La face cachée de Dubaï

Palaces immenses, gratte-ciel à perte de vue et centres commerciaux flambants neufs, rien n’est jamais trop beau et trop grand pour Dubaï. En quelques années, la ville de tous les possibles est devenue l’Eldorado des stars de la téléréalité et de l’influence, faisant d’elle la destination n°1 à la mode. Pourtant, derrière ce décor utopique se cache une toute autre réalité : travailleurs exploités, droits humains réprimésdésastre écologique, l’envers du décor est beaucoup moins idyllique… La ville du toujours plus oui, mais à quel prix ?

 

Unpetite ville de pêcheurs 

On dit que Rome ne s’est pas construite en un jour, à Dubaï on pourrait presque croire que siC’est dans les profondeurs du Moyen-Orient, bordant le Golfe Persique, dans le désert de Rub al Khali que naîtra bientôt une des villes les plus touristiques au monde : Dubaï. Aujourd’hui considérée comme la ville de la démesure, ce n’est qu’il y a peu que ce projet pharaonique est sorti de terre.  

Miser sur une étendue de sable sans fin pour y construire un véritable empire, c’est un pari risqué. À cela, s’ajoutent les 25 jours de pluie maximum par an qui viennent comme parasiter une ville où le soleil est roi, avec des températures avoisinant parfois les 50°C. Alors créer la vie dans un environnement mêlant chaleurs extrêmes, terres arides et inhospitalières peut s’avérer compliqué… 

Un défi aujourd’hui parfaitement relevé par la dynastie Al Maktoum. Déjà installée dans l’Émirat dubaïote depuis le milieu du 19ème siècle, c’est elle qui a fondé ce haut lieu du tourisme de luxe. 

Le modèle économique de Dubaï reposait sur l’agriculture vivrière et le commerce des perles dont la ville était un haut lieu dans le désert d’Arabie. Ce mode de vie traditionnel, dans cette petite ville sans artifice, verra bientôt la mondialisation transformer le visage de ses terres. Le gouvernement Al Maktoum voit le commerce extérieur comme un moyen de développement de l’Émirat et donc de sa villemère, Dubaï. Il va alors tenter de stimuler les échanges commerciaux en étendant les terres de cultures et en construisant le nécessaire pour faire transiter la marchandise.

 

Dubai en 1992 et en 2019

 

Au fil de son développement démographique et économique, cette cité du désert s’est dotée de transports et de nouvelles liaisons commerciales, nécessaires pour échanger et améliorer les relations diplomatiques avec l’étranger. À la veille des années 1960, Dubaï disposait déjà des infrastructures propices à son expansion : routes, ponts, ports, systèmes d’approvisionnement en eau et électricité, notamment. 

Ce n’est que plus tard que l’on découvrira des sources de pétrole au large des côtes de la ville. Leur exploitation restera brève et limitée. L‘Émir Al Maktoum, laissera l’Émirat d’Abou Dabi se charger de l’extraction de l’or noir. Lui, choisira le tourisme. Les années 1970 lancent le projet Dubaï comme on le connaît aujourd’hui. Elles figurent comme le lancement des constructions de grande envergure dynamisées par l’union des Émirats en 1971. Un aéroport, le nouveau port de Jebel Ali et le Dubaï World Trade Center apparaissent désormais dans le paysage dubaïote. Ce dernier devient le plus haut gratte-ciel de la ville. Il inspirera d’autres projets bien plus ambitieux… 

 

Démesure et immensité

Au fil des années, Dubaï construit sa renommée à travers des projets architecturaux surmédiatisés. Cet Eldorado du désert, s’efforce d’attirer les investisseurs au portefeuille bien rempli. C’est eux qui sont dans l’ombre de la ville, bien que de la dynastie Al Maktoum donne aussi de sa personne. Ils façonnent alors l’image qu’on lui connaît : une destination de vacances… de luxe. L’Émirat ne se refuse rien et ne recule devant aucun défi. Faire du ski en plein désert ? C’est possible. Construire la tour la plus haute du monde ? Un jeu d’enfant. Le plus grand centre commercial du monde ? Presque trop simple. Tout est fait pour attirer une clientèle fortunée qui ne serait même pas étonnée par tout ce luxe. 

Mais où loger tous ces touristes ? Dans un hôtel, mais pas n’importe quel hôtel. Le Burj Al Arab, considéré comme le symbole d’un pays qui se tourne vers une autre économie après l’ère du pétrole. Un hôtel qui s’auto-attribue 7 étoiles  – alors qu’en France le plus étoilé en porte 5 – et est considéré comme l’un des plus luxueux au monde pour lequel il faudra débourser pas moins de 2000 € pour une nuit.  

