Miss France : un concours toujours d’actualité ?  

Miss France : un concours toujours d’actualité ?  

Samedi 16 décembre dernier, Ève Gilles a été élue 94e Miss France à Dijon. Sa particularité ? Son discours engagé, son physique atypique, et notamment ses cheveux courts. Cible de cyberharcèlement et de polémiques autour du concours, elle est la victime des internautes français, à des rancœurs qui remontent à bien plus longtemps pourtant…

 

Une soirée à la large palette de tableaux musicaux

Cette année, la soirée tournait autour du thème de la boîte à musique. Les Miss régionales nous ont dévoilé une palette de chorégraphies et de tableaux, allant des années 80 aux années Rock, de la salsa et au flamenco…

Le jury était 100 % féminin, composé de l’ancien mannequin Adriana Karembeu, la chanteuse Nolwenn Leroy, l’actrice Stéfi Celma, la boxeuse Estelle Mossely, la cheffe pâtissière Nina Métayer et l’humoriste Élodie Poux.

Le 16 décembre 2023, c’est la date qui marquera la vie d’Ève Gilles à tout jamais. Cette jeune femme de 21 ans, étudiante en mathématiques, du haut de ses 1 mètres 70, s’est vue recevoir l’écharpe de Miss France ; et cela ne s’est pas fait en un battement de cils. D’abord élue Miss Hersin-Coupigny, puis Miss Nord-Pas-de-Calais, elle a décroché la 4e place dans le test de culture générale, ex aequo avec Miss Tahiti, Ravahere Silloux.

Après de longues années de travail pour s’assumer telle qu’elle est : une femme à la figure fine et aux cheveux courts. Et pourtant, dès lors son élection en tant que Miss France 2024, une vague de haine a déferlé sur les réseaux sociaux. Les commentaires tournent notamment autour de son physique.

Et pourtant, depuis une dizaine d’années, le programme est critiqué de sexualiser des femmes à l’écran, d’être un concours misogyne. Tandis qu’Ève est harcelée sur les réseaux sociaux sur son physique, le débat est loin d’être clos.

Miss France : féminine ou féministe ?

Au premier abord, le concours est perçu comme sexiste et machiste. Créée par le journaliste Maurice de Waleffe en 1920, la compétition a initialement été créée pour désigner « La Plus Belle Femme de France », et mettre en avant la splendeur physique et le « type » de femme de la France.

Depuis plus d’un siècle, les femmes défilent tandis que les concours pour les Mister France sont passés à la trappe, non diffusés sur les chaînes nationales. La mise en beauté a longtemps surplombé la personnalité des participantes. Depuis quelques dizaines d’années, des portraits sont présentés en début d’émission pour que les candidates s’expriment auprès des spectateurs à propos de leur personne, de leur région et de la cause qui leur tient à cœur.

Et pourtant, la société évolue à toute vitesse avec les réseaux sociaux, et les associations féministes ont de plus en plus de revendications. Des nouvelles problématiques autour du concours émergent, et la société Miss France change ses critères de sélection presque tous les ans. Par exemple, depuis décembre 2021, les femmes transgenres sont autorisées à participer. Et depuis début 2022, les femmes sont autorisées à se présenter peu importe leur âge, si elles sont mariées, mères de famille, ou si elles ont des tatouages.

Un collectif d’associations et de syndicats dont l’Assemblée Générale de la Grève Féministe continue néanmoins de protester contre le concours. Dans un communiqué de presse du 12 décembre qui appelle au boycott, elle dénonce le corps de la femme qui est « instrumentalisé comme objet de loisir et de spectacle à des fins commerciales publicitaires« . Il y a un certain aspect moral qui rentre en jeu. « Cette vision archaïque ne correspond plus aux aspirations actuelles à la diversité et à l’inclusion des différentes représentations des corps féminins en 2023-2024« . Sylvie Tellier, présentatrice et ancienne organisatrice de l’association Miss France, y a réagi en s’appuyant sur le jury 100 % féminin de cette année :

« Quoi de mieux que des femmes pour juger des femmes ? »

– Sylvie Tellier

Cela tombe à pic avec la diversité culturelle que représente notre nouvelle Miss France. Les origines réunionnaises, la silhouette fine et les cheveux courts, Ève Gilles représente la femme moderne, aux multiples facettes de sa personnalité qui changent les codes.

