Charlotte de David Foenkinos, en quête de passions

Charlotte de David Foenkinos, en quête de passions

Charlotte Salomon, une personne singulière aux résonnances multiples. Une artiste au destin tragique, esprit tourmenté ou un art novateur ? En fait, Charlotte est tout ça à la fois. 

A l’occasion de la diffusion du documentaire Charlotte Salomon, la jeune fille et la vie sur Arte ce soir, j’aimerais mettre en lumière l’œuvre qui m’a familiarisée avec cette artiste. Mais tout d’abord, un bref rappel paraît nécessaire. Charlotte Salomon est une artiste-peintre juive allemande née en 1917 à Berlin. Elle a par conséquent vécu pendant la montée du nazisme en Allemagne et en est morte à 26 ans, dans le camp tristement célèbre d’Auschwitz. De son vivant, Charlotte Salomon n’a connu qu’une reconnaissance académique aux Beaux-Arts de Berlin où elle a étudié. Sa renommée s’est construite post-mortem, lorsque son unique œuvre Vie ? ou Théâtre ? a été exposée au Stedelijk Museum d’Amsterdam en 1959.

 

Première rencontre 

C’est en 2014 que Charlotte est publié, mais je n’en prends connaissance que par hasard, l’été 2021. Dès les premières pages, il devient instantanément mon livre favori. Le roman de David Foenkinos réussi l’exploit de lier le lecteur de façon personnelle à cette jeune femme d’un autre temps. Durant 254 pages, nous sommes invités au cœur des sentiments les plus profonds de Charlotte Salomon, de ses tourments, de ses dangers et surtout de ses amours. Si le documentaire réalisé par Delphine et Muriel Coulin rend un merveilleux hommage à Vie ? ou théâtre ? en l’animant, le livre nous permet de nous rapprocher intimement de l’artiste. Connaître Charlotte avant d’apprivoiser son art. D’un point de vue personnel, c’est cette démarche qui m’a permis d’apprécier ses peintures, n’étant pas une grande fan du mouvement expressionniste. Je vous conseille donc la lecture de Charlotte avant la découverte de son œuvre mythique ou du documentaire qui la met en forme. De cette façon, le choix de certaines couleurs, de visages, de mélodies ou de citations paraît tout de suite évident. Charlotte m’a permis d’entrer en communion avec l’art de Charlotte Salomon et en voici les raisons.

 

De la quête à l’horreur 

Charlotte est bien plus qu’une biographie. A travers notre lecture, on assiste au pèlerinage de David Foenkinos, sur les traces d’une artiste qui l’obsède. Le récit de l’existence tourmentée de Charlotte Salomon est entrecoupé par la réalité de l’auteur. Ces deux temporalités sont rassemblées par des lieux, autrefois foulés par l’artiste, aujourd’hui arpentés par un homme passionné. Les lieux, seuls gardiens de toutes les empreintes, seuls restes d’une sombre époque.

Le lecteur est invité à suivre l’enquête de David Foenkinos. On vit la frustration des portes fermées mais également les moments de grâce d’une réponse, de son rapprochement encore un peu plus concret d’une vie qui n’est plus. A travers ces moments partagés avec l’auteur, une chose nous saute aussi aux yeux ; Charlotte est encore partout. Elle a traversé les générations qui avaient autrefois croisé son chemin. A Aix en Provence, on garde encore le récit de ses grands-parents qui ont eu la chance de la connaître et qui ont perpétué sa mémoire. Dans son ancienne école, on prend soin des vestiges du passé dans une salle de sciences naturelles, intacte depuis les années 30.

