Père de famille comblé et conférencier auprès des jeunes, Laurent a plus d’une corde à son arc. Pourtant, la drogue aurait pu lui faire la peau. Il raconte, sans prendre de pincettes, comment le gamin mal dans sa peau qu’il était s’est noyé dans ses addictions.
Yeux rieurs et sourire charmeur, Laurent arpente cette rencontre en toute détente. Habitué à parler de son passé d’ancien toxico, aujourd’hui il sensibilise les jeunes sur les addictions. C’est donc sans difficulté qu’il se confie sur une période marquante de sa vie. Sa plus grande fierté, après ses enfants bien-sûr ne manque-t-il pas de rappeler, est d’aider les jeunes. Une manière certainement de remercier la vie de lui avoir donné une seconde chance. C’est un Laurent qui ne mâche pas ses mots que l’on découvre. A 54 ans, il est à l’aise dans ses baskets. Ses croyances ? Il les clame haut et fort. Son histoire ? Il en a fait une force. Il livre son témoignage percutant et parfois dérangeant en toute transparence et sans langue de bois. Portrait d’un ancien toxico, sevré depuis maintenant 26 ans.
Gamin des quartiers
Rembobinons. Laurent grandit dans les quartiers Nords de Paris, les « quartiers difficiles » avec son frère aîné et ses deux parents. Une famille à première vue sans problèmes particuliers, seulement, lui et son frère « ne se sentaient pas bien à la maison ». Il avait le sentiment que ses parents ne l’aimaient pas. Un sentiment cultivé et renforcé tout au long de son enfance dès qu’on le traitait de « bon à rien ». Quand il pense à ce gamin introverti, il évoque un profond « mal-être ». Un mal-être sûrement dû à sa dyslexie et ses troubles du comportement. Il raconte qu’il avait du mal à regarder les gens dans les yeux. Ou peut-être dû au peu d’estime qu’il avait de lui-même à l’époque.
Petit, il a du mal à lire et écrire, mais suit une scolarité « normale » dans une école de secteur. Là-bas, il se souvient d’avoir vu « beaucoup d’émigration, des enfants en échec scolaire et des enfants avec de la violence chez eux » dit-il. Pas très sûr de lui, il se fait racketter par le « caïd » de l’école, celui dont tout le monde avait peur. Mais le jour où il se bat avec le « caïd », il est « devenu quelqu’un ». De fil en aiguille, ces « petites racailles » qui le harcelaient sont devenues ses premiers copains, mais il savait pertinemment qu’elles avaient une mauvaise influence sur lui.
A l’opposé de cet homme qui parle de son histoire avec fougue et passion, Laurent était un gamin sans rêves ni ambitions. « Très vite j’ai été brisé dans tous mes rêves » confesse-t-il, « ce qui m’a passionné c’étaient mes copains ».
Avant d’aborder sa relation avec la drogue, il ajoute : « J’aimais pas cette vie ». Cette dernière phrase résonne comme un cri strident pendant toute l’écriture de ce portrait.
Lente descente aux enfers
A l’âge de 11 ans, il fume son premier joint. Ça Laurent n’en est pas fier. A l’heure actuelle père de deux enfants, sa position est ferme : il interdit la consommation de drogue, « à la maison, c’est tolérance zéro » répète-t-il. Assis dans une cage d’escalier, un joint à la main et entouré de ses copains, il est loin d’imaginer la tourmente infernale qui l’attend.
L’insouciance de la jeunesse ? L’influence de son entourage ? Laurent, presque instantanément, se rappelle d’avoir fait n’importe quoi pour être avec le groupe. Premier déboire mais pas dernière désillusion, il est exclu de son collège pour vente de stupéfiants. Ses parents impuissants n’ont plus aucune autorité sur lui. Lui, qui fait croire à un coup monté. « J’avais un potentiel à mentir aux autres et à moi-même » reconnait-il. De petites conneries en petites conneries, Laurent devient très vite accro. A 12 ans, il fume presque tous les jours, mais ne parle pas encore de dépendance. « Je me rendais pas compte que si j’en avais pas, j’allais pas bien, parce que j’en avais toujours ».
Le gamin autrefois introverti s’extériorisait sous l’emprise de la drogue. Il se sentait bien, intelligent. Alors, pour retrouver les mêmes effets, il augmentait les doses au fur et à mesure. Et quand ce n’était pas plus, c’était autre chose. « La première fois que je me suis piqué, j’avais 14 ans » se souvient-il. La drogue était son identité à tel point que son vrai visage lui faisait peur.
