Le blasphème, un droit du bouffon

Le blasphème, un droit du bouffon

Caricature, satire, ironie, punchline. Des termes qui renvoient à une forme de pertinence impertinente, à une forme de répartie, à une forme d’esprit.

 

Très appréciées par l’humanisme de l’époque moderne, elles sont des qualités inhérentes au fol du Roy. Paradoxal ? Non. Le fol du Roy n’est considéré comme un clown-bouffon gesticulant que par abus de langage. En réalité, Erasme lui-même dans son Eloge de la folie reconnaissait en la figure du fol du Roy une capacité à passer outre les mœurs de cours, à glisser sur la bienséance grâce à sa finesse rhétorique et sa vivacité d’esprit.

 

Il y a, dans l’idée de prendre la parole et de remuer les esprits sans les choquer, de clasher pour divertir, sous couvert d’effet comique, l’idée d’exprimer des idées souvent inappropriées au contexte, en s’en extirpant par un art de parler.
Mais, parfois, la balance penche en faveur du sacré, et condamne le profane à la sanction sociale : à l’exil du théâtre des sociabilités, à la moquerie, à l’épinglage… Ou à la peine capitale.

 

Cours de François Ier, début XVIe siècle, un homme : Triboulet, fol du Roy, s’illustre lors des évènements de cours. Il prend à parti lors des banquets, il vanne, il chambre, il fait son travail de MC avant l’heure. Jusqu’à s’attaquer à une maîtresse du Prince et se voir frapper de lèse-majesté, conduisant à son enfermement en cellule précédant la potence, cellule depuis laquelle il continue de punchliner et de se faire entendre. Alors, François Ier, charmé par l’inarrêtable verbe de son ex-fol, se rend en personne au cachot pour lui concéder le choix de sa mort. Offre à laquelle un Triboulet éclatant lui répond : « Bon sire, par Sainte Nitouche et Saint Pansard, patrons de la folie, je demande à mourir de vieillesse ».

 

C’est au terme de cet échange que Triboulet trouva le pardon du Roi, c’est au terme de cet épisode que le profane du fol l’emporta sur la majesté du Prince, c’est au terme de cette histoire que l’humour a transcendé la gravité des symboles.

 

Sans doute, et paradoxalement car nous sommes en France, manquons-nous aujourd’hui de cette sensibilité aux valeurs humanistes. Particulièrement lorsqu’il s’agit de s’exprimer au sujet d’objets sacrés qui occupent pourtant une place si importante dans notre actualité.
A l’heure des caricatures et des discussions sempiternelles au sujet du droit au blasphème et de la laïcité, pourquoi ne pas créer un nouvel espace discursif ? Espace au sein duquel les égards faits à l’humour et à l’esprit sont au moins aussi importants que ceux rendus à la sacralité de l’objet discuté.

 

Un principe seul pour le gouverner : l’humanisme, celui d’Erasme, celui de Triboulet. Le respecter c’est s’engager à amuser pour mieux faire réfléchir. Lorsque le sujet est brûlant, c’est s’engager à l’apaiser pour mieux le discuter. C’est aussi savoir prendre des coups, savoir encaisser le verbe car, c’est ainsi qu’on honore une bonne vanne : en s’en saisissant.

 

Pourquoi ? Parce-qu’il est malheureux de voir qu’un contenu trop explicite et aux modalités légères suffit à exciter les âmes sensibles aux extrêmes.

 

Si le trouble à l’ordre public est donc une affaire de contexte.
S’il faut donc composer avec ce contexte et ne pas prendre à la légère la moralité et les émotions de chacun, alors, peut-être, faudrait-il ne pas faire l’économie de l’effet comique indispensable à une bonne satire.
Histoire de provoquer le sentiment le plus enthousiaste de la nature humaine, le rire, avant d’en attiser le sentiment le plus rancunier.

Car comme Triboulet a pu le prouver, le sacré est soluble dans l’humour, le bon.

 

« L’inverse de l’humour, ce n’est pas le sérieux, c’est la soumission » – Guy Bedos.

 

Clément Pasquet-Etchebarne

Crédits : Images d’Art

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