19 ans après les tensions décuplées par le 11 septembre, les récents accords de Doha laissent entrevoir des espoirs de paix oubliés par la population. Récit d’une fracture profonde et douloureuse….
Historique d’un conflit interminable
Même si la guerre d’Afghanistan a officiellement débuté en 1979, c’est à partir du 11 Septembre 2001, et les attentats du World Trade Center et du Pentagone, que les tensions se sont exacerbées. L’Afghanistan abritait en effet, le chef d’Al-Qaïda Oussama ben Laden et plusieurs camps d’entraînement du réseau terroriste. La réponse du président fraîchement élu Georges Bush ne se fit alors pas attendre, puisque les premières troupes américaines arrivèrent dans le pays le 7 octobre de la même année. Les soldats américains combattaient sous la mission “Liberté Immuable” dont l’objectif était de neutraliser la présence terroriste et de capturer le chef d’Al-Qaïda. Ce déploiement de force occidentales fut d’abord une victoire et le régime taliban tomba à la fin de l’année. Mais Ben Laden ne fut tué par les forces américaines qu’en 2011 sous le gouvernement de Barack Obama.
Malgré la chute du régime, les talibans, n’ayant jamais réellement tous disparus, se réinstallent peu à peu à partir de 2006 dans tout le pays, secrètement soutenus financièrement par le Pakistan. Après un changement de stratégie de la coalition en 2009 -favorisant la sécurisation de la population, la lutte contre la corruption et la formation de l’armée afghane- les troupes de l’OTAN commencèrent progressivement à se désengager du conflit à partir de 2011. Mais en 2014, l’Etat Islamique se répand au Khorassan, région afghane, et commet de nombreux attentats dans tout le pays. La guerre continue alors à faire rage entre soldats de la Force Internationale d’Assistance et de Sécurité, majoritairement américains, et talibans et membres de l’EI. Après plus de quatre décennies de guerre ravageant le pays, “3,3 millions de personnes -soit une personne sur dix- a aujourd’hui besoin d’assistance humanitaire”, écrit l’ONG Action contre la faim en juillet 2018.
Promesse d’une campagne
Samedi 29 février, Trump a réalisé l’une de ses promesses de campagne, américains et talibans sont parvenus à trouver un accord historique à Doha laissant planer des espoirs de paix. Mené par le secrétaire d’état américain Mike Pompeo d’un côté, et par le mollah Abdul Ghani Baradar (chef des Talibans) de l’autre, celui-ci doit conduire à des pourparlers directs entre Talibans et responsables Afghans le 10 mars prochain. Mais alors que le traité a été signé, il y a moins d’une semaine, de nombreuses complications s’annoncent d’ores et déjà. En cause, le refus du gouvernement Afghan de céder à la libération de 5 000 prisonniers talibans, en échange de celle d’un millier de soldats afghans. Dans la foulée, les insurgés ont mis fin au cessez-le-feu établi et les violences ont repris de plus belle.
Les engagements ?
Avant la signature du document, les Américains ont rappelé que les accords étaient conditionnés par le respect des engagements pris par les insurgés. Si ces derniers se voyaient respectés, une étape décisive serait franchie. Les axes de cet accord prévoient en effet, un plan de désengagement progressif des troupes américaines sous quatorze mois. Ainsi au cours des 135 jours prochains, Washington devrait retirer 5 400 soldats avant finalement le retrait de toutes les forces américaines et la fermeture des 20 bases disséminés dans tout le pays.
De leur côté, les insurgés s’engagent à ne plus soutenir les groupes jihadistes à l’image d’Al-Qaïda et Daesh et à entretenir le dialogue avec le pouvoir en place du président Ghani qu’ils considèrent comme illégitime. Si Donald Trump semblait plutôt optimiste à l’issue de cet accord, la communauté internationale semblait en revanche beaucoup plus mesuré. « Ce premier pas concret dans un processus de paix était attendu depuis longtemps, mais c’était la partie la plus facile » souligne Laurel Miller, membre de l’ONG internationale Crisis Group.