« J’aurais pu tuer pour avoir de la came »
Laurent touche le fond lorsqu’il expérimente pour la première fois le manque physique. Placé en garde à vue pour cambriolage, sa seule et unique envie est la drogue. Agressif avec les policiers, il n’a même pas le droit de fumer. « J’aurais pu tuer pour avoir de la came » confesse-t-il. Son corps la réclamait. Comme un besoin vital.
Bagarres, cambriolages et prostitution rythmaient sa vie au quotidien. « Ma vie au quotidien était un fait divers » réplique-t-il en rigolant. Des anecdotes sous l’effet de drogue, Laurent ne peut même pas les compter sur les doigts de sa main. Bon nombre de fois, il s’est réveillé dans le métro, incapable de se souvenir comment il était arrivé là. Il raconte aussi avoir découvert au réveil, un gri-gri plein d’encre et de sang sur son épaule.
Laurent passe sa main dans ses cheveux, hésite quelques secondes avant de répondre puis, décide d’assumer pleinement ses autres addictions liées à la prise de drogue. Sexe et alcool coulaient à flot. « J’étais toujours avec une bière à la main ou un joint à la bouche » raconte-t-il. Il était également addict aux plaisirs de la chair. Des rapports sexuels à risque, sans aucune hygiène admet-il. « On couchait les uns derrières les autres, tout comme on se shootait les uns derrière les autres ». Avec un peu de honte et beaucoup de recul, il dit être devenu « idiot » avec la drogue.
Au seuil de la mort
Il connait son histoire. Il la raconte presque tous les jours. Pourtant, Laurent est un peu confus dans ses souvenirs. Au départ, il dit ne jamais avoir eu de périodes d’abstinence. Puis renchérit plus tard, en affirmant être parti un an dans une ferme pour arrêter la drogue. Là-bas, il tombe littéralement fou amoureux. Une histoire d’amour compliquée entre un drogué et une fille de la campagne. Un fossé va se creuser entre les deux. Elle, est étrangère à l’univers de la drogue. Lui, est un ancien toxico. A leur retour à Paris, Laurent retombe vite dans ses vieux démons. Pour faire comme lui, elle se met à y goûter. Les deux deviennent accros et connaissent des « grosses galères », évoquant même la prostitution.
C’est son premier véritable amour. Florence. Il s’en veut de l’avoir entraînée dedans. Il s’en voudra toujours.
Elle tombe enceinte, mais apprend qu’elle est atteinte du SIDA. C’est la douche froide. Le choc. Laurent est certain de l’avoir aussi. « On couchait ensemble, on faisait n’importe quoi » déclare-t-il. Maladie très peu connue dans les années 80, la séropositivité ne jouissait pas encore de traitements. Florence doit avorter. Leur vie bascule. Ils n’ont plus aucune raison de vivre. Laurent, seul dans une prison, voulait se suicider. « Je me suis préparé une lame dans ma cellule » explique-t-il.
Prêt à se donner la mort, sa seule crainte : aller en enfer. C’est alors que Laurent, athée à cette époque, ressent la présence du Christ. « Je voulais m’ouvrir les veines, mais il était là ». Une révélation à l’origine de sa prise de conscience. Il décide d’arrêter la drogue. Une décision de courte durée puisqu’à sa sortie de prison, il replonge immédiatement. Au même moment, sa maladie se déclare et il comprend que s’il veut aller mieux, il doit arrêter la drogue.
« Ma vie est un miracle »
Pour se soigner, il intègre un couvent. Il y passe 9 années. Là-bas, il apprend la mort de sa compagne atteinte du SIDA et guérit de toutes addictions. Mais rencontre surtout sa femme avec qui il a deux enfants. « Ma vie est un miracle » constate-t-il.
Laurent n’a plus touché à un gramme de drogue depuis 26 ans. Il en est fier et ne ressent plus l’envie d’en prendre. « J’ai été délivré totalement » conclut-il.
Laurent a eu plusieurs vies… Un début chaotique certes, mais une suite pas moins heureuse pour autant. Aujourd’hui, il est épanoui dans sa vie et dans ce qu’il fait. Il a appris de toutes ses expériences et poursuit sa mission : celle de sensibiliser les jeunes sur les dangers de la drogue. Comme quoi, les histoires finissent toujours bien.
Pauline KUHNMUNCH
Crédits photo : Etablissement Saint Joseph
Étudiante en double licence information-communication et LLCER anglais, je rêve de devenir rédactrice mode. Alors, entre deux partiels, j’écris et je lis la presse féminine…