La présence de David Foenkinos en tant que personnage à part entière du roman nous implique dans sa recherche, mais aussi dans sa passion. Si le vécu de Charlotte Salomon n’éveille en vous aucun sentiment, la passion de l’auteur saura vous toucher et vous émouvoir. Ce livre rend la distance entre le sujet et son lecteur merveilleusement impossible. Nous nous retrouvons impliqués dans un destin que nous savons tragique et injuste. On ne cherche pas à surprendre le lecteur, la mort de Charlotte est la seule fin, ses désillusions et ses malheurs rythment les chapitres. Au fur et mesure de notre lecture, nous nous enfonçons dans l’autopsie d’une vie à travers les abysses. Dès le début, on assiste à l’énumération des suicidées au sein de la famille de Charlotte, puis on se confronte au deuil d’une enfant, aux répercussions de la montée du nazisme dans cette famille d’artistes et de médecins juifs, à l’amour dévorant de Charlotte pour la peinture puis pour Alfred, jusqu’à son départ pour le sud de la France précédant son arrestation par la Gestapo.

 

La beauté, partout

Alors pourquoi ? Pourquoi aimer à ce point la traduction d’une vie d’horreur ? Parce qu’en vérité, à l’image des peintures de Charlotte, cette tristesse n’est qu’ustensile. Le tragique est sculpté en poétique par l’auteur.

Tout d’abord par la forme. Les lignes se transforment en vers, la brutalité des faits s’éclipse dans les métaphores, la vie se confond au théâtre. La mise en page épurée apporte la légèreté nécessaire aux lecteurs.rices, une douceur bienvenue dans le chaos. Mais cette nuance apportée aux malheurs n’est pas qu’une question de forme.

Le récit de David Foenkinos met un point d’honneur à appuyer les expériences qui serviront d’essence à la jeune femme. De la rencontre avec sa belle-mère Paula et Alfred, son admission aux Beaux-Arts, jusqu’à la découverte de la Provence et de ses couleurs. Si la mort est questionnée et même centrale, dans l’œuvre de Charlotte, la vie n’en est que plus éclatante. Par moment, même, la tristesse est célébrée par l’artiste. Il n’est pas question de roman plombant, ici, cette tristesse qui régit Charlotte Salomon est une inspiration, le destin n’est plus une fatalité.

Les différentes facettes de l’obsession sont aussi examinées. Charlotte, par manque de figure adulte, se passionne tout d’abord pour sa belle-mère, la célèbre cantatrice Paula Lindberg. L’admiration vire à la possessivité et aux tensions pour laisser place à la tendresse. Puis, Charlotte rencontrera le professeur de chant Alfred Wolfsohn. Cet événement et la relation amoureuse qui va en suivre vont marquer l’artiste au fer rouge. On assiste à l’obsession grandissante de Charlotte pour cet homme, elle qui marquera chacun de ses mots, reproduira tous ses profils dans l’œuvre de sa vie. Mais comment parler des passions de l’artiste sans évoquer la peinture ? Nous sommes invités à observer la genèse d’un talent exceptionnel, bien que spolié par une mort précoce. C’est d’ailleurs justement parce qu’on sait sa vie courte que l’importance de ce don nous touche autant. Nous assistons à l’anatomie de passions en urgence. Urgence d’aimer, de créer, de peindre. Toutes ces ivresses rejoignent celle de l’auteur et son adoration pour Charlotte. Le but déraisonné et unique de comprendre cette artiste qui a fait romance de sa vie, entre vérité et fiction, perdant sans cesse le lecteur. Cette fine barrière du réel n’est au final pas si importante. Quelle importance de savoir si Charlotte a bien vécu la relation décrite avec Alfred ? Et si tout n’était que fantasme d’une jeune femme ? En vérité, il ne s’agit pas d’une biographie classique. Être au cœur des pensées de Charlotte, voilà ce qui compte. Avoir la chance d’y être invité.e.s, de se construire à travers cette fillette devenant adolescente puis adulte, voilà ce qui est précieux.

Charlotte c’est un mélange de tout ça, une vie d’horreur mêlée à l’ascension d’une jeune femme vers la beauté

 

Crédits photo : Wikimedia commons

Share

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *