Nouvelle-Calédonie : la marque bleu-blanc-rouge est-elle indélébile ?

Nouvelle-Calédonie : la marque bleu-blanc-rouge est-elle indélébile ?

Jamais deux sans trois. Après un premier référendum en 2018, et un second en 2020, ce dimanche 12 décembre les Calédoniens ont de nouveau voté pour rester français. Mais avec un taux d’abstention considérable, cette décision ne reflète pas l’évolution de l’opinion publique sur la question. Explications sur le parcours de l’émancipation calédonienne

 

Le « Caillou » sous les griffes du Coq depuis 1853

Découverte au 18e siècle par le célèbre James Cook, la Nouvelle-Calédonie devient française en 1853. En raison de son paysage rocheux, le regroupement d’îles est rapidement appelée le « Caillou » par les européens. Le drapeau tricolore est dressé sur le territoire sous l’ordre de Napoléon III, qui projette d’y établir une colonie pénitentiaire. Cependant, il fallait s’y attendre, un peuple natif est déjà présent sur le territoire : les Kanaks. Comme dans bien des histoires de colonisations, ces autochtones se retrouvent persécutés. Tels de simples pions gênants sur l’échiquier de l’implantation française, ils sont mis à l’écart de leurs terres lors des opérations du « grand cantonnement ». L’étymologie du mot « kanak », qui signifie « homme libre », perd alors tout son sens. S’ensuit la construction d’un bagne et le début de l’exploitation du nickel, un minerai rare dont les principales concentrations se trouvent en Nouvelle-Calédonie. Face à la discrimination subie, les Kanaks se révoltent à plusieurs reprises : une première fois en 1878, où leur chef est exécuté, et plus tard en 1917, dans un contexte de Première Guerre Mondiale. Le motif de cette seconde rébellion tient place dans l’audace du gouvernement français, qui tente d’inciter les Kanaks à s’engager pour l’armée bleu-blanc-rouge… après les avoirs persécutés et écartés de leurs terres. Mais pour le peuple Kanak, rien n’y fait : il lui faut patienter une trentaine d’années pour entrevoir la situation s’améliorer.

 

Une considération difficile de l’opinion Kanak

En 1946, les Kanaks ne sont plus considérés comme des indigènes mais comme des citoyens français : un premier pas pour la reconnaissance du peuple et l’amélioration de ses relations avec le gouvernement tricolore. Mais dans les années 1960, lorsque le cours du nickel explose, l’Hexagone reprend sa mainmise sur le « Caillou ». Face au débarquement de Français depuis la métropole et la Polynésie, la population kanake devient minoritaire : une position difficile alors qu’elle commence à réclamer son indépendance. Alors en 1988, pour imposer leurs revendications, des militants kanaks mettent en place une opération qui mène à la mort de 4 gendarmes et à la prise d’otage de 27 autres. Cet épisode, aujourd’hui évoqué comme « le drame de la grotte d’Ouvéa », se solde par l’assaut français : 19 kanaks et 2 gendarmes sont tués. Face à cette perte, les dirigeants du parti indépendantiste (le FLNKS*) et du parti loyaliste (le RPCR*), respectivement Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur, entament des discussions. Dans le but de réconcilier Kanaks et Caldoches (surnom donné aux français européens de Nouvelle-Calédonie), les Accords de Matignon sont conclus le 26 juin 1988. Ces accords sont un premier pas dans la réorganisation de la répartition des pouvoirs en Nouvelle-Calédonie. En bref, ils visent aussi à lancer une période de dix ans de développement sur le territoire, période au terme de laquelle un référendum pour le statut du « Caillou » serait organisé. Mais au bout de cette décennie de transition, un nouvel accord voit le jour.

 

*FLNKS : Front de Libération National Kanak et Socialiste

*RPCR : Rassemblement pour la Calédonie dans la République

 

