Comment Instagram a propulsé le féminisme 2.0

Cela fait maintenant deux ans que les utilisateurs férus d’Instagram ont pu être témoins de l’émergence des comptes féministes et de leur variété. Chacun se proclamant destructeur de tabous et dénonciateurs d’idées reçues sur des thèmes comme la culture du viol, le plaisir féminin, la charge mentale ou encore les règles, les poils et autres normes esthétiques et sociales obsolète. Le choix du réseau social n’est pas anodin et le timing de son impulsion n’est pas le fruit du hasard, explication.

Pourquoi utiliser Instagram comme média ?

Un espace d’expression accessible…

Il y a tout juste deux ans, le 15 octobre 2017, était lancé le mouvement #MeToo par Alyssa Milano qui a donné lieu à un déferlement de réactions sur la toile, 12 millions en moins de 24 heures. A partir de là s’est opéré un revirement dans le féminisme contemporain : la libération de la parole des femmes oppressées se ferait à travers les réseaux sociaux : ces plateformes accessibles à tous.tes, permettant l’anonymat, la distance et le rassemblement de communautés. Mais pourquoi les principaux comptes féministes ont-ils choisi Instagram ? Avec plus d’utilisatrices que Twitter et une interface bien plus visuelle, basée sur l’image, ce réseau rassure. C’est l’exemple de Fiona Schmidt (journaliste et autrice) qui dit « Il y a une proximité différente de Twitter, où la vocifération a remplacé le débat (…) le féminisme est l’un des sujets les plus clivants mais la culture du clash ne m’intéresse pas ».  Instagram a donc d’abord été un choix de confiance, comme une antichambre où les petits cercles se rencontrent. Selon une étude de Digimind, le réseau présenterait une concentration de jeunes entre 18 et 24 ans, 54% des utilisateurs étant des femmes. Fiona Schmidt est positive sur le fait qu’Instagram, « c’est la première étape pour s’intéresser au sujet » – comptant sur la curiosité naturelle des jeunes – et qu’il est normal de la part des féministes 2.0 évoluant dans un univers hyperconnecté de prendre d’assaut des canaux en dehors des médias traditionnels.

… avec ses contradictions

Instagram est encore vu comme une plateforme bienveillante par beaucoup de créateurs de contenu, comme Coline, à l’origine du compte « T’as pensé à » (sur la charge mentale) qui souligne qu’à l’origine Instagram c’est avant tout « un réseau de photos contemplatif et destiné aux femmes », mais beaucoup critiquent le format : trop difficile d’y argumenter longuement. Autre bémol, la censure de la nudité dont a été victime un grand nombre de comptes. Dans un univers qui s’alarme à la moindre vue d’un téton où d’une fesse, difficile de prêcher la liberté, l’indépendance et la désinvolture du corps de la femme ! En protestation contre cette censure, le hashtag #sexualityisnotdirty lancé par la créatrice du compte « Jouissance Club » (compte à visée éducationnelle et body-positive sur la sexualité), qui a déjà été fermé une première fois par le réseau.

Autre antagonisme reprochable à Instagram dans sa quête du graal féministe ? La prédominance de contenu qui renforce le stéréotype de genre, connoté « féminin », hantise des féministes convaincues : cuisine, bien-être, beauté… tout pour satisfaire un banal cliché qui fait vendre et continue d’alimenter la popularité du réseau social auprès des jeunes, le tout, bien-sûr, en prônant une sur-esthétisation du quotidien. Il y a donc encore du chemin à faire pour atteindre la « safe zone » parfaite, mais avec un écart suffisant avec Twitter.

Libérer le corps : l’utilité de la toile

L’amour-propre et l’image de soi

Alors qu’on penserait qu’avoir des défauts serait le plus condamnable par les internautes sur Instagram, il arrive que faire preuve d’un peu trop d’amour-propre provoque le même effet. C’est le fameux paradoxe grotesque du « si tu es belle et à ton avantage, tu es une traînée, si tu es laide et que tu ne fais pas d’efforts, tu mérites que l’on te crache dessus », typique des réseaux sociaux. Mais encore une fois, Instagram et sa pléthore de nouveaux comptes sur le body-positivisme a permis à certaines femmes – à travers les comptes féministes – de se retirer de l’individualisme que leur imposait leur physique et de retrouver un amour de leur corps alors que la société leur avait appris à en avoir honte. Je suis poilue, en surpoids, j’ai des cicatrices, un téton qui dépasse ? On s’en fiche, c’est naturel et surtout J’ASSUME et j’aime mon corps comme ça. C’est le message qu’essaient de faire passer beaucoup de comptes comme @Jemenbatsleclito, @payetonpoil ou encore @tasjoui. Alors qu’Instagram est un réseau principalement basé sur l’image et la représentation, les féministes se réapproprient ce format, qui alors était utilisé pour montrer ce que tout le monde voulait voir (belles silhouettes éthérées et poses sensuelles sans provocation !) afin de combattre les discriminations basées sur le physique des femmes. Ces représentations ont aussi pour but d’influencer les jeunes – et moins jeunes – utilisatrices des réseaux à être plus indulgentes envers leur corps et ainsi déconstruire le premier joug du patriarcat : les décisions des autres sur l’image de soi. C’est ainsi qu’à travers Instagram, une nouvelle vision de l’amour-propre se crée : alors qu’il était difficile de dire « je m’aime, mon corps me plaît » sans passer pour égocentrique et vaniteux, les femmes peuvent maintenant montrer qu’elles s’aiment sans avoir besoin de l’approbation des autres. Un premier pas vers l’indépendance… cependant freiné dans son élan par la plateforme.

Le petit jeu de la censure : ça démontre quoi ?

Si de plus en plus de femmes choisissent de se montrer avec le moins d’artifice possible, le déferlement de commentaires haineux et la censure ne s’arrêtent pas pour autant. Instagram accepte allègrement les photos dénudées de Kim K. mais si une femme non épilée décide de porter un bikini c’est la censure qui l’attend. C’est l’exemple de cette photographe américaine, Petra Collins, qui en 2014 a vu son compte se faire effacer pour ce petit surplus de pilosité qui a fait grand bruit dans tous les talk-shows du pays. Mais il faut penser au sens que porte la censure : pourquoi les critères sélectifs sont-ils si restrictifs lorsqu’il s’agit des femmes ? C’est la question que se sont posé deux autrices, Molly Soda et Arvida Byström, lorsqu’elles ont lancé en 2017 une collecte des photos qui avaient été censurées par Instagram, demandant la participation d’utilisateurs des deux sexes. Résultat ? L’ouvrage Pics or it didn’t happen (sorti la même année), Molly Soda confesse : « Sans surprise, les photos supprimées concernent principalement les femmes et leur nudité (…) Mais dans le lot, on trouve aussi beaucoup de corps qui, tout simplement, ne sont pas parfaits. ».

Elle conclut également en estimant : « Instagram est juste une extension de la vraie vie et reflète la manière dont les gens se regardent et se jugent les uns les autres au quotidien ». C’est sans doute grâce à ce jeu de regard et de jugement que les féministes de la nouvelle vague cherchent à se faire reconnaître et légitimer leur combat. Plus les représentations qu’elles véhiculent ont un impact fort et son vues, plus la prise de conscience générale est effective. Mais on peut se demander : jusqu’où est-ce qu’Instagram va pouvoir aller pour impacter nos vies, et pourrons-nous un jour clairement faire la différence entre le vrai regard d’autrui sur soi et le virtuel ?

Claire Lavigne

Crédits photo : Instagram Beyoncé / Instagram Freethenipples / logo de la grève des femmes (Suisse)

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