L’organisation Miss France est accusée par ce même collectif d’associations de féminisme washing, c’est-à-dire le brainwashing des spectateurs en faisant croire qu’elle se préoccupe de l’égalité, de l’inclusion et de la diversité des Miss.

Pour en savoir plus : Définition du féminisme washing, leur rôle dans les entreprises

Au-delà du concours de beauté…

Or, ce groupe d’associations et de syndicats ne se focalise que sur la soirée de l’élection et sur les portraits officiels. La soirée n’est que le fruit de nombreuses semaines de travail acharné. Certes, c’est lors de cette soirée que tout se joue pour les Miss régionales. Le show, les costumes, les maillots de bain et les défilés y sont mis sous la lumière des projecteurs. Les backstages de cette soirée sont trop souvent oubliés.

Les Miss régionales ont pu apprendre à se connaître et à créer des liens lors d’un voyage d’intégration en Guyane en novembre dernier. Au cours de celui-ci, elles ont suivi une grande variété de cours, dont des cours de danse, de yoga, d’éloquence, d’étiquette, d’anthropologie, de catwalk, etc. Elles ont également passé le quiz de culture générale au milieu du séjour. Par ailleurs, il s’agit de la Miss Alsace, Adeline Vetter qui l’a remporté, sans pour autant finir classée dans le top 15. L’intégration du contenu de ces cours est révélée notamment lors des entretiens de présélection et lors des prises de parole des Miss au cours de la soirée.

Des prix divers sont également remis à l’issue de l’aventure. Par exemple Miss Aquitaine Lola Turpin a reçu le prix de la camaraderie et de l’éloquence, tandis que Miss Auverge Oriane Mallet a été élue comme l’aventurière du groupe, Miss Normandie Wissem Morel a reçu le prix du meilleur catwalk et enfin Miss Picardie Charlotte Cresson a reçu celui du meilleur costume régional.

Enfin, la communication sur les réseaux sociaux est un grand facteur qui permet de se créer une communauté soudée en amont du soir de l’élection. La fréquence des publications, stories et reels sur Instagram, ainsi que la prise de parole en story permet d’accroître sa popularité dans sa région.

Cela serait une piste que l’émission communique plus sur ces étapes de préparation, notamment à l’écran familial, pour déconstruire les clichés du simple concours de beauté.

Doit-on continuer à regarder l’émission ? 

Malgré toutes les critiques reçues, le programme s’efforce de s’améliorer dans ses critères et dans ses cours dans le voyage d’organisation. Mais le même problème revient tous les ans : la vision réductrice et l’hypersexualisation des femmes.

Lorsque la majorité des spectateurs ne suivent pas le travail de préparation des Miss, cela instaure les clichés de la femme qui défile sous le regard d’une société patriarcale. Pour les petits garçons, ils pensent que toute belle femme est grande et fine aux cheveux longs. Pour les petites filles, cela crée des complexes. Pour d’autres, les Miss sont leurs idoles et elles souhaitent le devenir plus tard. Les femmes ne sont plus uniquement esthétiques ; des femmes de talent, de pouvoir, et d’engagement défilent elles aussi.

La sémiologue Virginie Spies analyse le programme est déclare :

« C’est un conte de fées moderne ! Miss France, c’est Cendrillon. La preuve que sans éducation, sans condition, on peut recevoir la couronne. »

– Virginie Spies, sémiologue

Ève Gilles complète le discours de Virginie Spies ; peu importe l’éducation que l’on a reçue, peu importe d’où l’on vient, si on s’en donne les moyens, on peut. Puis Sylvie Tellier souligne qu’un millier de candidates se présentent tous les ans, et que boycotter l’émission serait piétiner leur choix et leur rêve.

Enfin, malgré les critiques, le programme a rassemblé 7.5 millions de spectateurs le samedi 16 décembre. Ces nombreux scandales ne suffisent pas pour empêcher les Français de se donner rendez-vous devant l’émission culte tous les ans.

Lou Saelens

Crédits photo : GK Sens-Yonne – Flickr

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