Le mardi 7 Février 2023, des députés ultramarins ont interpellé à l’Assemblée Nationale le Ministre de l’Intérieur et des Outre Mer pour revenir sur des propos qu’il a exprimés le 2 Février 2023 lors d’un colloque sur les Outre-mer organisé par le Point. « C’est la République française qui a aboli l’esclavage (…), on demande donc [aux territoires ultramarins] d’aimer la République. » lançait alors Gérald Darmanin.
L’élément déclencheur
Le 2 Février le ministre s’exprime lors d’un forum organisé par le Point sur le fait que plusieurs territoires d’Outre-Mer souhaitent l’application d’une réforme institutionnelle. Celle-ci implique la fin de l’accord de Nouméa et la mise en place d’un nouveau statut pour la Nouvelle-Calédonie pour revoir les articles 73 et 74 concernant les autres collectivités ultramarines.
Le ministre expose un discours aux arguments jugés colonisateur et méprisant : « Vous n’aurez d’autonomie demain que si vous êtes capables de produire ce que vous mangez, ce que vous consommez comme électricité, et c’est par la richesse économique que vous aurez des recettes, pas par les subventions » mais encore « Si la France s’en va de ces territoires, qui va venir si vous n’êtes pas capable de vous développer ? ». Par ces propos, Gérald Darmanin souligne sans ambiguïté que sans la France ces territoires ne sont rien, il remet donc en doute les capacités des départements d’Outre-Mer à s’occuper d’eux-mêmes sur certains points, sans aucune aide pivot.
Le ministre ne s’arrête pas là dans ces propos et ajoute : «C’est la République française qui a aboli l’esclavage (…), on demande donc d’aimer la République. ».
Dès le lendemain, 18 députés condamnent ses dires et demandent des excuses dans un communiqué. Ils mentionnent notamment le « relativisme moral des puissances colonisatrices, persuadées d’apporter culture et savoir aux populations dont elles brimaient les capacités d’autodétermination en même temps qu’elles tuaient leur puissance créatrice, semble avoir succédé une forme nouvelle de révisionnisme historique ».
Des propos qui ne passent pas
En mentionnant l’esclavage dans son discours Darmanin suscite la vive réaction de députés à l’Assemblée Nationale qui tiennent à avoir des explications avec ce dernier le 7 février 2023.
Pour ces députés descendant eux-mêmes d’esclaves, cette phrase exprimée sur un air d’un mensonge par omission ne passe pas inaperçue et conforte l’histoire de l’esclavage dans un processus de minimisation de la vérité. C’est erroné une partie de l’histoire.
La député (GDR) de La Réunion Karine Lebon a tenu à insister sur le fait que les esclaves ont dû se battre bec et ongle pour avoir leur liberté, rythmé par de nombreuses révoltes et contestations où régnaient terreur, menaces et représailles. Se battre pour la liberté n’a pas été un long fleuve tranquille. Elle tient aussi à interpeller le ministre sur les discriminations entre les territoires de l’Outre-Mer et l’Hexagone qui existent et persistent encore aujourd’hui.
Le député (LFI) Perceval Gaillard de la Réunion pointe du doigt l’ignorance et le mépris du ministre en faisant rappeler les innombrables luttes et combats sans faillir des marrons pour que l’abolition soit faite. Il accuse Darmanin d’avoir avancé des propos révisionnistes et paternalistes. « Vous nous faites honte ! » lance-t-il au ministre avant de réclamer des excuses.
C’est ensuite au député (LIOT) guadeloupéen Max Mathiasin de s’exprimer sur le sujet. Il déclare : « L’abolition de l’esclavage, c’est aussi et surtout la lutte des esclaves qui n’ont jamais accepté ce système ».
Par leur discours, ces 3 députés veulent montrer au Ministre Darmanin que c’est grâce aux divers combats menés par les ancêtres que l’abolition de l’esclavage a pu voir le jour. Une rectification, une mise à niveau du discours de celui-ci serait donc à revoir.
Il n’y a pas qu’à l’Assemblée que des réactions se manifestent. Christiane Taubira a de son côté tenu à réagir aussi. Elle met l’accent sur le fait que quand l’esclavage a été aboli, les colons propriétaires d’esclaves ont pu jouir d’une indemnisation versée par cette même République qui voulait « contraindre les nouveau libres à rester travailler sur les plantations ».
Darmanin : celui qui ne voulait pas s’excuser ?
Après son intervention du 2 février et de la lettre signée par 18 députés qui réclamaient des excuses, Gérald Darmanin n’a jamais osé prendre la parole publiquement concernant la polémique naissante. Les députés ayant remis le sujet sur le tapis, le ministre se devait de prendre la parole.
Pour répondre à ses collègues, le Ministre choisit de prendre la figure du révolutionnaire Robespierre, qui selon lui est un artisan de l’abolition de l’esclavagisme. Pour autant, il signe la lettre des députés, mais reste sur ses premières positions : « Par deux fois [en 1794 et en 1848] que la République a aboli l’esclavage », tout en admettant que la lutte des esclaves a joué un rôle dans le processus de l’abolition.
Celui qu’on juge d’avoir un esprit régalien s’accorde à donner des réponses mais sans pour autant convaincre ses interlocuteurs. Prenant comme excuse Robespierre encore une fois, il invite les ultramarins à « être fiers d’être membre de la République française ».
Mépris formel ou républicanisme passionné ? Les arrêtés du Ministre pourraient avoir du mal à être entendus par la population ultramarine et renforcer l’idée chez les habitants de l’Outre-Mer de n’être rien aux yeux de l’Hexagone.
Crédits photos : Eddie Crimmins (Flickr) / @geralddarmanin (instagram)
Étudiante en Information-Communication, originaire de la petite île papillon qu’est la Guadeloupe, j’aspire à être journaliste grand reporter spécialisé dans les conflits géopolitiques en Amérique Latine. Courageuse et intrépide, le monde du fameux Pablo Escobar n’a qu’à bien se tenir