La prostitution est connu comme “le plus vieux métier du monde” par tous et toutes mais elle reste quand même cachée, taboue, honteuse. Où en est donc la prostitution au XXIème siècle ?
État des lieux
Il y a très peu de chiffres fiables et récents quant à la prostitution en France, difficile de comptabiliser un marché caché, illégal et dont les pratiques évoluent tous les jours. Cependant une étude baptisée ProstCost, financée par la Commission Européenne et réalisée par le Mouvement du Nid (association “agissant sur les causes et les conséquences de la prostitution”) en 2015, donne à voir une partie de l’ampleur de ce phénomène. En effet il y aurait en France entre 30 000 et 40 000 prostiué-es, dont 85% de femmes, 10% d’hommes et 5% de transgenres. Un marché très lucratif, puisque selon le Ministère des Familles, de l’Enfance et des Droits des Femmes, en 2015 les profits provenant de l’exploitation sexuelle dans le monde étaient estimés à environ 100 milliards de dollars par an.
Victimes
Selon le même Ministère, 93% des prostituées en France en 2015 étaient étrangères. Parmi les foyers d’origine principaux des prostituées, on retrouve la Bulgarie et le Nigeria. Cependant les techniques pour prostituer ces jeunes femmes sont très différentes. En Bulgarie, c’est la technique dite douce du “lover boy” qui est monnaie courante : une jeune fille tombe amoureuse d’un proxénète, ils partent vivre “une meilleure vie” en Europe de l’ouest puis elle est forcée à se prostituer, souvent vendue, donnée, échangée avec d’autres proxénètes. Au Nigeria, c’est une tout autre histoire, une histoire de magie noire. Les jeunes femmes pauvres, réalisent un serment auprès du shaman du village promettant leur allégation à une “Madame” qui les envoie travailler en Europe. Selon leurs croyances, si la promesse est rompue, la jeune fille mourra et ira (plus ou moins) en Enfer. La “Madame” joue donc le rôle de proxénète et force les jeunes filles à se prostituer loin de leurs familles. La liberté pour ces filles coûte 50 000€ à verser à leur proxénète.
Le point commun de ces jeunes femmes bulgares et nigérianes (et de toute façon de la majorité des prostituées) réside dans la violence, l’humiliation, la prise de drogue forcée et les conditions de vie désastreuses qui résument leur quotidien. Selon la même étude du Ministère des Familles, de l’Enfance et des Droits des Femmes, en 2015, 51% des personnes prostituées ont subi des violences physiques dans le cadre de la prostitution. Malgré le bénéfice élevé de cette activité, les prostituées restent très précaires, l’argent étant pour le proxénète, elles n’ont droit qu’à quelques centaines d’euros par mois pour se nourrir et s’habiller.
Prostitution 2.0
La prostitution, reflet de la société numérique du XXIème siècle, s’exercerait à 62% sur Internet via des « petites annonces” mises en ligne, selon l’étude ProstCost. Les travailleurs-euses du sexe ne sont plus alors que 30% dans la rue et 8% “indoor” (bars et salon de massage). En effet, on assiste à une explosion de soi disantes propositions de “rencontres” sur de nombreux sites de petites annonces. Par exemple, le site Vivastreet comportant plusieurs centaines de milliers d’annonces actives en France, supportait de nombreuses annonces de rencontre frauduleuses jusqu’au mois de juin 2018, où le site décide de fermer la section Rencontres. Ces annonces sont ornées de photos de femmes dénudées, mais ne comportent pas la mention de relations sexuelles marchandées. Cependant dès le premier coup de fil, le tarif, la durée et le lieu de la prestation sont délivrées au client. Les deux parties se retrouvent alors dans un hôtel de premier prix, étroitement surveillés par des hommes (engagés pour la sécurité ou proxénètes) et où les prostituées enchaînent les passes. Avec cette forme de prostitution 2.0, trouver une prostituée s’avère plus facile, plus rapide et moins risquée pour le client. Mais le danger réside dans cette accessibilité accrue qui séduit de plus en plus de filles mineures, attirées par cette argent rapide.
Débat
En France, l’activité consistant à fournir des services sexuels en échange d’une rémunération n’est pas illégale, c’est acheter ces services, c’est être client, qui est interdit depuis la loi du 13 avril 2016. Cette loi a également pour but de créer “un parcours de sortie de la prostitution et d’insertion sociale et professionnelle” et d’accompagner “vers les soins des personnes prostituées pour une prise en charge globale”. Mais elle n’est pleinement valable que depuis le 1er Février 2019 et la validation du Conseil Constitutionnel.
Malgré cette loi, un débat persiste parmi les féministes entre abolitionnistes qui considèrent que la violence est inhérente à la prostitution et non-abolitionnistes qui estiment que la violence est dûe à la situation. Ces dernières-ers réclament les mêmes droits pour les prostituées que pour tous les autres travailleurs et l’abolition de la stigmatisation et de la honte qui entoure la prostitution. Selon cette vision, si cette “profession” était légale et encadrée, il serait beaucoup plus simple pour les prostituées de se protéger des violences. En effet, si les prostituées disposaient d’une réglementation sur laquelle s’appuyer, elles pourraient plus facilement imposer le port du préservatif et donc se protéger des maladies vénériennes. Une prostituée reconnue par la loi et par la société serait beaucoup plus enclin à faire appel aux forces de l’ordre si un homme se trouve menaçant. Cependant, cette façon de penser la prostitution ne serait valable que pour les prostituées par choix, qui représentent aujourd’hui en France, une minorité.
Ce questionnement quant à la légitimité de la prostitution a été soulevé dès 1997 par le Manifeste des Travailleuses du Sexe de Calcutta écrit par le Durbar Mahila Samanwaya Committee : “[…] Si nous devons accepter – dans notre monde qui est loin d’être idéal – l’immoralité de transactions commerciales concernant la nourriture ou la santé, alors pourquoi serait-il si immoral et si inacceptable d’échanger du sexe contre de l’argent ? Peut-être que dans un monde idéal il n’y aurait pas de telles transactions – un monde où les besoins matériels, émotionnels, intellectuels et sexuels de toutes seraient satisfaits de façon équitable, avec plaisir et bonheur. Nous ne savons pas. Tout ce que nous pouvons faire maintenant consiste à examiner les inégalités et injustices actuelles, questionner leur fondement afin de les affronter, de les remettre en cause et de les changer.”
Lilia Fernandez
Crédits photos : CG / Julien Pruvost / AAP
Étudiante en double licence info com / llce anglais, passionnée de journalisme, j’aime toucher à tout.