Qui serait prêt à revendiquer qu’il écoute la radio quasiment trois heures par jour ? Certainement une minorité d’interrogés. Pourtant c’est bien le cas pour 43 millions de personnes en France, autant d’auditeurs confirmés donc, soit presque 80% des plus de 13 ans. Il s’agit de relativiser : on peut être auditeur sans véritablement l’écouter cette radio. Auquel cas elle parle dans le vide. Ou, au contraire est-ce plutôt parce que la radio est partout, ou presque qu’elle est captée par tant de monde ? La voiture sans chauffeur n’est pas encore assez perfectionnée pour permettre à son utilisateur de regarder un film et la réalité augmentée ne permet pas encore à un coureur de pouvoir suivre un débat télévisé avec ses lunettes de réalité virtuelle tant en joggant. Dans ces deux cas, c’est encore, et jusqu’à preuve du contraire, la radio qui s’impose. Suffit-il d’exercer une pression sur le bouton pour que les ondes soient captées et lâchées dans les oreilles de celui qui daigne l’écouter. Et ils sont vraisemblablement nombreux, si nombreux que Radio France a décidé début octobre 2018 de leur demander ce qu’ils en pensaient de cette offre radiophonique publique. La direction publique, et derrière elle le gouvernement, ont-ils tendu le bâton pour se faire battre ? Car les réformes voulues depuis quelques années par les différents directeurs de Radio France ont successivement créé la contestation et développé une opposition importante. C’est peut-être alors par cette consultation que le haut cherche à trouver un compromis avec le bas : auditeurs et radiophonistes. Alors ces derniers, que veulent-ils en faire de leur radio ? Quelle doit être sa place ? La peur de la perdre domine t-elle l’envie de la sublimer encore ? Besoin d’une révolution ou plutôt d’une protection ?
La surprise : contrat avec l’auditeur
Historiquement c’est aux États-Unis qu’a lieu la première émission radiodiffusée. Le 24 décembre 1906, Reginald Fessenden souhaite un joyeux noël à tous les auditeurs branchés sur les ondes. Une retransmission déjà semée au hasard, adressée à ceux qui voulaient bien l’écouter mais surtout, et au-delà du caractère anecdotique, un message populaire, cherchant à toucher le plus de monde possible. « Des informations qui touchent toutes les générations, tous les publics. » résume ainsi en 2018 Muriel Chedotal une des animatrices emblématiques de FIP Bordeaux lorsqu’elle parle des contenus diffusés sur son antenne. Mais si, vous connaissez FIP, depuis 1971 c’est cette station que vos parents vous forcent à écouter durant vos traditionnelles vacances d’été au bassin d’Arcachon. « Radio musicale et culturelle éclectique » revendique Françoise Lagaillarde, directrice de l’antenne bordelaise. FIP c’est surtout un esprit, celui de femmes qui relaient l’actualité culturelle sur un territoire avec une programmation musicale que « l’on n’entend pas ailleurs. » C’est avant tout une station publique appartenant à l’institution nationale emblématique : Radio France.
« On participe à aider les gens en parlant d’eux » témoigne Gérald Paris, du même côté de l’arc atlantique, à France Bleu La Rochelle. France Bleu, créé en 2000 est une autre entité radio publique, au même titre que FIP, bien qu’elle se concentre plutôt au service de la proximité des territoires. On compte 44 France Bleu en France, pour seulement 3 stations FIP en régions. Et pourtant on retrouve sur les deux antennes la volonté de parler directement à celui qui écoute. « On n’est pas un média uniquement pour se rassurer soi. » affirme Xavier Ridon, autre acteur radiophonique sur Bordeaux, animateur de la Clé des Ondes, radio associative. Les témoignages de ces trois professionnels sonnent à l’unisson : la radio n’est pas centrée sur elle-même. Si elle diffuse c’est avant tout pour concerner son public. Une vérité anecdotique et pourtant pas tant que ça si on parvient au constat que « l’histoire n’hésite pas à oublier les gens à la marge. » commente Xavier Ridon. Une Histoire avec un grand H qui aurait tendance à négliger la réalité vécue par la population ? « Être une radio associative, c’est donner la parole à ces gens à la marge pour qu’eux mêmes fassent émerger un nouveau récit. » L’Histoire, et donc par là la connaissance peuvent trouver une voie pour se construire à la radio. Elle symbolise en tout cas un canal d’expression pour ceux qui n’en possèdent pas. Et c’est précisément parce qu’elle offre cette possibilité de parole que nombre d’auditeurs y demeurent attachés. « Nous avons toujours été défendus par les auditeurs, les partenaires culturels et les politiques de région. » déclare Muriel Chedotal à FIP Bordeaux.