Mais Dubaï ne s’arrête pas là. Elle prend aussi le dessus sur la mer et en fait son allié touristique avec la construction d’îles artificielles. L’une des plus connues est la Palm avec le quartier résidentiel de Palm Jumeirah. Vous cherchiez à vous démarquer avec la plus belle des villas ? C’est peine perdue, elles ont toutes été construites quasi à l’identique. The World Island fait aussi partie des projets les plus étonnants. Un archipel d’îles artificielles sur le Golfe Persique censé représenter l’ensemble des pays de la planète. 

 

 

Des prouesses architecturales et technologiques, il en existe bien d’autres à Dubaï. La Dubaï Marina où les yachts côtoient les buildings gigantesques. Les fontaines qui accompagnent le Burj Khalifa, où l’eau jaillit jusqu’à 275 m de hauteur – n‘oublions pas, la Tour Eiffel fait 300 m – mais ce n’est rien à côté des 828 m du Burj Khalifa. Et le fameux Dubaï Mall. Là-bas, vous êtes sûrs de trouver votre bonheur parmi les 1 200 boutiques et les 800 000 m² du centre commercial. La sobriété ? Les dubaïotes ne connaissent visiblement pas. Depuis ses débuts Dubaï flirte plutôt avec l’excentricité et en fait son atout premier. Le but du gouvernement est clairement affiché : devenir la 1ère destination mondiale du tourisme et du luxe. 

 

Dubaï, une terre promise 

La ville séduit par son artificialité, être toujours plus beaux et belles physiquement, toujours plus riches en oubliant l’authenticité. Dubaï charme aussi par les nombreux avantages qu’elle prétend offrir aux futurs investisseurs, résidents et touristes. Aujourd’hui, cette cité du désert semble être le repère des excandidats de téléréalité et une référence pour les influenceurs cédant aux sirènes dubaïotes. Un ciel bleu, une ville cosmopolite où l’on peut se prélasser sans problème, ce sont souvent les arguments avancés par les visages très familiers que l’on voit partir à Dubaï : la météo, la sécurité et la multi-culturalité de la ville. 

Un point non négligeable et sur lequel bizarrement les expatriés à Dubaï s’expriment moins : la fiscalité, qui est beaucoup plus avantageuse dans la ville de la démesure. Aucun impôt sur le revenu n’est prélevé, un vrai paradis fiscal pour ceux qui souhaitent créer leur business ou développer leur patrimoine. 

Un passeport occidental s’avère être un passe-droit pour vivre à Dubaï. Avec ce dernier, exit les procédures à rallonge et coûteuses de demande de visa dont doivent s’acquitter la majorité des autres nationalités « détenir un passeport occidental, permet d’obtenir beaucoup d’avantages à Dubaï » explique Amélie Le Renard dans Le privilège occidental. Travail, intimité et hiérarchies postcoloniales à Dubaï. 

La présence de nombreuses zones franches permet d’assouvir un peu plus les travailleurs locaux puisqu’elles disposent de droits spécifiques. Parfait, lorsque l’on souhaite développer son entreprise à bas coûts.  

Hormis les avantages administratifs, Dubaï c’est aussi la ville des réseaux sociaux. « De nombreuses tours et bâtiments sont construits et pensés spécifiquement pour être spectaculaires sur les photos » poursuit l’écrivaine.

 

 

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Le gouvernement crée alors l’image d’une ville luxueuse et futuriste via ces influenceurs qui se rendent sur place. Parfois tout frais payé par l’office de tourisme de Dubaï elle-même. Une pratique de plus en plus répandueutilisée par les villes souhaitant se façonner ou reconstruire un imaginaire communDubaïune ville qui semble décidément regorger d’aspects positifs  tout devient succès, un vrai paradis sur Terre. 

 

Du pain sur la planche en matière de droits humains… 

Vivre à Dubaï semble presque synonyme de paradis. Alors, à tous ceux qui pensent que le paradis est sur Terre, une chose est sûre, il n’est pas sur la terre promise du luxe et de la démesure. La réalité fait plus écho à l’enfer… 

Démarrons crescendo.  

Avant tout, ayez en tête que le système judiciaire à Dubaï – et aux Émirats arabes unis en général – est un mélange de droits civils et de la chariaLes peines peuvent aller de la simple amende pour les plus chanceux à l’exécution. Alors tenez-vous à carreau ! De nombreux expatriés finissent par déchanter et voir leur rêve américain façon Mille et Une Nuits s’écrouler. Beaucoup ne se sentent pas libres d’émettre un avis sur le gouvernement. De plus, les accros à FacebookMessengerSkype peuvent dire adieu à ces applications qui sont censurées dans le pays, de la même manière que Disney + et les sites pornographiques.

