A l’annonce de nouvelles aides gouvernementales qui seront distribuées par le biais du CNC à destination des cinémas français, il a été spécifié que ceux appartenant aux collectivités publiques n’en bénéficieront pas. Ce qui plonge les exploitants concernés et leur public dans un grand désarroi.
Sélectivité financière
Le 23 septembre 2020, à l’issue du 75ème congrès des exploitants de Deauville, Roselyne Bachelot, fraîchement élue ministre de la Culture, enfile sa cape d’héroïne et dépeint les prochaines aides financières qui seront accordées au monde de la culture dont elle a la charge. Grâce à ses super-pouvoirs, elle annonce un soutien de 50 millions d’euros destiné à compenser les pertes d’exploitations des salles de cinémas, liées à la lente reprise d’activités due à l’épidémie. Mais stupeur, après l’intervention de la ministre, il est précisé que l’ensemble des cinémas publics, à savoir ceux gérés par les mairies, les communautés d’agglomération et les départements, en sont exclus. Roselyne Bachelot aurait-elle survécu comme Superman à la destruction de Krypton, et malencontreusement avalé un morceau de Kryptonite, pour constater ensuite que ses capacités n’étaient pas assez importantes pour aider tout le monde ? On ne sait pas. Peut-être, qui sait. Elle a tout de même réussi un retour inattendu en politique après des années passées à la télévision et un passage dans Nos chers voisins. Preuve que ses pouvoirs sont loin de s’éteindre.
Et pourtant, l’enveloppe de 50 millions d’euros concernera bien uniquement les salles indépendantes, aidées à hauteur de 50% de leurs pertes, et les grands circuits privés telles que les salles UGC, soutenus eux à hauteur de 40%. Les salles publiques, elles, devront compenser par leurs propres moyens leur baisse de recettes, en dépit de leurs nombreux investissements dans la culture et des finances territoriales au plus bas depuis plusieurs années.
Les propos d’Emmanuel Macron, tenus lors de sa dernière allocution présidentielle : « Nous soutenons tous les acteurs de la culture qui ont tenu, innové, su trouver de nouveaux publics dans ce contexte si difficile », n’étaient en fait que de la poudre de perlimpinpin.
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Collectifs en colère
La décision, qui on l’espère a encore le temps d’être modifiée, ne séduit absolument pas les propriétaires des quelques 200 salles jugées assez débrouillardes, tout comme les responsables des collectivités. Antonia Naïm, directrice du cinéma « Gérard Philipe » était présente au congrès de Deauville. Elle raconte qu’un maire s’est levé pour exprimer son inquiétude sur le maintien du financement du cinéma municipal qui dépend des aides de sa mairie, et assure un lien social comme culturel très fort dans sa ville.
Bien décidés à ne pas laisser faire, les exploitants touchés par cette iniquité impensable, à l’initiative de Stéphane Goudet, directeur du cinéma « Le Méliès » à Montreuil, ont décidé de faire front commun afin d’écrire et de proposer une pétition. Cette dernière vise à demander à Roselyne Bachelot, ainsi qu’aux pouvoirs publics de : « traiter équitablement l’ensemble des cinémas présents sur le sol français, en compensant à la même hauteur que les circuits, les pertes d’exploitation des salles publiques ». Elle a déjà recueilli le soutien du GNCR (Groupement national des cinémas de recherche), comme celui de nombreux cinéastes, élus et exploitants venus au secours de leurs confrères.
Faisons perdurer la diversité
La pétition lancée exprime bien les craintes de ce collectif d’exploitants pour l’avenir, qui affirme : « Que l’État ne soutienne pas, ne soutienne plus, les salles déjà subventionnées, c’est une première historique. Toutes les autres aides à l’exploitation étaient jusqu’alors accessibles à tous, quel que soit leur statut économique et juridique. Les cinémas publics, qui accomplissent bien souvent un travail exemplaire, seront donc affaiblis. Et nul doute que viendra le moment où la logique libérale conduira à remettre en cause les aides sélectives à l’exploitation pour ces cinémas, accroissant le pouvoir des circuits, et réduisant la promotion d’une réelle diversité de création ».
Toutes ces salles de cinéma, certes petites et qui n’ont pas la même rentabilité que les circuits privés, sont vitales pour la diversité cinématographique. Elles proposent une programmation de qualité, orientée vers des films pas forcément grand public, ce qu’on désigne généralement sous le terme de cinéma d’art et d’essai ou cinéma d’auteur. Des pépites filmiques françaises ou étrangères, avec une démarche artistique franche, qui laissent parfois totalement en dehors, mais qui, quand elles vous emportent, le font avec brio. Il est important que ces œuvres existent, mais encore plus qu’elles soient correctement distribuées. Si personne ne les voit, comment voulez-vous créer des vocations artistiques chez certains ? Des souvenirs mémorables chez d’autres ? Ces long-métrages n’intéressent pas ou très peu les grands circuits privés, qui préfèrent se tourner vers des valeurs sûres comme les blockbusters américains, ou encore les comédies françaises grand public.
On n’essaye pas de vous dire que des films comme Les Tuche 4 ou ceux de l’écurie Marvel, ne méritent pas d’occuper le haut du panier en matière de distribution sur le sol français. Mais que d’autres œuvres, qui essayent d’être inventives, spectaculaires ou provocantes d’une manière différente, afin de compenser des budgets pas toujours à la hauteur de leur ambition, devraient avoir la même chance d’être vues. Et c’est souvent grâce aux salles d’art et d’essais, qui relèvent pour la plupart du domaine public, que leur arrivée jusqu’à nous est rendue possible.
D’autant plus que ces salles sont bien souvent situées dans des zones défavorisées et boudées par le circuit privé, qui n’a pas souhaité y investir ou a quitté les lieux faute de rentabilité. Par exemple, une région comme la Creuse, faiblement peuplée et en manque de dynamisme, a la chance de compter l’un des plus grands nombres de cinémas publics dans un département. L’accès à la culture et à la création passe donc essentiellement par ces organismes publics, quand certains espaces et spectateurs potentiels ne sont pas jugés assez attrayants d’un point de vue économique.
Que vous soyez cinéphile, spectateur occasionnel, ou amateur de ce type de salles, il est important de prendre conscience que la richesse culturelle du septième art dans notre pays, passe par la pluralité en termes de genres, de cinéastes, d’histoires, ou encore de thématiques apportées par les œuvres cinématographiques qui nous sont proposées. L’art est essentiel, sa diversité encore plus, et comme il est dit dans la pétition du collectif d’exploitants, la diversité du cinéma ne passera que par la diversité des cinémas.
Vous pouvez signer la pétition en cliquant ici.
Joaquim Tissot
Crédits photo : Stéphane de Sakutin – AFP
Etudiant en information et communication. Parfois je mets mes pensées et un peu d’actualités sur le papier, il paraît que ça détend.
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