Car FIP n’a pas franchement connus des jours heureux dans l’actualité des dernières années. La station éclectique ne possède déjà plus que trois stations en région (Nantes, Strasbourg et Bordeaux), contre une dizaine jusqu’en 1999. Mais elle a même failli être réduite à la seule antenne parisienne en 2017. C’est ce que souhaitait Anne Sérode, alors directrice de FIP. Pourtant l’élan de mobilisation a été assez important parmi auditeurs, partenaires et admirateurs pour faire retarder le projet. Les emblématiques fipettes demeurent tout de même en sursis. « On rend une vraie mission : musicale, culturelle, locale. » selon l’animatrice. Preuve que ceux qui tiennent à la radio ne veulent pas qu’elle disparaisse, car sur quoi se rabattre sinon ?
« Captiver l’auditeur, mettre des choses auxquelles il ne s’attend pas dans ses oreilles, que ce soit des musiques ou des idées. C’est être militant et pas chiant. » revendique Xavier Ridon, telle est sa mission. La radio serait pourquoi pas, contrairement aux autres médias, plus dénuée de prévisibilité et surtout dotée d’une perspective d’imaginaire certaine. Absence de l’image pour miser sur la créativité de l’auditeur. Miser aussi sur le fait qu’il souhaite en explorer de nouvelles, des perspectives. C’est peut-être d’ailleurs là un paradoxe : jamais l’accès à la culture n’a été si possible, et pourtant une faible partie du tout demeure médiatisée, quand l’autre ne l’est pas. La mission de la radio est là : surprendre, toujours, celui qui l’écoute. « Ceux qui nous découvrent sont souvent surpris » dit fièrement Muriel Chebotal. Surpris, et souvent agréablement car ce n’est sûrement pas pour rien que Jack Dorsey, fondateur de Twitter, a dit de FIP qu’elle est la meilleure radio du monde.
Produit non substituable
Le point de vue n’engage que lui, même si il semble que les étudiants d’Angleterre en sont tout aussi friands, et ça les pubs autour des campus de Cambridge l’ont bien compris. Parmi eux, ceux qui retransmettent FIP via des émetteurs pirates voient leurs tables prises d’assaut. L’anecdote est peut-être passée sous le nez des dirigeants de la radio qui veulent faire taire les fipettes régionales. On en viendrait presque à se demander si être sous l’égide de la direction publique, finalement, serait une forme de bridage. « Un peu des deux » commente Gérald Paris de France Bleu La Rochelle. Il y a le financement d’un côté, nerf de la guerre sans quoi rien ne serait possible, et puis de l’autre il y a cet organe ayant tant fait trembler les journalistes radios des ondes publiques en 2016 : la publicité et son arrivée sur Inter, Info et France Bleu. A petite dose, « mais ça commence toujours comme ça » affirme Xavier Ridon. La radio publique cherche à faire des économies, la publicité a été le remède choisi. « Ceux qui aiment FIP ne peuvent pas écouter d’autres radios à cause de la pub. » témoigne la directrice de FIP Bordeaux, pas encore contrainte par la pub. Ceux qui ne la supportent pas vont donc ailleurs.
Il n’y a qu’à regarder la jauge sur sa petite radio portative : elle est large entre les ondes 88 et 108 FM. Le choix est grand. Et sur ces ondes ce sont trois modèles qui se partagent la gâteau de l’audience. Parmi eux, il y a l’associatif, celui qui dans les règles juridiques « ne peut diffuser plus de 20% de publicité sur sa programmation totale. » Le but n’est pas de générer de l’argent, bien que des salariés peuvent parfois contractualiser avec une radio associative. Dans ce cas, il y a un totem : le Fonds de Soutien à l’Expression Radiophonique (FSER) créé en 1982 par le gouvernement Mitterand et financé par des taxes payées par ceux qui diffusent de la publicité. Sans quoi le modèle associatif n’existerait pas ou bien peu. « C »est un travail important qu’ils font. » commente Muriel Chedotal de FIP. Le travail d’une radio associative c’est de travailler justement avec d’autres associations et de tendre le micro vers ceux qui n’y ont pas accès. « Je ne pense pas qu’on soit une radio marginale. On donne la parole à ceux qui sont à la marge. » dit Xavier Ridon pour la Clé des Ondes. La subtilité est effectivement importante puisque c’est par là qu’elle peut se différencier des radios privées et publiques.