Nouméa, ou comment apprendre à voler de ses propres ailes

5 mai 1998, la période de transition est terminée, les Kanaks attendent enfin le moment où ils pourront se prononcer quant à leur statut. Néanmoins, pour éviter de faire rebasculer les conflits locaux entre loyalistes et indépendantistes, les deux partis se mettent d’accord : le référendum sera repoussé après 2014. Cette décision demande aux Kanaks de faire encore preuve de patience. Toutefois, établie par l’Accord de Nouméa (du nom de la capitale Calédonienne), cette entente accorde d’ores-et-déjà le transfert d’un certain nombre de compétences au gouvernement de Nouvelle-Calédonie. Surtout, plus qu’un simple report du référendum, elle s’annonce comme le point de départ d’une période de décolonisation sur 20 ans. Un laps de temps assez long mais qui, à terme, garantit aux Calédoniens leur droit à l’autodétermination. Et l’accord de Nouméa s’annonce d’autant plus satisfaisant qu’il prévoit non pas une seule consultation, mais, en cas de majorité du « non » à l’indépendance, trois référendums. Une précaution qui s’avère nécessaire étant donné la démographie du « Caillou » : les Kanaks représentent désormais moins de la moitié de la population, composée pour le reste d’européens et d’autres peuples du Pacifique. De même, les électeurs ne représentent pas tout le monde : ils sont définis par plusieurs critères, notamment une domiciliation depuis 20 ans en Nouvelle-Calédonie. Si bien qu’en dépit de l’Accord de Nouméa, le territoire semble vouloir conserver sa teinte bleu-blanc-rouge. En effet, lors des référendums successifs, les Calédoniens disent « non » une première fois en 2018, puis une seconde fois en 2020… et une troisième fois en 2021.

 

Dernier référendum : des résultats illégitimes ?

Lorsque l’on connaît le passé des Kanaks, ce dimanche 12 décembre, on aurait pu s’attendre à voir les indépendantistes se jeter sur les scrutins. Mais aux bureaux de votes, le déroulement du référendum a été tout autre. Alors que le Covid flambe sur les îles calédoniennes depuis plusieurs mois, le FLNKS avait tout d’abord demandé le report du scrutin. Mais face au refus du gouvernement français, les indépendantistes se sont repliés sur le boycott du référendum, affirmant qu’ils n’en reconnaîtraient pas le résultat. Alors dimanche dernier, la stupeur a pris place au déballage des bulletins de vote. « Non », « non », et encore « non » : 97 % de refus d’indépendance. Les résultats de 2018 et 2020 s’annonçaient serrés (57 % puis 53 %) avec une légère montée en puissance des indépendantistes. Mais ceux de 2021 sont catégoriques : la Nouvelle-Calédonie restera française. Si les premiers constats se tournent vers ces résultats tranchants, il est essentiel de garder un œil sur le taux d’abstention. Plus d’un électeur sur deux ne s’est pas rendu aux urnes. Dans ce cas, le résultat est-il représentatif ? D’après la Commission de Contrôle, oui. Selon son président, Francis Lamy, le taux d’abstention «n’affecte pas la régularité ni la sincérité du scrutin». Néanmoins, l’avis n’est pas le même chez d’autres spécialistes. Isabelle Merle, historienne et directrice de recherche au CNRS, affirme que le résultat est illégitime et le qualifie de « non analysable » compte tenu de la participation des électeurs. Dans tous les cas, le président Macron l’a bien affirmé dimanche lors de son discours : « La Nouvelle-Calédonie restera française. »

Un réveil de l’indépendance repoussé

Certes, cet ultime référendum sonne l’arrivée à terme des accords de Nouméa. Ainsi, une nouvelle période de transition débute d’ores-et-déjà jusqu’en 2023. Celle-ci vise à élaborer un nouveau projet concernant le statut de la Nouvelle-Calédonie. Mais les indépendantistes refusant d’admettre le résultat du dernier scrutin, les discussions s’annoncent complexes. Ces derniers conservent par ailleurs tout leur optimisme. Jean-Philippe Tjibaou – petit fils de l’ancien leader du FLNKS, Jean-Marie Tjibaou – explique : « Si ce n’est pas ce coup-là, ce sera pour une autre fois, pour un autre moment. » Des affirmations qui sous-entendent que, même si la Nouvelle-Calédonie n’était pas prête pour l’indépendance cette fois-là, elle finira par l’être un jour ou l’autre. Agnès, une militante indépendantiste explique à FranceInfo : « Le président n’a pas compris. L’indépendance, ce n’est pas oui ou non. C’est quand et comment. J’ai des amies qui votent non à chaque fois. Mais même elles, elles savent au fond d’elles qu’on y va, vers l’indépendance. » La définition du statut de la Nouvelle-Calédonie ne sera donc pas immédiate, et demande encore de la patience. Mais, que cela soit visible ou non dans les scrutins, nombreux sont les Calédoniens qui pensent bel et bien que leur territoire avance vers une seule direction : celle de l’indépendance.

 

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