Plus de sept ans après l’annexion russe de la péninsule de Crimée en 2014, la tension monte à nouveau entre la Russie et l’Ukraine, dans un semblant de guerre froide où les deux pays ne sont désormais plus les seuls impliqués. Un point sur la situation, spectre d’un nouveau conflit.
Situation explosive à la frontière
Retour quelques semaines en arrière, l’OTAN et plusieurs pays alertent sur d’importants et inhabituels mouvements militaires à la frontière russo-ukrainienne. Afflux massifs de troupes russes mais aussi préparation de missiles, ce n’est pas la première fois que l’OTAN s’alarme sur la situation à la frontière des deux pays, mais cette fois, l’ampleur des manœuvres militaires est nettement plus importante.
Tous craignent une explosion du conflit face à la menace d’une offensive russe et notamment un risque de conflit ouvert sur la scène internationale. Pour autant, bien que Vladimir Poutine ait énoncé les motivations qui poussent les Russes à agir de la sorte, les avis sont divergents quant à une éventuelle invasion russe.
Selon la directrice du centre Russie/NEI de l’Institut français des relations internationales (Ifri), Tatiana Kastouéva-Jean, Kiev s’est inquiété trop tard des manœuvres militaires à sa frontière, « C’est seulement après être allé aux États-Unis que le ministre des Affaires étrangères ukrainien est revenu beaucoup plus alarmiste ».
Le 26 novembre dernier, le président ukrainien parle de « signaux très dangereux » venant de la Russie et le chef des renseignements du pays mentionne la présence de près de 100 000 soldats russes aux frontières, craignant une offensive à la fin du mois de janvier prochain.
L’OTAN a fourni à Kiev des renseignements satellites faisant état d’une centaine de bataillons tactiques mais encore de missiles Iskander à environ 240 kilomètres de la frontière orientale de l’Ukraine, de la Biélorussie ainsi que de la Crimée.
L’invasion aura-t-elle vraiment lieu ? « Nous ne savons pas si le président Poutine a pris une décision sur l’invasion. Nous savons qu’il est en train de mettre en place la capacité de le faire rapidement, s’il le décide », a déclaré Antony Blinken, chef de la diplomatie américaine.
Pourquoi prévoir une invasion de l’Ukraine ?
Lorsque les inquiétudes s’élèvent sur l’activité militaire russe, Moscou nie d’abord en affirmant n’avoir aucun projet d’invasion. Cependant, Vladimir Poutine s’est quand même justifié : ses déploiements militaires seraient préventifs car Kiev prévoirait une reconquête du Donbass, où, rappelons-le, des centaines de milliers de citoyens ukrainiens vivent désormais avec un passeport russe depuis ces dernières années.
Pour autant, cet argument est loin d’être le principal que met en avant la Russie. Celle-ci souhaite une meilleure prise en compte de ses intérêts ainsi qu’une levée des sanctions. Dans son objectif de s’affirmer sur la scène politique mondiale, une éventuelle adhésion de Kiev à l’OTAN isolerait un peu plus la Russie.
« Les lectures de ce qui se passe actuellement à la frontière russo-ukrainienne peuvent être très différentes : elles varient entre la démonstration de force russe pour faire pression sur le président Zelenski ainsi que ses partenaires occidentaux, et la crainte d’une véritable invasion de l’Ukraine », explique Tatiana Kastouéva-Jean.
Quelles conséquences possibles pour la Russie ?
La ligne rouge n’est pas loin pour Moscou : lancer une invasion présente d’importants risques pour le Kremlin. En effet, la communauté internationale, a vivement pointé du doigt la Russie et tous avertissent sur les conséquences.
La Russie accumulant déjà des sanctions depuis plusieurs années, les États-Unis ont averti Moscou de plus lourdes conséquences économiques.
L’OTAN a quant à elle abordé plusieurs réponses possibles, toujours des sanctions économiques mais aussi politiques. Les sanctions militaires restant impossibles dans la mesure où une confrontation directe entre les deux grandes puissances que sont les États-Unis et la Russie poserait la menace de l’arme nucléaire. En bref, des airs de guerre froide sur l’échiquier géopolitique international.
Face à la menace russe, le président ukrainien s’est dit prêt à faire face. Mais l’Ukraine peut-elle faire le poids face à la Russie ? Si l’armée ukrainienne était peu et mal équipée en 2014, aujourd’hui, elle a reçu l’aide de plusieurs pays occidentaux, dont la Turquie et les États-Unis, qui l’ont fourni en armements modernes.
Volodymyr Zelensky souhaite des négociations directes avec Moscou, mais pour autant que son armée soit prête, il a tout de même demandé à l’OTAN la préparation de sanctions dissuasives à l’égard de la Russie. Selon lui, Moscou cherche un prétexte afin d’intervenir militairement dans son pays.