C’est donc à part entière un modèle viable et surtout complémentaire. « On a un numéro de fréquence au même titre que les radios de l’argent ou les radios des gens. » Tout le monde est à égalité sur les ondes, tant que l’auditeur s’y rend au hasard. Mais qu’y trouve t-il qu’il n’entend pas ailleurs ? « Dans chaque ville t’as encore une radio libertaire. T’as pas dans chaque ville une télé libertaire. » pour Xavier Ridon. Une des raisons qui puisse l’expliquer c’est qu’aucun autre média ne peut prétendre à présenter une offre si diverse pour des coûts si peu élevés. Elle est simple d’accès, n’oublions pas que « la moyenne est toujours de 8 postes FM par foyer. » rappelle Muriel Chedotal. De quoi entendre des heures et des heures de radio sans même parfois y prêter attention. L’état en revanche, lui prête attention et a même confié à la radio une mission importante de relais. « On doit être là pour les manifestations, les tempêtes. On est un relais officiel en temps de crise, en temps de guerre. » affirme Gérald Paris. C’est donc sur la radio que les gens se positionnent en premier pour être tenu au courant des derniers événements. Une valeur refuge à part entière, puisse un autre média en dire autant.
Sous la crise, l’âge d’or ?
Le statut de valeur de secours et d’appoint fait parfois passer la radio au second plan dans les plans de l’audiovisuel public. « Le manque de reconnaissance de l’état c’est sur l’utilité sociale d’une radio associative. » clame Xavier Ridon. Une confidence cachant un grain de colère. Il y a pourtant le FSER qui est là, et bien implanté. Que faut-il de plus à la radio puisqu’elle a déjà la possibilité financière d’exister ? C’est plutôt ce qu’il ne lui faudrait pas et ce dont plusieurs acteurs redoutent : la mutualisation. « Le rapprochement entre France 3 et France Bleu n’a pas grand chose de pertinent à faire sans qu’on ne perde chacun de notre nature. » pense Gérald Paris. Le journaliste a l’impression que c’est ce qui va être demandé de plus en plus. Une perte semble t-il, pour la diversité radiophonique. Pourtant, le rapprochement ayant eu lieu entre la radio FranceInfo et la chaîne de télévision apparue en septembre 2016 est une réussite. L’offre proposée, pour le coup, est diverse. Le modèle pourrait donc inspirer l’état pour continuer la dynamique sur des échelles plus localisées. Pour Xavier Ridon « c’est une catastrophe que l’état ne soit pas en capacité de financer un service public de l’information. Est-ce qu’on se voit avec des camions de pompiers où il y aurait écrit Achetez votre téléphone chez Orange ? » L’anecdote prête à sourire. L’animateur sous-entend par là que l’information est un service public au même titre et au même mérite que les autres.
A t-il donc besoin de plus de considération ? « Quand la mission satisfait tout le monde pour un si petit coup, c’est du désespoir qu’on ressent. » confie Muriel Chedotal. D’autant plus quand on sait que les coûts totaux des FIP en France concernent 2% du budget de Radio France. Et encore plus quand on sait que FIP s’adresse en premier lieu aux jeunes et que cette tranche d’âge de la population (13-24 ans) écoute la radio de manière toujours importante. Il ressort d’une étude de Médiamétrie conduite entre 2017 et 2018 que 71% des jeunes écoutent la radio tous les jours de la semaine pour une durée moyenne d’écoute journalière de 1h40. Le public est donc bien présent et fidèle. D’où vient alors la crise que l’état cherche à combattre en voulant réduire ses dépenses ? « Je pense pas que la radio soit en crise. Le monde associatif il est en crise. » commente Xavier Ridon. « La radio n’est pas en crise car les auditeurs sont là, pour tout Radio France. » pour Muriel Chedotal. Comme quoi la crise est peut-être conjoncturelle et dire qu’elle est là arrangerait celui qui veut l’utiliser pour manœuvrer ? Pourtant, de changements et de mutations la radio en a eu cruellement besoin. « Le média radio d’hier ne pouvait plus continuer à exister comme il l’a fait pendant des décennies. » jure Gérald Paris.
