“Pauvres créatures”, une relecture féministe de Frankenstein ?

“Pauvres créatures”, une relecture féministe de Frankenstein ?

Le nouveau film de Yorgos Lanthimos, “Pauvres créatures”, a été récompensé d’un Lion d’or à la Mostra de Venise. L’épopée baroque de la protagoniste principale Bella Baxter, interprétée par la merveilleuse Emma Stone, raconte l’émancipation de cette femme réincarnée grâce à un savant fou. Godwin Baxter, un scientifique obscur et peu orthodoxe, a pour brillante idée de récupérer le cadavre d’une femme enceinte et de lui greffer le cerveau de son fœtus. Bella prend donc vie à Londres durant l’époque victorienne et découvre un monde inconscient des normes patriarcales de la société. On comprend rapidement que ce film se présente comme une relecture féministe de “Frankenstein”, célèbre roman de Mary Shelley. Attention, si vous ne voulez pas être spoilé, cet article n’est pas fait pour vous.

 

Découverte d’un monde

La première scène du film montre une femme enceinte, Bella, sauter d’un pont dans la Tamise. Godwin, grand scientifique reconnu, la récupère pour en faire une nouvelle femme. Il l’opère et la réanime en lui introduisant le cerveau du fœtus dans le sien. Les couleurs, tant saturées, se transforment immédiatement en noir et blanc. La première partie du film s’instaure dans une colorimétrie terne, faite de noir et de blanc. Bella, alors très jeune mentalement, apprend à vivre. Ses mots sont peu nombreux, sa démarche est instable et ses caprices sont récurrents. Bella appelle son créateur “God”, ce qui signifie dieu en anglais, non par croyance mais parce que c’est son nom. Cette coïncidence n’en est pas tant puisque Godwin l’a créée. Bella grandit et évolue doucement enfermée chez son père. Elle y découvre pour autant de nouvelles choses comme sa sexualité, qu’elle affirme sans complexe ni tabou. Elle rencontre lors de ses expériences un avocat, le débauché Duncan Wedderburn. Il lui propose de s’enfuir pour qu’elle découvre le monde avec lui. Des couleurs saturées s’installent. Bella accepte et sa soif de découverte prend le dessus. Ils se rendent à Lisbonne et ici commence l’aventure.

 

L’importance des images

Le film aborde les scènes avec une colorimétrie méticuleusement choisie. Toutes ces couleurs donnent une ambiance et un sens. Au début, les images sont en noir et blanc lorsqu’elle est enfermée chez Godwin, deviennent bleues sur le bateau, oranges à Lisbonne ou jaunes en Égypte. Chaque couleur évoque une facette de son périple. La scénographie, le choix de couleurs, de costumes créent un propre univers. La manière dont Bella s’habille reflète sa personnalité, libérée et hors norme. Des robes courtes, des vêtements transparents, une chevelure digne de Raiponce, Bella se distingue dans une période où les femmes se coiffent et s’habillent de manière très classique.

 

Des figures masculines écrasantes

Tout au long du film, Bella est accompagnée d’un homme. Godwin, Wedderburn, MaxCandless, Christopher Abbott. Elle grandit entourée de figures masculines oppressantes, avec Godwin qui ne veut pas la faire sortir de la maison, Duncan Wedderburn qui l’empêche parfois de parler, d’agir, l’enferme. Sans compter son ex-mari Christopher Abbott qui lui aussi l’enferme. Bella se rebelle plus d’une fois en voulant se séparer des hommes qui l’entourent. Ce n’est que lorsqu’elle travaille dans un bordel parisien entourée de femmes qu’elle commence une réelle émancipation, autant d’un point de vue féministe que politique. Bella se conscientise de plus en plus, lit, s’instruit, se pose des questions sociétales. Elle commence à parler comme une adulte et à marcher correctement.

 

Une émancipation involontaire

À travers les yeux naïfs de Bella, « Pauvres créatures » dévoile une société remplie de contraintes pour les femmes. Bella émerge comme une héroïne émancipée, libre de ses choix et de son destin. Elle ne connaît rien des normes et valeurs, et encore moins en tant que femme. Elle a une manière de danser, d’aborder le sexe sans gène et de rencontrer des gens sans timidité ni pudeur dans une époque où la femme se doit d’être discrète, belle et bien élevée.. Bella se met même à étudier afin de devenir chirurgienne, dans un monde où la médecine est un métier d’homme. On regarde ce film à travers les yeux d’une femme laissée dans une société pleine de défauts, où son rôle ne laisse que très peu de libertés. Les codes moraux et sociaux sont délicats à aborder et à comprendre. Bella est finalement une femme émancipée, libre qui dispose pleinement de son corps et de son cerveau. Un parallèle se fait avec le film « Barbie » de Greta Gerwig, où Barbie découvre le monde réel après avoir vécu dans un monde “matriarcal”, où la femme avait le pouvoir et le dessus.

Crédits photo : Atsushi Nishijima – Searchlight Pictures

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