Du côté de l’Union européenne, les réactions sont similaires. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a prévenu quant à d’éventuelles sanctions supplémentaires. Plusieurs pays ont aussi condamné les manœuvres militaires russes.
Olaf Scholz, tout juste arrivé au pouvoir allemand, a déjà menacé la Russie de possibles conséquences, et spécialement sur le gazoduc Nord Stream 2. Lors de sa toute première interview pour la télévision allemande, il a rapidement posé le ton : « Notre position est très claire, nous voulons que l’inviolabilité des frontières soit respectée par tous ».
Ce gazoduc controversé qui fut longtemps de trop pour la diplomatie américaine, est aujourd’hui un levier non-négligeable des négociations. Reliant la Russie et l’Allemagne, Joe Biden s’y était résigné mais aujourd’hui, Washington ne s’en plaint pas puisqu’il entre dans le jeu des négociations comme outil de dissuasion. La Maison-Blanche n’a pas clairement affirmé avoir utilisé cet argument comme moyen de pression mais le conseiller pour la sécurité nationale, Jake Sullivan, a insisté sur ce point. « Si Vladimir Poutine veut que le futur Nord Stream 2 transporte du gaz, il ne prendra peut-être pas le risque d’envahir l’Ukraine », a-t-il déclaré. En attendant, l’argument du gazoduc permettra aux États-Unis de se montrer plus ferme en évitant le bouleversement de sanctions économiques.
La France a quant à elle annoncé des conséquences stratégiques et massives. Le ministère des affaires étrangères a dit avoir envoyé des « messages fermes » à la Russie par rapport à « une nouvelle atteinte à l’intégrité territoriale de l’Ukraine ».
Rappelons que des avions de chasse français ont été interceptés, ce mercredi, par des avions russes alors qu’ils survolaient la mer Noire en zone neutre afin de se renseigner sur les mouvements de troupes russes. Les avions russes ont rapidement décollé afin de s’assurer qu’ils ne franchissent pas la frontière.
Des lourdes sanctions à tout point de vue pèsent donc sur la Russie, mais cela n’a pas eu l’air de préoccuper Vladimir Poutine qui a annoncé mercredi dernier que « La Russie mène une politique extérieure pour la paix, mais elle a le droit de protéger sa sécurité », arguant que ne pas réagir au rapprochement de l’OTAN de ses frontières serait « criminel ».
Nouvelle Guerre Froide ?
Véritable casse-tête insoluble, autant un parti que l’autre devra, à un moment, faire des concessions. Joe Biden a rencontré son homologue russe lors d’un sommet en visioconférence, le 7 décembre dernier. De l’entretien qui a duré plus de deux heures, aucune solution à court terme pour sortir du conflit n’a été trouvée. Les deux pays font état des tensions qui les opposent sans pour autant les résoudre.
Vladimir Poutine exige, en vain, un gel de l’expansion de l’OTAN, tout en reprochant à Washington de ne pas prendre en compte ses préoccupations, à savoir une activité importante des pays de l’OTAN en mer Noire comme une expansion vers l’Est et l’ambition de l’Ukraine de s’armer auprès des occidentaux tout en souhaitant rejoindre l’alliance atlantique.
Bien que rien ne semble prêt à s’apaiser entre les deux pays, chacun est sorti satisfait de cette rencontre. La cordialité était de mise : les États-Unis ont jugé la rencontre « utile », le Kremlin, de son côté, parle d’un sommet « franc et professionnel ».
Rappel d’un passé douloureux
Ce nouveau conflit ravive des souvenirs douloureux en Ukraine : l’invasion expresse de la Crimée en 2014, rapidement suivie de son annexion par Moscou. Bien que cette annexion ne soit reconnue de presque personne dans le monde, la Biélorussie l’a reconnu fin novembre, sur fond de crise migratoire entre l’UE et la Russie en Biélorussie.
Il faut dire que cela fait sept ans que les tensions s’accumulent. La guerre civile entre les forces pro-russes et le pouvoir central de Kiev ne s’atténue pas dans la région du Donbass, à l’Est de l’Ukraine. Les incidents armés restent très fréquents. Cet affrontement a déjà fait plus de 13 000 morts, et ce, malgré les accords de cessez-le-feu de Minsk, signés en 2015.
Avec le temps, l’Ukraine a non seulement perdu le contrôle de sa frontière avec la Russie, mais aussi près de 3% de son territoire. Moscou y est accusé d’être partie prenante puisque la Russie financerait et fournirait les forces pro-russes en armement, voire même en combattants sans insignes.
Ce conflit frontalier, de par ses enjeux, s’étend à l’échelle mondiale en impliquant plusieurs autres pays. Des tensions qui ne semblent pas prêtes à s’apaiser, mais dans tous les cas, chacun devra mettre un peu d’eau dans son vin pour parvenir à un consensus.
Étudiante en troisième année d’information & communication, passionnée d’actualité et de culture, intéressée par le monde & les gens, je souhaite rejoindre la grande famille des journalistes.