Les révolutions sont passées par une numérisation de l’activité radio dans les années 2000 avec l’arrivée majeure du podcast, élément aujourd’hui essentiel à la vie de toutes les radios. Sur le site de Radio France, 50 millions de ces émissions sauvegardées et mises en ligne sont téléchargées chaque mois. Mais on en demande plus encore a la radio d’aujourd’hui. Ceux qui sont derrière le micro s’en trouvent perdus. « Ce serait un faux procès de nous dire qu’on ne s’est pas adapté. » La crise se trouverait peut-être dans le fait que la radio traverse de mauvais jours parce que justement elle se révolutionne. Les gens l’aiment comme elle est, ou pas. Et ce sera donc l’occasion pour la consultation Ma radio demain, de faire son œuvre. Les auditeurs vont pouvoir s’exprimer.
La radio fait société
Quoi qu’il en soit, les auditeurs y demeurent attachés. « Un aspect de la radio c’est toujours sortir de la radio. » Attachés car voilà, la radio n’est pas un univers aseptisé ni cloisonné. Elle n’existe pas sans aller à la rencontre de son public. Une règle même valable pour les autres médias de la démocratie. Cette place médiatique on en mesure l’impact aujourd’hui avec la place que s’est faite les réseaux sociaux dans la sphère. Ont-ils une mission démocratique aussi importante ? Certainement, mais ils ne constituent pas un organe informationnel fiable tel que la radio peut le représenter. Ils sont en fait un contre-média qui n’en est pas un. Une fois encore, la radio est une valeur refuge qui en plus de ça incite ses auditeurs. « On fait sortir les gens. On accompagne les évolutions de société.» commente t-on du côté de FIP. Bref, les radios veulent être écoutées pour pouvoir dire « Circulez, y’a tout à voir » et que les auditeurs aillent voir justement ailleurs ce qui s’y passe. L’espace culturel français est riche. Encore on pourrait dire que c’est anecdotique mais non, les chiffres parlent. Dans le pays, le chiffre d’affaires porté par la culture est 7 fois plus important que celui de toute l’industrie automobile. De quoi faire tourner des têtes et des envieux.
L’équation c’est que la culture ne va pas sans ses moyens de diffusion, dont la radio fait partie. Quand on sent une pointe de nostalgie dans la voix de Gérald Paris, on se demande même si il a peur qu’elle ne disparaisse. « Mais t’imagine un futur sans radio ? » dit-il. Difficilement, et la radio ni ses dirigeants n’en sont là. En témoigne l’avènement de la Radio Numérique Terrestre (RNT), copiée sur le principe de la TNT. Un nouveau format de radio qui permet à encore plus de stations d’être diffusées, d’exister, en format numérique. Comprenez par là, que la radio est aujourd’hui retransmise sur les ondes hertziennes. Pour l’instant seules quelques villes en France sont concernées : Paris, Nice, Marseille et dernièrement Lille.
Encore des nouveaux acteurs donc sur la scène radiophonique. C’est ce que voit Albino Pedroia mi-octobre lors d’une conférence du Groupe de Recherches et d’Études sur la Radio (GRER). Le consultant radio affirme que la pression subie et induite par les nouvelles technologies va faire que la radio va se multiplier : nouveaux acteurs et nouveaux métiers. Et par là, est aussi signifié que les personnels de la radio vont connaître un rajeunissement pour introduire et concilier ces bouleversements. Selon Médiamétrie, 12% des écoutes radios proviennent d’Internet, le chiffre monte à 20% chez les 13-24 ans. La radio ne s’écoute plus toujours sur le poste emblématique de la maison. 80% de la population possède avec son smartphone son poste de réception individuel : le potentiel est important. Les radiophonistes vont devoir développer l’offre Internet et créer des emplois dans le secteur pour capter ce nouveau potentiel. Reste au moins à savoir qui voudra bien financer l’affaire, sans se risquer à dénaturer totalement la radio. De toute évidence, elle n’est pas en sursis. Au contraire, elle va nourrir encore le monde culturel et politique qui l’entoure. Ce dont elle ne peut se passer est en cours d’accomplissement : elle va elle-même être nourrie de pratiques nouvelles, de contenus nouveaux avec un public toujours l’oreille tendue pour voir comment on veut absolument le rassasier.