 

Les femmes ne sont pas plus épargnées. 17% des femmes émiraties font partie de la population active nationale aux Émirats arabes unis. À titre d’exemple, c’est 49% des femmes en France. Un fossé énorme donc. Or, l’accès à l’éducation et au monde du travail est fondamental dans l’émancipation des femmes et dans la garantie de leurs droits.

 

 

 

À Dubaï, on peut aussi parler d’esclavage moderne. Derrière ces folies architecturales se cachent très souvent des travailleurs étrangers, plus connus sous le nom de « workers ». Des ouvriers traités dans des conditions infâmes, qui reposent en grande partie sur lsystème de la kafala, système de parrainage ancestral des employés compliquant dramatiquement leur autonomie et leurs libertés. À Dubaï, il est monnaie courante de voir dans les ménages bourgeois, des domestiques qui dorment dans une « made room » – aux allures de chambre de bonne – à la fois insalubre et minuscule. Cette pratique a d’ailleurs largement fait débat. Le gouvernement dubaïote se justifie en disant qu’il est encore plus dur de gagner de l’argent dans leur pays d’origine. Argument bidon. Gagner un salaire 3 à 4 fois plus élevé à Dubaï induit-il forcément de vivre dans 3 m² ? Bien-sûr que non.

 

Un désastre écologique

  

 

Dubaï c’est aussi la plus grande catastrophe écologique du Moyen Orient. Pourquoi ? Parce qu’on oublie souvent qu’elle est construite dans l’un des plus grands déserts du monde : le désert d’ArabieClimat désertique, sécheresse, région sismique, tempêtes de sable… rythment le quotidien du Golfe Persique où se trouve Dubaï. Or, on fait tout pour y faire abstraction. Entre la climatisation dans les centres commerciaux, les gazons des golfs aussi verts que les champs en Normandie et même une piste de ski, on n’a pas l’impression qu’il y fait 50°C en été. Mais vous vous en doutez, toute cette énergie utilisée n’est pas verteLes Émirats arabes unis sont le huitième pays au monde émettant le plus de gaz à effet de serre par habitant. En 2017, les émissions de CO2 liées à l’énergie s’élevaient à 20,9 tonnes pour un habitant, contre 4,6 tonnes de CO2 pour un français moyen.  

La course à la modernité a un prix et c’est la planète qui en paye les fraisAlors pour pallier ce désastre et devenir moins dépendantde sa production pétrolière, Dubaï se lance le défi de produire près de la moitié de son électricité à partir d’énergies renouvelables d’ici 2050, notamment avec la progression du solaire. Ce n’est donc pas pour demain…

 

Une ville paradoxale

Les règles et doctrines religieuses qui encadrent Dubaï semblent parfois incompatibles avec son envie de devenir une ville de 1ère classe dans le mondeBeaucoup de décalages entre les lois et les actes. Explication.

À Dubaï, la prostitution est interdite, voire même passible d’amende et d’emprisonnement. Pourtant, la ville est une référence dans l’industrie du sexe, étant même qualifiée de capitale de la prostitution dans le Golfe. Alors ne soyez pas surpris, au détour d’une balade, d’apercevoir des prostituées dans le centre-ville ou dans le célèbre quartier de LMarina.

 

Quant à elles, l’homosexualité et toutes les formes de travestissement sont prohibées. Mais La Presse, journal québécois, a révélé en 2012 que Dubaï était le refuge des LGBTQIA+.

Plus largement, une conférence internationale sur l’identité de genre et les droits LGBT est organisée aux Émirats arabes unis en mai 2021. Paradoxal pour l’un des pays les plus LGBTphobes au monde, non ?

 

 

Ville de tous les préjugés et de la controverse, nombreux sont ceux qui l’adorent, mais aussi ceux qui pensent qu’il n’y a aucune culture. Un conseil : partez à l’aventure et forgez-vous votre propre opinion. Profitez de tout le luxe que Dubaï a à vous offrir, mais ne fermez pas les yeux sur l’envers du décor, car comme on ditil n’est pas pire aveugle que celui qui ne veut pas voir… 

 

Noa Darcel et Pauline Kuhnmunch

 

Crédits photo :  Voyage Insolite / The Guardian / WIN- Initiative – Getty Images / orienthouria /  esfera / Shutterstock / golf travellers / Duke university / archzine 

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