L’Inde et le Canada au bord de la rupture

L’Inde et le Canada au bord de la rupture

Rien ne va plus entre l’Inde et le Canada. Ottawa a annoncé “ajuster” le nombre de ses diplomates en Inde, jeudi 21 septembre. La crise diplomatique entre les deux pays s’accentue de jour en jour.

Meurtre d’un militant pro-Khalistan

L’origine de cette crise s’explique par la mort d’Hardeep Singh Nijjar, un ressortissant canadien d’origine indienne. En juin dernier, il a été abattu par deux hommes masqués sur le parking du temple sikh qu’il dirigeait à Surrey, en Colombie-Britannique (Canada). Blessé par balles dans sa voiture, il avait succombé à ses blessures malgré les premiers soins prodigués. Militant pour la création du “ Khalistan “, un Etat sikh indépendant dans le nord de l’Inde, il était arrivé au Canada en 1997 et avait été naturalisé en 2015. L’Inde a fortement réprimé le mouvement indépendantiste pro-Khalistan, qui pratiquait des actions violentes dans les années 1980 et 1990. Les revendications pour une patrie sikhe indépendante ont commencé par une insurrection dans l’Etat indien du Pendjab dans les années 1970. Des milliers de personnes ont été tuées lors de la répression du gouvernement.

Le Canada abrite la communauté sikhe la plus importante du monde, en dehors de l’Inde. 770 000 Canadiens se revendiquaient sikhs en 2021, soit 2% de la population du pays.

Hardeep Singh Nijjar était recherché par les autorités indiennes pour des faits présumés de terrorisme et de conspiration en vue de commettre un meurtre. Il niait ces accusations, selon l’Organisation mondiale des sikhs du Canada.

Lundi 18 septembre, le Premier ministre canadien Justin Trudeau a expliqué devant le Parlement que, selon des éléments récoltés par ses services de sécurité, des “ agents” du gouvernement indien avaient assassiné le leader indépendantiste sikh sur le sol canadien. L’affaire est sérieuse et “ constitue une violation inacceptable de notre souveraineté “, a-t-il déclaré.

Le fils d’Hardeep Singh Nijjar, Balraj Singh Nijjar, s’est exprimé publiquement pour la première fois depuis la mort de son père. D’après lui, sa famille et ses proches ont toujours soupçonné l’Inde d’être à l’origine du meurtre de son père : “ Ce n’était qu’une question de temps pour que la vérité éclate “. Il s’est dit soulagé que le Premier ministre ait accusé New Delhi du meurtre de son père.

Des représentants des communautés sikhes et musulmanes canadiennes ont appelé Ottawa à adopter davantage de mesures punitives contre l’Inde. Un responsable de l’Organisation mondiale des Sikhs (WSO) du Canada a demandé au gouvernement de protéger les membres de sa communauté, confrontés aux menaces de l’Inde.

Pierre Poilievre, chef du Parti conservateur canadien, a appelé le Premier ministre à plus de transparence sur les accusations portées à l’encontre de l’Inde. Lors d’un point presse, mardi, il a déclaré : “ Il faut examiner les éléments de preuve qui lui ont permis de parvenir aux conclusions qu’il a tirées “.

Ces accusations ont été qualifiées d’ “absurdes” par le gouvernement indien, qui a démenti “ tout acte de violence au Canada “. Narendra Modi et Justin Trudeau se sont rencontrés lors du G20 à New Delhi les 9 et 10 septembre, où le sujet a été abordé. Le Premier ministre indien a, à cette occasion, “complètement réfuté“ l’implication de son pays.

 

Relations (non) diplomatiques

Depuis la mort d’Hardeep Singh Nijjar et les manifestations violentes qui ont suivi, les relations entre le Canada et l’Inde se sont fortement dégradées et sont aujourd’hui au plus bas. Le 1er septembre, le Canada a suspendu les négociations pour un accord de libre-échange avec l’Inde, qui devait être conclu avant la fin de l’année. Les discussions pour cet accord avaient commencé en 2010, puis avaient été suspendues pendant cinq ans, pour finalement reprendre en 2022. La nouvelle de la suspension a suscité la surprise et l’inquiétude du monde des affaires. Le 15 septembre, Ottawa a reporté le déplacement en Inde d’une délégation, qui devait avoir lieu en octobre.

Les deux pays ont procédé à des expulsions réciproques de diplomates. Lundi, le jour où Justin Trudeau s’est exprimé devant le Parlement, le Canada a expulsé un haut diplomate indien. Le lendemain, New Delhi a ordonné à un diplomate canadien de haut rang de quitter le pays sous cinq jours. Toujours dans le cadre de la diplomatie, jeudi 21 septembre, Ottawa a annoncé la réduction temporaire de son personnel consulaire et diplomatique en Inde à la suite de menaces publiées sur les réseaux sociaux. Les bureaux restent cependant “ ouverts et opérationnels “. New Delhi a, de son côté, “ suspendu ” le traitement des visas indiens au Canada. La veille, le ministère des Affaires étrangères indien s’était dit inquiet pour ses ressortissants voyageant au Canada, relevant la multiplication des activités anti-indiennes et des crimes haineux à connotation politique au Canada.

Le Premier ministre canadien Justin Trudeau a appelé l’Inde à coopérer à l’enquête sur la mort d’Hardeep Singh Nijjar. Il a assuré ne pas chercher “l’escalade”. Cependant, il a refusé de présenter les preuves qui l’ont poussé à accuser le gouvernement indien de l’assassinat du leader sikh. Sa réaction dans cette affaire est jugée “ naïve, improvisée et mal centrée “ au Canada.

Depuis 2021, l’Inde est un allié clé, se hissant au 10e rang des partenaires commerciaux du Canada.

 

Silence radio de Washington

Ottawa aurait partagé une partie de ses conclusions sur cette affaire avec ses partenaires de l’alliance “ Five Eyes “ qui rassemble les services de renseignement canadiens, américains et autres alliés. L’Australie et les Etats-Unis ont simplement affirmé être “ très préoccupés ” par l’affaire. Le Royaume-Uni a communiqué le fait qu’il était en contact avec le Canada au sujet de ces “ accusations sérieuses “. Le ministre britannique des Affaires étrangères s’est dit favorable à ce qu’Ottawa enquête sur l’assassinat d’Hardeep Singh Nijjar.

Alors que la politique étrangère du Canada est critiquée, le pays se retrouve isolé.  Ottawa entretenait déjà des relations compliquées avec l’autre grande puissance asiatique, la Chine. Du côté de ses alliés, l’Australie et les Etats-Unis ont simplement affirmé être “ très préoccupés ” par l’affaire. Le silence relatif de Washington peut s’expliquer par le très fort rapprochement opéré par Joe Biden cette année avec l’Inde, pour contrebalancer la puissance chinoise.

Crédits : Paresh Patil – Pexels

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