Michelle O’Neill : incarnation d’une Irlande du Nord marquée par 2 ans de paralysie politique

Michelle O’Neill : incarnation d’une Irlande du Nord marquée par 2 ans de paralysie politique

Le samedi 3 février, Michelle O’Neill est devenue la Première ministre de l’Irlande du Nord. C’est la première fois depuis la guerre civile nord-irlandaise ‘The Troubles » que la province britannique est dirigée par le parti politique républicain nationaliste Sinn Fein. Qu’importe l’issue, après plus de 2 ans d’absence de gouvernement, l’Irlande du Nord sort du silence. C’est au plus grand bonheur des unionistes que leurs revendications sur la légitimité et l’autonomie commerciale du pays soient au cœur des débats…

Michelle O’Neill, vice-présidente du parti politique Sinn Fein, a remporté les législatives à Stormont de mai 2022. Or, elle n’a pu accéder à ses fonctions qu’après que 2 années se soient écoulées.

Jusqu’à ce samedi 3 février, le gouvernement, aussi appelé exécutif local, a traversé une paralysie politique historique du fait du boycott des unionistes à l’Assemblée. Leur principale revendication ? Les règles commerciales post-Brexit établies par Boris Johnson en 2020.

 

Un gouvernement impuissant depuis 2 ans : explications

À titre informatif, le pouvoir exécutif nord-irlandais est partagé entre nationalistes et unionistes. Il est soumis à la loi de co-gouvernance issue des accords de Belfast de 1998. Cela exige que parmi le Premier ministre et le Vice Premier ministre, l’un soit nationaliste, et l’autre unioniste. 

D’un côté, les nationalistes du Sinn Fein sont généralement catholiques et favorables à la réunification de l’île d’Irlande.

D’un autre côté, les unionistes du Parti Unioniste Démocrate (DUP) sont essentiellement protestants, loyalistes, et préfèrent rester sous l’autorité britannique

Les règles commerciales signées par Boris Johnson stipulaient d’introduire des contrôles aux frontières des produits arrivant en Irlande du Nord. L’ancien Premier ministre souhaitait éviter la création d’une frontière entre l’Irlande et l’Irlande du Nord, qui pourrait nuire à la paix négociée en 1998, tout en préservant le marché unique européen. Les unionistes se sont donc sentis mis à l’écart de l’Union britannique, et ont observé une frontière se dessiner avec la Grande-Bretagne. Ils ont ainsi commencé à faire pression en boycottant l’Assemblée. 

Or, si l’un des deux pouvoirs manque à l’appel, les lois et décisions sont bloquées. Elles ne peuvent être discutées, ni exécutées. Par exemple, malgré 6 rappels à l’Assemblée, les unionistes bloquaient le vote pour élire un président de la Chambre, un « speaker« . Cela fait donc 2 ans que Londres prend les décisions, au vu de l’exaspération de la population face au blocage. 

Aucune décision écologique et environnementale n’a donc été prise depuis 2 ans. L’aggravation de la pollution du lac Lough Neagh en découle. Ce lac fournit l’eau potable de la moitié des Nord-Irlandais, et aucune Assemblée ne peut le protéger et prendre des mesures pour le décontaminer. Le pays ne peut pas agir pour préserver son bien-être écologique, budgétaire, économique et social.

 

Un chemin semé d’embûches pour se libérer de la paralysie politique

Le 27 février 2023, a lieu un premier accord entre Bruxelles et Londres, également intitulé Cadre de Windsor. Il promet d’alléger les contrôles sur les marchandises.

Les marchandises sont traitées différemment en fonction de si elles sont destinées au marché européen ou non. Les biens destinés à être exportés dans l’Union européenne connaissent un renforcement des contrôles douaniers. Pour les colis destinés à être vendus dans la province, les contrôles de la douane sont allégés.

Or, le Parti Unioniste Démocrate ne cesse pas son boycott. Selon les unionistes, le nouvel accord n’offre pas de garanties suffisantes pour rendre le pays autonome vis-à-vis des règles européennes.