Plus encore, l’accord pose question auprès de nombreux observateurs, une paix est-elle véritablement envisageable ? Le retrait américain ne risque-t-il pas au contraire de fragiliser un pays déjà sous turbulence depuis les élections présidentielles de décembre 2019 ? Par bien des aspects, cet accord pourrait sembler chimérique alors que les américains souhaitent se retirer d’un conflit dans lequel ils sont enlisés depuis près de deux décennies. Chris Hampton, ex capitaine de l’US Navy voit par exemple en ce retrait une forme de capitulation qui pourrait plonger la république islamique dans un chaos profond : “En signant ce pacte avec les talibans, nous leur donnons une légitimité, et je crois que c’est une erreur. Ils ont une vision répugnante de l’humanité, considèrent les femmes comme des citoyennes de seconde zone” avant finalement de prédire “les talibans reprendront le contrôle et le pays implosera”. Au delà, de la paix, Trump et le mollah Baradar pourraient en effet être perçu comme les grands gagnants de ces négociations. Le premier cité pourrait s’ériger comme le premier président à établir un accord de paix avec les talibans là où ces prédécesseurs se sont “cassés les dents”. Avec en ligne de mire, les élections présidentielles, le clan Trump pourrait également être considéré comme celui qui a ramené ses soldats coincés dans une guerre depuis trop longtemps. Du point de vue Taliban, l’heure serait à la reconquête, s’ils sont déjà parvenus à exclure le gouvernement Afghans des négociations, ils pourraient en plus profiter de la dispersion américaine pour reconquérir le pouvoir en place et établir ainsi la féodalité auquel il sont attachés. De quoi, faire ré émerger d’anciens démons et la violence dans le pays.
Présage d’un échec
A peine deux jours plus tard, l’accord de Doha prend un premier coup quand un attentat à la moto piégée tue 3 civils et blesse 11 autres personnes pendant un match de football dans l’est du pays. A la suite de l’attaque, Zabihullah Mujahid le porte-parole des insurgés rappelle «Conformément à l’accord, nos moudjahidines n’attaqueront pas les forces étrangères, mais nos opérations continueront contre les forces du gouvernement de Kaboul». En rompant le cessez-le-feu en vigueur, les talibans ont donc poussé les limites de l’accord établi.
Pour répondre à cet affront, l’armée américaine a enclenché une frappe aérienne sur les combattants talibans mercredi 4 mars dans la province du Helmand, dressant le constat d’un accord toujours plus hypothétique. “Nous appelons les talibans à cesser les attaques inutiles et à respecter leurs engagement.“, explique le colonel Sonny Leggett sur Twitter pointant du doigt le non-respect aux obligations des insurgés.
Dans la lignée de ce tweet, Mike Pompeo le chef de la diplomatie américaine a appelé ce jeudi à mettre fin “immédiatement” au “regain de violence” en Afghanistan. Un discours qui n’a visiblement pas atteint les insurgés, qui, par la suite ont repris les violences dès le vendredi 6 mars. En effet, une fusillade et un attentat suicide ont eu lieu pour la première fois dans la capitale depuis le cessez-le-feu prononcé. Cette nouvelle attaque, tuant 27 personnes et blessant 29 autres lors d’un rassemblement politique commémorant la mort d’un homme politique chiite, insiste sur la division religieuse déjà très présente dans le pays.
Après ces attaques répétées, nous pouvons nous interroger sur la volonté des différents acteurs d’établir une paix durable dans un pays ravagé par la violence et la corruption depuis plus de 40 ans.
Lilia Fernandez et Kylian Prevost
Crédits photos : AP/Hussein Sayed/Mushtaq Mojaddidi
Étudiante en double licence info com / llce anglais, passionnée de journalisme, j’aime toucher à tout.