Ah les théories du complot ! Elles traversent les âges et les époques ! Chaque événement médiatique a le droit à son florilège de rumeurs (plus ou moins absurdes) en lien avec le complotisme : l’assassinat de JFK, les attentats du 11 septembre, ou encore Neil Armstrong sur la lune. Mais cette fois-ci, la situation semble être nettement plus préoccupante. En effet, la pandémie de la COVID 19 ne fait pas exception à la règle. L’avènement d’Internet et des réseaux sociaux a ainsi donné une visibilité exceptionnelle à Hold-Up, un documentaire conspirationniste défendant l’idée que la maladie du coronavirus est au centre d’un complot mondial. Retour sur la nature de cette œuvre, et de ses terribles conséquences.
Un documentaire phénomène
C’est le jour du 102ème anniversaire de l’armistice de 1918 que Pierre Barnérias, Nicolas Réoutsky et Christophe Coussé ont décidé de lâcher la bête. C’est lors d’un jour vu comme celui de la paix que ces hommes ont choisi de lancer une bombe médiatique. C’est le 11 novembre 2020 que sort officiellement Hold-Up : Retour sur un chaos. 3 semaines après son lancement, le documentaire a été vu près de 6 millions de fois : c’est dire l’engouement qu’il y a autour de lui. D’une simple production cinématographique parmi tant d’autres, Hold-Up est devenu un « objet de curiosité pour le plus grand public », d’après Libération. Si cette œuvre jouit d’une telle visibilité, c’est parce qu’elle s’attaque à des questions que les Français se sont tous posés. Des questions légitimes, souvent dues à la communication hasardeuse du gouvernement depuis le début de la crise sanitaire. Des questions justifiées, au vu de la situation inédite que nous traversons tous.
Mais qu’a-t-il de si particulier, ce documentaire ? Que dit-il ? Dans la première moitié du film, les réalisateurs mettent l’accent sur des controverses concrètes telles que le confinement, l’utilité des masques, ou l’hydroxychloroquine. Dans la seconde, on donne implicitement du crédit à une théorie disant que la COVID 19 a été créée par l’Homme, et plus particulièrement par un complot mondial, dans le but d’éliminer la moitié de l’humanité et d’asservir les survivants.
L’être humain aime questionner le monde qui l’entoure, et c’est quelque chose de nécessaire. De primordial même. Dans un sens, c’est une vertu indispensable. Pourtant, cette remise en question permanente peut aussi être un obstacle à la vérité, puisque l’Homme a un goût certain pour ce qui lui semble irréaliste, voire impossible. Prenons garde, car à l’heure du « tout numérique », les informations circulent plus vite encore qu’un faucon en plein vol. Et donc ces fausses vérités, portées par un « partage » ou un « j’aime », se retrouvent du jour au lendemain sous la lumière des projecteurs.
Justement, l’addition de ces deux facteurs, à savoir l’attrait des individus pour les informations excentriques ainsi que l’utilisation massive des réseaux sociaux, est probablement à l’origine du succès exceptionnel du documentaire. Force est de constater que les réalisateurs d’Hold-Up ont su tirer parti de la puissance d’Internet, tout en usant d’outils psychologiques universels.
Une manipulation méthodique
Pour qu’une production soit visible, il faut qu’elle plaise. Ou qu’elle dérange. Dans tous les cas, il faut qu’elle provoque une réaction. Et ça, les réalisateurs d’Hold-Up semblent l’avoir bien compris. D’autant plus que le film dure 2h43. L’enjeu est donc de taille : tenir le spectateur en haleine, en lui soufflant un léger vent de crédibilité sur la nuque. Et c’est là toute la difficulté. Lui laisser l’impression qu’il est lui-même à l’origine des questionnements qu’entraîne le documentaire.
Pour cela, Hold-Up n’hésite pas à faire appel à des techniques de manipulation psychologique, comme nous l’apprend la chaîne YouTube Partager c’est sympa dans sa vidéo « Hold-Up : Qui sème le Vent… Récolte la Tempête » (qui est elle aussi à nuancer).
On retrouve tout d’abord l’emploi du pouvoir de suggestion, c’est-à-dire un procédé qui pousse le spectateur à voir ce qu’il s’attend à voir. En utilisant des éléments consensuels et en posant des questions aux réponses évidentes, le film cherche à nous mettre en confiance, tout en renforçant notre inquiétude vis-à-vis du sujet traité.
