissement de sa ligne suggère une prise de conscience de la possibilité d’un conflit en Europe, dont elle serait en partie responsable.
En France, les ténors du non-alignement se font particulièrement remarqués en ce sens. Mais un changement géopolitique majeur dans l’histoire s’est tout de même produit outre-Rhin : la suspension du gazoduc Nord Stream 2 et surtout le réarmement de l’Allemagne qui rompt concrètement avec l’Ostpolitik allemande, principalement forte dans la tradition du SPD auquel appartient le chancelier Olaf Scholz.
Mais de là à parler d’une Europe unie, presque monolithique (qui serait l’avènement d’une nouvelle superpuissance), le chemin est encore long, s’agissant principalement de l’OTAN dans cette crise.
Les tendances structurelles internationales
Quant à l’échelle internationale, l’abstentionnisme de 17 pays africains sur 35 abstentionnistes à l’Assemblée générale de l’ONU sur la résolution condamnant l’invasion russe, s’explique par des facteurs contre-occidentaux : ce matin dans le Monde, Ashish Pradhan (analyste à l’International Crisis group) affirmait que les pays africains qui se sont abstenus gardent en mémoire que certaines résolutions des Nations unies peuvent mener à des changements de régime. « Ils ont encore en tête la résolution 1973 à propos de l’intervention en Libye, votée en 2011, et qui avait poussé certains pays de l’OTAN à renverser le régime de Mouammar Kadhafi ».
Car malgré l’écrasante majorité des Etats condamnant la Russie, il semblerait que la toile de fond du conflit n’ait pas disparu et qu’elle participe même de ce déclassement de l’Occident à l’échelle globale. Dans cette perspective, la Chine vient poser de questions sérieuses. Une délégation de hauts responsables américains s’est rendue ce mardi 1er mars à Taipei, après que Taiwan a relevé son niveau d’alerte par crainte d’invasion par la Chine. Le glissement américain vers le Pacifique reste également une tendance inexorable et il semblerait que plus généralement, le conflit en Ukraine révèle dans l’esprit d’une puissance contre-occidentale comme la Russie que la dissuasion occidentale ait perdu en crédibilité.
La capacité des Etats à imposer leur ligne rouge n’est toutefois pas totalement perdue puisqu’elle semble au contraire s’être dissous dans l’opinion publique, qui apparaît actuellement comme un vecteur d’influence non négligeable. Le message est clair : la guerre pose un enjeu populaire avant tout. Loin du rejet pur et simple de l’autre, à caractéristique historiquement nationaliste, le procès de la Russie se concentre sur la personnalité de Poutine et son orbite oligarchique. Les mobilisations en soutien au peuple ukrainien se multiplient et il n’est pas rare de voir des drapeaux des deux pays côte à côte sur les réseaux sociaux.
Bonjour, je m’appelle Clément Pasquet-Etchebarne, j’étudie en Master d’Histoire, Géopolitique et Relations internationales. Je suis passionné d’Histoire, de philosophie et de sports de combat. J’aime croiser ces disciplines entre elles, je crois que ça m’aide à voir le monde sous un angle intellectuel et sensible.