En janvier 2024, les services publics tels que les hôpitaux, les écoles et la police se mobilisent en masse. Depuis quasiment 2 ans, ils fonctionnent sans aucune augmentation de budget et de salaire. D’autant plus que l’inflation leur fait connaître une grave crise du pouvoir d’achat

La tension grimpe entre le Sinn Fein et le DUP et éclate le jeudi 18 janvier, où plus de 170 000 de fonctionnaires manifestent en masse pour réclamer de meilleurs salaires. Cette grève d’ampleur historique regroupe près de 10 % de la population de l’Irlande du Nord, dont 16 syndicats différents. De multiples routes, les hôpitaux, et les écoles sont fermés toute la journée.

Le lundi 15 janvier, précédent, Chris Heaton-Harris, ministre britannique chargé de l’Irlande du Nord, a pourtant rappelé que Londres avait annoncé qu’il avait l‘argent nécessaire pour pallier les pertes. Une enveloppe de 3,3 milliards de livres sterling serait disponible, à condition que le boycott à l’Assemblée cesse.

 

La fin de l’impasse politique : les nouvelles résolutions de l’accord de Londres 

Le nouvel accord de Londres offre suffisamment de garanties. Ainsi, les unionistes mettent fin à l’impasse politique. Michelle O’Neill peut enfin accéder à son poste et à ses fonctions. La fin de ce boycott sort ainsi l’Irlande du Nord de son impuissance économique, sociale et budgétaire et annonce le redémarrage de l’Assemblée.

Cet accord regroupe des mesures plus souples que le Cadre de Windsor sur le commerce de l’Irlande du Nord avec les autres pays. Les résolutions consistent à supprimer les contrôles sur les biens qui circulent entre le Royaume-Uni et l’Irlande du Nord. Une nouvelle entité d’entreprises et de ministres appelée InterTrade UK devrait se charger de promouvoir et de faciliter les échanges commerciaux au sein du Royaume-Uni.

Un mécanisme d’urgence devrait être mis en place pour que les lois de l’UE qui s’appliquent au pays ne soient pas appliquées automatiquement et définitivement dans la province, comme cela procédait auparavant.

« L’alignement automatique sur la législation de l’UE ne s’appliquera plus. »

Chris Heaton-Harris, ministre britannique chargé de l’Irlande du Nord

L’enveloppe de 3,3 milliards de livres sterling sera également versée dans les prochaines semaines à venir afin de relancer les services publics et les institutions. 584 millions de livres sterling seront versés pour valoriser les salaires du secteur public.

 

Michelle O’Neill : un programme nationaliste aux idées non-conservatrices

Michelle O’Neill, la nouvelle cheffe du gouvernement, a annoncé travailler avec Emma Little-Pengelly, sa vice-première ministre unioniste. Les deux femmes affichent une image positive et motivée du fait de s’allier pour régler la situation économique du pays, malgré leurs différents partis politiques.

La nouvelle première ministre incarne les idées de gauche et est fortement appréciée par les jeunes. Contrairement aux idées conservatrices des unionistes, elle est l’une des premières à défendre le sujet de la liberté du recours à l’avortement. Politiquement active dans la période suivant « The Troubles« , ses idées ont tendance à être dans l’air du temps.

« En tant que républicaine irlandaise, je m’engage à coopérer et à déployer des efforts sincères et honnêtes avec nos collègues britanniques, de tradition unioniste, et qui chérissent l’Union. Ceci est une assemblée pour tous – catholiques, protestants et dissenters. »

Michelle O’Neill 

Parmi son plan d’action, l’ancienne ministre de la Santé a pour objectif d’améliorer les services de santé, parmi tant d’autres. 

Enfin, depuis le début de son mandat en 2022, elle déclare être favorable à l’unification avec la République d’Irlande. Elle souhaite tenir un référendum sur la réunification d’ici 10 ans.

 « Notre peuple a été contraint de vivre dos à dos au lieu de vivre côte à côte. »

Michelle O’Neill

Le gouvernement britannique quant à lui, estime que ce référendum n’a « aucune perspective réaliste« . Il considère que l’avenir de l’Irlande du Nord est entre de bonnes mains au sein du Royaume-Uni.

Quoi qu’il en soit, même après avoir été profondément marquée par le Brexit, l’Irlande du Nord montre l’exemple au monde entier que l’espoir fait vivre.

 

Lou Saelens 

Crédits photo : Sinn Féin – Wikimedia Commons 

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