Nicolas Caraty, la culture vue les yeux fermés

Nicolas Caraty, la culture vue les yeux fermés

Aveugle et médiateur culturel au musée d’Aquitaine, à Bordeaux, Nicolas Caraty remplit sa mission chaque jour depuis 19 ans. Raconter l’histoire, expliquer et décrire les œuvres font partie de son quotidien. Le handicap, il en a fait une force. Portrait.

Accueillie par la chaleur du musée d’Aquitaine de Bordeaux, Nicolas Caraty, 50 ans, me raconte son histoire. Une imposante bâtisse en pierre bordelaise, de multiples secrets d’histoire, des vitrines remplies d’œuvres, le discours de Nicolas Caraty nous transporte directement dans l’univers culturel du musée.  

Né avec une malformation congénitale, Nicolas ne voit que d’un seul œil. C’est à l’âge de 12 ans que le jeune garçon voit sa vue se dégrader. Trois ans plus tard, un voile noir apparaît devant ses yeux. « Aujourd’hui, je ne vois plus du tout » confirme-t-il. Cette particularité, il réussit à la cultiver tout au long de ses jeunes années. A 20 ans, un CAP en poche effectué à l’Institut National des Jeunes Aveugles à Paris, Nicolas devient accordeur-facteur de pianos puis conseiller clientèle, mais aussi employé au Futuroscope. « J’ai bien roulé ma bosse avant d’arriver au musée ». 

Sa carrière professionnelle est jalonnée de plusieurs étapes. Pas un grand passionné d’histoire, au départ, mais comment Nicolas s’est-il retrouvé un des guides préférés des visiteurs du musée ? D’abord animateur dans l’association bordelaise « Toucher pour connaître », Nicolas Caraty adapte des expositions culturelles pour des déficients visuels. Quelques années plus tard, nous le retrouvons standardiste pour l’enseigne française les 3 Suisses. Là-bas, il « rencontre des personnes du musée d’Aquitaine venues observer les postes occupés par les déficients visuels »

Après 8 ans passés derrière un combiné téléphonique, Nicolas décide de changer de voie et recontacte le musée d’Aquitaine. « Au moins, je pourrais aller faire des stages » se disait-il. Les stages proposés portaient sur des questions d’accessibilité, « les équipes du musée m’ont demandé d’évaluer ce qu’il était possible de mettre en place pour les publics déficients visuels » explique Nicolas. C’est après ces différents stages, qu’un poste de médiateur culturel lui a été proposé. « Si le challenge était concluant, la mairie de Bordeaux en partenariat avec le musée décidait de maintenir l’ouverture de ce poste » détaille-t-il.

Guide et aveugle, c’est un pari fou que se lance Nicolas Caraty. Pionnier en la matière, à 31 ans, il brise les a priori sur le handicap. « En France, nous ne sommes pas très nombreux, il faut être honnête. J’ai au moins une consœur aux Monuments de France et un confrère aux Arts et métiers à Paris. » sourit-il. Son métier questionne. Privé d’un de ses cinq sens, traditionnellement indispensable pour un guide de musée, Nicolas Caraty redouble d’efforts pour pallier sa singularité. 

« J’avais de bonnes connaissances historiques, ce qui m’a aidé pour mes débuts » retrace-t-il. Nicolas applique avec méthode un processus d’apprentissage. Il découpe le musée en « tranche », il travaille époque par époque. C’est avec la préhistoire qu’il débute sa formation. « Les conservateurs du musée devaient prendre le temps de me faire découvrir les objets, que je puisse les manipuler, les toucher. Quand il n’était pas envisageable d’y accéder, les conservateurs me racontaient, me décrivaient les œuvres. » poursuit-il. Nicolas écoute, apprend et réalise sa propre « note de synthèse ». Un travail de longue haleine auquel s’ajoute la gestion et la maîtrise de l’espace. 

Toujours accompagné de sa canne blanche, Nicolas doit se familiariser avec les salles du musée qu’il ne connaissait pas avant d’y entrer. Un défi supplémentaire qu’il surmonte avec aisance. Aujourd’hui, Nicolas Caraty couvre toutes les époques et une grande partie des expositions.

Vivre une visite avec Nicolas semble être un moment hors du temps. Appréhensions, questionnements, la réaction du public varie en fonction des âges, mais aussi de l’évolution des mœurs. « Lorsque je sens qu’il y a des interrogations sur le handicap, je prends le temps d’en parler. Pour certains publics, cela peut être trop envahissant. Je déblaye la partie handicap pour ensuite se plonger dans la thématique de la visite. » rapporte-il. Jeunes et moins jeunes, Nicolas Caraty s’habitue à la curiosité de ses publics

Depuis maintenant 19 ans, Nicolas porte le titre de médiateur culturel en charge de l’accessibilité au musée d’Aquitaine. « En plus d’être un guide conférencier, je peux être amené à mettre en place des ateliers pour les jeunes publics et/ou les publics en situation de handicap » explique-t-il. Sensible, mais assuré, « les personnes en situation de handicap ont, elles aussi, le droit et le besoin de se rendre au musée ». Avec lui, le musée d’Aquitaine travaille pour accueillir ces publics et répondre à leurs particularités

Iturria, la vie comme elle va<br />Dessins de presse, dessins d'humour<br />
Rétrospective de l’univers humoristique<br />
du dessinateur de presse Michel Iturria.<br />
2 mars – 3 juin 2012<br />
Exposition temporaire<br />
Musée d'Aquitaine<br />
dispositif non voyants
©Mairie de Bordeaux

« Récemment, nous avons ouvert un parcours appelé « parcours sensoriel » qui permet de présenter un résumé du musée à toutes ces personnes qui ont des difficultés de lecture, de compréhension, de handicap psychique, mental, de surdité, visuel et moteur » annonce-t-il. Presque opérationnel sur toutes ces questions, Nicolas Caraty poursuit et explique que le musée d’Aquitaine travaille en synergie avec les autres structures municipales de la ville. 

La présence de Nicolas dans les équipes du musée a, finalement, permis de développer tout un sujet autour de l’accessibilité des personnes en situation de handicap. « Le handicap, c’est notre société ».

Porteur d’espoir, à 50 ans, Nicolas Caraty devient une figure de réussite pour les jeunes avec des particularités. « Il faut vivre ses rêves, aller vers ce qu’on a envie de faire et s’armer de patience. Aujourd’hui, la société a évolué. On n’a pas encore gagné la guerre, mais on gagne des petites batailles… » conclut-il.

 

Crédits image de couverture : ©Mairie de Bordeaux

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