Depuis quelques jours une vague anti-français s’est déployée dans certains pays du Moyen-Orient. Parfois tourné en ridicule ou qualifié d’inapproprié, ce mouvement divise la communauté musulmane mais questionne surtout sur les conséquences des actions menées par la France dans la lutte contre le terrorisme.
Du boycott aux manifestations : la France prise pour cible du Moyen-Orient
En Turquie, les relations avec la France se font de plus en plus compliquées. Après avoir mis en cause la santé mentale du chef d’État français, le président Erdogan à lui-même appelé la population turque à un boycott des marques françaises. Ce discours a aussi été tenu au Koweït où des rayons entiers de Kiri et de Vache qui rit ont été retirés des supermarchés. Même situation au Qatar avec les chaînes de supermarchés Al Meera et Souq al-Baladi.
Cette expédition punitive contre la France s’est aussi faite ressentir lors des manifestations à Gaza, en Israël et au Bengladesh, où des portraits du président français ont été brulés.
Mais cet engouement contre la France ne fait pas l’unanimité. Une partie de la population reste sceptique face au mouvement de boycott. En Turquie par exemple, la position du chef d’État est jugé risquée, sachant qu’une bonne partie des produits de marques françaises sont produits sur le territoire et que l’économie turque a été affaiblie par la crise de la Covid.
Sur les réseaux sociaux, le mouvement est même tourné en dérision, soulignant le peu d’impact que cela représente pour la France.
Pourquoi cette aversion des pays du Moyen-Orient envers la France ?
Ce sentiment anti-français survient à la suite d’un contexte particulier en France. En effet, après l’assassinat sanglant de Samuel Paty, professeur d’un collège de Conflans par un islamiste radical tchétchène, le gouvernement français s’est empressé de condamner l’acte et d’affirmer haut et fort sa position dans la lutte pour la liberté d’expression.
Emmanuel Macron a ainsi déclaré lors de la cérémonie d’hommage au professeur qui s’est tenue le 21 octobre : “Nous continuerons, professeur. Nous défendrons la liberté que vous enseigniez si bien et nous porterons la laïcité, nous ne renoncerons pas aux caricatures, aux dessins, même si d’autres reculent”. Ce discours a été perçu comme une provocation par la communauté musulmane qui a aussitôt déchainé ses foudres contre le président français.
En France aussi : des mesures anti-terroristes qui divisent
A la suite de l’attentat de Conflans, des mesures très fortes ont été prises par le gouvernement français pour lutter contre le terrorisme. Une manière de montrer aux entités terroristes que la France ne reste pas les bras croisés face à ces tentatives de déstabilisation.
Entre précipitation des actions et discours peu réfléchis, les membres du gouvernement n’ont cessé d’attiser les critiques et de diviser la population.
Il y a d’abord eu cette réplique lancée par le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, sur le plateau de BFMTV : « Ça m’a toujours choqué de rentrer dans un hypermarché et de voir qu’il y avait un rayon de telle cuisine communautaire et de telle autre à côté […] C’est comme ça, que ça commence le communautarisme », sur lequel il est ensuite revenu pour nuancer ses propos.
S’ensuivit une série d’annonces du gouvernement concernant l’éventuelle dissolution d’associations luttant pour les droits des musulmans. Gérald Darmanin justifiait ces décisions en accusant celles-ci d’être des « ennemies de la République ».
Je vais proposer la dissolution du CCIF et de BarakaCity, des associations ennemies de la République.
Il faut arrêter d’être naïfs et voir la vérité en face : il n’y a aucun accommodement possible avec l’islamisme radical. Tout compromis est une compromission. #Europe1— Gérald DARMANIN (@GDarmanin) October 19, 2020
Dans une interview sur France Inter, Michel Tubiana, président d’honneur de la Ligue des droits de l’Homme se déclarait inquiet à ce sujet : « J’attends de voir les éléments que le ministre de l’Intérieur apporte pour justifier les menaces qu’il a proférées » et estimait « qu’en l’absence de justification, il y a un risque de mise en cause de la liberté d’association ».
Depuis ces annonces, l’une des associations pointées du doigt à bien été dissoute par le gouvernement. Il s’agit de Barakacity, une ONG internationale musulmane ayant pour objectif de venir en aide aux populations musulmanes démunies dans le monde. Le décret prononçant cette dissolution accusait celle-ci de propager « des idées prônant l’islamisme radical » par le biais des réseaux sociaux. Des accusations démenties par l’association qui s’est tournée vers le président turc, demandant un droit d’asile politique.
Certains personnages politiques ont exprimé leur embarras face aux réactions du gouvernement. Le maire écologiste de Grenoble, Eric Piolle, dénonce une tactique gouvernementale de « fracturation » de la société française après l’attentat de Conflans.
En effet, avec de telles mesures, le gouvernement semble chercher un bouc émissaire sans vraiment déterrer la source du problème. Car s’en prendre à des associations luttant contre les discriminations des musulmans sans raisons fondées, c’est risquer de marginaliser un peu plus une partie de la population. Or c’est bien cette mise à l’écart qui renforce le communautarisme. En refoulant les différences culturelles présentes au sein de la société, on s’expose à une fracture de cette dernière et on entretient la haine de l’autre.
Après la mort de Samuel Paty et plus récemment l’attentat à Nice contre les fidèles d’une paroisse catholique, la lutte contre le terrorisme apparait une fois de plus comme un enjeu de la politique française. Reste à savoir si le gouvernement réussira à mettre en place des actions efficaces sans renforcer les divisions au sein de la population.
Telma Valero
Crédits photos : Courrier International
Étudiante en information communication et espagnol, toujours prête à m’exprimer sur les sujets qui me touchent !