Les arguments d’autorité sont également omniprésents : en donnant la parole à des gens reconnus dans un milieu particulier (prix Nobel, médecins…etc), le documentaire pousse le spectateur à attribuer de la valeur aux paroles de la personne en question, même si elle ne donne absolument aucune source.
De plus, on remarque l’utilisation d’une technique que Partager c’est sympa nomme le procédé du mille-feuille argumentatif. En nous étouffant à coup d’informations extrêmement rapides et conséquentes, Hold-Up cherche à nous déséquilibrer complètement. Et lorsque qu’on se retrouve sur une seule jambe, la chute nous guette d’un œil malicieux.
Enfin, dans sa dernière partie, le film n’hésite pas à faire culpabiliser au maximum le spectateur, en le rendant responsable de nombreux maux. Sans compter l’utilisation de musique épique pour renforcer les propos, ou encore la volonté de donner du discrédit à tous ceux qui veulent apporter des contradictions au documentaire.
Après 2h43 de film, la réalité est floue, la vérité est endommagée, la paralysie est totale.
La désinformation : fléau du XXIe siècle ?
Nous arrivons enfin au nœud du problème. La désinformation. Ce mot est employé à toutes les sauces. Il est utilisé, décliné, usé, et réutilisé. Mais finalement, comment peut-on la définir ? Selon le site linternaute.fr, désinformer renvoie à l’action de diffuser par les médias des informations délibérément erronées ou orientées. C’est un danger qui mérite d’être pris au sérieux. Hold-Up, et c’est peut-être là la plus grosse aberration du documentaire, use de fausses informations à profusion.
« Jusqu’à maintenant, les virus venant du monde animal ont du mal à se transmettre d’Homme à Homme« . On retrouve cette phrase deux fois dans le documentaire entre 1h39 et 1h50. Or, c’est faux, puisqu’il suffit de songer à Ebola qui vient des chauves-souris, au VIH/Sida qui nous a été transmis par les grands singes, à la variole qui a été éradiquée en 1978 par la vaccination mais provenait initialement de rongeur. En réfutant des faits scientifiquement prouvés, sans aucun argument valable, le film encourage le spectateur à se méfier de la science.
« On a interdit les autopsies à cause d’une instruction de l’OMS » (39’16’’). L’Organisation mondiale de la santé (OMS) n’a jamais interdit les autopsies, et n’en a d’ailleurs pas le pouvoir, puisqu’elle ne peut guère qu’émettre de recommandations. En revanche, elle a appelé les médecins légistes à la prudence, dans la mesure où les corps manipulés peuvent continuer à être contagieux.
Voilà deux exemples concrets d’un processus de désinformation qui dure tout le long du film. Désinformer, cela revient tout d’abord à mal éduquer les populations, à les contrôler, puisqu’on falsifie leur conception de la vérité, et donc de la réalité. La désinformation s’attaque à quelque chose de fondamental : la liberté. Ainsi, la liberté de penser par soi-même, en réaction à des informations factuelles, est fortement compromise. Les diffuseurs de fake news cherchent à influencer la manière dont les gens réfléchissent, et c’est quelque chose de terrible d’un point de vue éthique.
Ne nous voilons pas la face : la désinformation existe depuis de nombreuses années. Pourtant, il semble évident que l’avènement d’Internet et l’émergence des réseaux sociaux ont participé à l’explosion de la diffusion des fausses informations. En étant assiégé par des centaines de faits d’actualités tous les jours, des faits qui sont paradoxalement de moins en moins factuels, les individus ne savent plus à quelles plateformes se fier. La crise de confiance entre médias et publics est alors inévitable. C’est très problématique, car une population en perte de repères, c’est une population fragile.
Le visionnage du documentaire Hold-Up : Retour sur un chaos n’est pas déconseillé, si vous pensez être assez habile pour éviter les pièges qu’il vous tend, et en gardant en tête les dangers de la désinformation. Il est nécessaire de vous forger votre propre avis, et de remettre en question le monde qui vous entoure, tout en sachant que cette phase de réflexion vous rendra, dans une certaine mesure, plus vulnérable.
En bref, le commentaire de 1090yoyo sous la vidéo de Partager c’est sympa semble résumer Hold-Up de manière pertinente : « Ce documentaire propose de mauvaises réponses à de bonnes questions ».
Corentin Madères
Crédits photos : AFP / Riccardo Milani / Hans Lucas /
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