Jeudi 10 novembre, lors d’une scène surréaliste, le présentateur-star de C8 insultait en direct Louis Boyard sur le plateau de Touche pas à mon poste !. Une violente altercation durant laquelle le jeune député LFI accusait les « cinq personnes les plus riches » de France, dont Vincent Bolloré, propriétaire de la chaîne, d’« appauvrir l’Afrique ». Retour sur la polémique et les dérives de l’émission
« T’es une merde » ; « Tocard » ; « Bouffon ». Dans une atmosphère de pesée de boxe, Cyril Hanouna et Louis Boyard s’affrontaient un triste soir de novembre à coup de rafales intellectuelles qui auraient de quoi déstabiliser les plus célèbres penseurs de notre époque. Seul petit bémol : les deux protagonistes n’ont pas les allures de champions UFC. Ni les mêmes responsabilités. Tandis que le premier est l’animateur de l’émission la plus regardée en France, le second est député de La France Insoumise. La séquence est d’une violence inouïe : le jeune homme de 22 ans, doté d’un goût certain pour le clash, dénonce en direct la présence problématique de Vincent Bolloré en Afrique. Ni une ni deux, « Baba » vient à la rescousse de son ami et patron en intimidant son ancien chroniqueur.
Touche pas à mon pote
Les réactions ne se font pas attendre. Le soir même, le présentateur est pris dans un tourbillon médiatique au cœur duquel il doit gérer le plus gros bad buzz de sa carrière. Les réseaux sociaux s’enflamment, La France Insoumise s’embrase, et l’Arcom (ex-CSA) voit rouge. L’autorité de régulation de l’audiovisuel décide notamment d’ouvrir une procédure de sanction contre la chaîne du groupe Canal+. Pour C8, la situation n’est pas à prendre à la légère puisque le retour de bâton pourrait aller du simple rappel à l’ordre au retrait de l’autorisation d’émettre. De leur côté, nos deux puncheurs ne redescendent pas. Une semaine après l’incident, ils continuent leur rixe par le biais de plaintes pour diffamation et propos injurieux. Point culminant de cette guerre d’ego digne des plus grands candidats de téléréalité de notre temps, Cyril Hanouna décide lundi dernier de consacrer deux heures d’antennes à l’affaire Boyard. Une sorte de Canal Football Club durant lequel Pierre Ménès serait à la fois joueur et commentateur. Au centre de ce cirque médiatique, l’animateur star de TPMP se justifie devant 2 millions de téléspectateurs, la deuxième plus grosse audience de l’histoire du programme. Des scores qui poussent encore et toujours à la controverse.
Dérèglement du débat public et fléau médiatique
L’émission créée en 2010 n’en est pas à son premier coup d’éclat. Considéré à l’origine comme un programme de décryptage des médias, Touche pas à mon poste cède rapidement au chant des sirènes en devenant le bar-pmu que nous connaissons aujourd’hui. Fini les analyses journalistiques détaillées, bonjour les sujets de société clivants entre deux gâteaux envoyer aux visages des chroniqueurs. L’identité de chaque personnalité présente sur le plateau est développée minutieusement de façon à stimuler le débat. Pour citer Philosophie Magazine, « Matthieu Delormeau sera le gay de droite ; Delphine Wespiser la belle énervée ; Isabelle Morini-Bosc la doyenne revenue de tout ». Chez Hanouna, la liberté d’expression est choyée. Parfois même un peu trop. Les caractères exacerbés des intervenants entretiennent la culture du sensationnel et floutent encore un peu plus la frontière entre information et divertissement. Les figures politiques prennent leur courage à deux mains et viennent « face à Baba » conquérir un électorat qu’ils n’ont pas l’habitude de toucher. L’objectif est rempli, puisque bon nombre de téléspectateurs suivent le programme et ses produits dérivés, avec l’impression de s’informer dans une ambiance légère et détendue.
Si TPMP a le mérite de donner une voix à ceux qui n’en ont pas, il faut garder à l’esprit que l’actualité est un artefact fragile qui doit être manié avec précaution. Le format de l’agora proposé par l’émission amène du sang neuf au Paysage audiovisuel français (PAF), mais fait l’apologie d’un brouhaha informationnel au sein duquel beaucoup s’entendent mais peu s’écoutent. « On dirait un petit hémicycle », ironisaient des députés de l’Assemblée nationale après le début de la polémique. À Pop-Up, on opterait plutôt pour un ring de boxe.
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