Crise sécuritaire inédite en Equateur 

Crise sécuritaire inédite en Equateur 

L’Equateur a connu une semaine de crise sécuritaire sans précédent, du dimanche 7 janvier jusqu’à ce que la situation se normalise dimanche 14 janvier. L’armée et la police équatorienne ont repris le contrôle de plusieurs prisons, victimes de mutineries et de prises d’otages. Plus de 200 fonctionnaires de l’administration pénitentiaire, otages de prisonniers, ont été libérés.

L’évasion de la prison de Guayaquil, du redouté chef du gang des Choneros, Adolfo Macias, alias “Fito”, dimanche 7 janvier, est le point de départ de cet épisode de violence inédit. “Fito” s’est volatilisé à la veille d’une opération de police dont il avait visiblement été informé. Il s’était déjà évadé en 2013, mais avait été repris au bout de trois mois.

Âgé de 44 ans, l’homme avait fait la Une de la presse au cours des derniers mois, après l’assassinat de Fernando Villavicencio, l’un des candidats à l’élection présidentielle 2023. Adolfo Macias est soupçonné d’avoir commandité ce meurtre depuis sa prison. Il purgeait, depuis 2011, une peine de 34 ans pour crime organisé, trafic de drogue et meurtre.

Cette évasion vient fragiliser le président Daniel Noboa, élu en novembre 2023. Il avait promis de rétablir la sécurité. Son prédécesseur, le conservateur Guillermo Lasso, avait été confronté à plusieurs crises de violences dans les prisons. Il avait plusieurs fois décrété l’état d’urgence, sans parvenir à endiguer le narcotrafic, lié à la corruption qui gangrène le pays.

Le président Noboa est sur une ligne encore plus dure que celle de son prédécesseur. Il a récemment annoncé la construction de prisons de haute sécurité sur des bateaux et au milieu de la jungle, le renforcement du renseignement et du contrôle des frontières, ainsi que l’expulsion programmée de plus d’un millier de détenus étrangers.

Le plus jeune président de l’histoire de pays, seulement âgé de 36 ans, a réagi lundi 8 janvier en déclarant l’état d’urgence pour 60 jours, assorti d’un couvre-feu, dans tout le pays. Plus de 22 400 militaires ont été déployés, avec des patrouilles terrestres, aériennes et maritimes.

 

“ Conflit armé interne “

Dès le lendemain de son annonce, des scènes de violences ont eu lieu un peu partout dans le pays. A Guayaquil, beaucoup d’hôtels et de restaurants ont fermé. Dans la capitale Quito, les magasins et les centres commerciaux ont fermé prématurément. Fabricio Colon Pico, le chef d’un autre gang, celui des Lobos, soit le puissant gang rival des Choneros, a profité des émeutes pour s’évader.

Autre fait médiatique marquant : l’irruption d’hommes armés sur le plateau d’une télévision publique à Guayaquil. Ils ont brièvement pris en otage des journalistes et des employés de la chaîne. La diffusion de ces images s’est poursuivie en direct pendant plusieurs minutes jusqu’à l’intervention des forces de l’ordre. Treize personnes ont été interpellées par la police. Selon un premier bilan de la police mardi soir, les violences ont fait au moins 10 morts.

Après l’évasion d’Adolfo Macias, plusieurs mutineries et prises en otage de gardiens se sont produites dans diverses prisons. L’administration pénitentiaire a fait état de 139 membres de son personnel retenus en otage dans cinq prisons. Des vidéos relayées par les réseaux sociaux ont notamment montré l’exécution d’au moins deux gardiens, par arme à feu et par pendaison.

La fermeture de toutes les écoles du pays a été ordonnée par le ministère de l’Education, du mardi 9 au vendredi 12 janvier.

En réaction aux violences, Daniel Noboa a ordonné ” la mobilisation et l’intervention des forces armées et de la police nationale ” afin de ” garantir la souveraineté et l’intégrité nationale “. Selon lui, l’Equateur est plongé dans un ” conflit armé interne “.

“ C’est une action sans précédent pour une situation sans précédent “, a commenté l’analyste politique Sebastian Hurtado.

 

“ Pays de passage et de trafic

L’Equateur est l’un des plus petits États d’Amérique du Sud avec une superficie de 256 370 km². Situé entre la Colombie et le Pérou, soit les deux plus grands producteurs au monde de cocaïne, le pays de 18 millions d’habitants est devenu ces dernières années un important point d’exportation de drogue vers l’Europe et les Etats-Unis.

Selon Nasser Rebaï, maître de conférence en géographie à l’Université Sorbonne Paris Nord, et spécialiste de l’Equateur, le pays est “ véritablement un pays de passage et de trafic “.

Autrefois un havre de paix, le pays est aujourd’hui ravagé par la violence des gangs. Entre 2018 et 2023, les assassinats dans les rues ont augmenté, passant de 6 à 46 pour 100 000 habitants. Ce chiffre est susceptible d’augmenter en 2024. La police équatorienne prévoit une augmentation de 66 % des homicides cette année.

L’Equateur est sur le point de dépasser tous les autres pays d’Amérique du Sud en matière d’homicides, la Colombie étant désormais en deuxième position.

Le Pérou a déclenché l’état d’urgence le long de sa frontière avec l’Equateur (1400 km) et a renforcé sa surveillance. Les Etats-Unis se sont dits “ extrêmement préoccupés par la violence “ et “ prêts à fournir de l’assistance “. La Chine a interrompu mercredi 10 janvier les activités consulaires en Equateur ainsi que celles de son consulat. Le Brésil, le Chili, la Colombie, et le Pérou ont exprimé leur soutien à l’Equateur.

De son côté, la France a recommandé à ses ressortissants de “ différer “ les voyages en Equateur, connu pour ses îles Galapagos.

 

Équateur ou Turquie ? 

Les scènes de violences ont été massivement relayées sur les réseaux sociaux. Dans ce contexte, de nombreuses infox circulent, semant encore davantage la confusion et la panique.

Si l’on en croit une vidéo postée sur X (anciennement Twitter), plusieurs tanks auraient été déployés de nuit, en plein centre-ville de Guayaquil, pour combattre les gangs qui sèment la terreur. Ces images ont été vues plusieurs centaines de milliers de fois. Pourtant, elles n’ont aucun rapport avec la situation en Equateur. Grâce à des recoupements et à l’analyse d’un expert, on apprend qu’il s’agit d’une vidéo filmée en Turquie, dans les rues d’Ankara lors de la tentative de coup d’État en 2016.

Un autre exemple, celui d’un cliché montrant des centaines de personnes dans une file d’attente entre l’Equateur et le Pérou, sous-entendant une fuite massive vers le Pérou. Mais une fois encore, cette image, largement partagée, est sortie de son contexte et date de 2018.

A l’heure des réseaux sociaux, les internautes sont vite pris dans un torrent d’images et d’informations, sans pouvoir distinguer le vrai du faux, ce qui, malheureusement, pour les plus influençables et les plus sensibles, va se traduire par un sentiment de panique.

Lily REY

Crédits photo : Diego F. Parra

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