Catalogne : le Récit d’un divorce

Depuis l’automne 2017, les événements se sont bousculés frénétiquement en Catalogne : un référendum illégal, des grèves générales, la proclamation de la « République indépendante de Catalogne », la fuite de leur ex-président Carles Puidgemont et plus récemment la condamnation de neuf séparatistes.

L’Europe a alors découvert l’ampleur d’une crise qu’elle n’avait probablement pas vue venir et assiste aujourd’hui, médusée, à un divorce inévitable entre Indépendantistes et « Espagnolites ».

Le 14 octobre dernier, la Cour Suprême condamnait neuf indépendantistes catalans à des peines allant de 9 à 13 ans de prison pour avoir organisé un référendum d’autodétermination. Depuis le verdict, une vague de manifestations et de heurts ont eu lieu, cristallisant les tensions entre favorables à un référendum et opposants. Au soir même de la décision, le collectif indépendantiste Tsunami Democratic était parvenu à mobiliser 10 000 personnes pour bloquer El Prat, l’aéroport de Barcelone. Aujourd’hui, la tension est encore bien plus palpable à travers toute l’Espagne avec des manifestations qui s’intensifient et gagnent en violence. D’ailleurs, 350 000 personnes défilaient encore dans la ville de Gaudi samedi dernier pour réclamer la libération des sécessionnistes.

Symbole d’une fracture profonde, dès le lendemain, les partisans de l’unité organisaient eux aussi une manifestation au Paseo de Gracia, un célèbre boulevard commerçant Barcelonais.

Désormais, l’Espagne retient son souffle : émeutes, départs de feux, routes barrées ; le bilan fait déjà état de près de 600 blessés, dont 60 journalistes, mais aussi de 4 manifestants qui ont perdu l’usage d’un œil. Dans les rangs de la police, le constat est tout aussi alarmant, 300 agents ont été blessés selon la conseillère à la santé catalane.

Le pays attend alors une réaction de ses dirigeants à l’image du journal El Pais qui titrait, vendredi 18 octobre, « ¿A qué espera Pedro Sánchez? » (Qu’attend Pedro Sánchez ?). Le dialogue est pour l’instant rompu entre le dirigeant catalan Quim Torra et le chef de l’exécutif. Soucieux de gagner la bataille de l’opinion publique, les deux Espagnols campent sur leurs positions, oscillant entre fermeté et ouverture. L’heure ne semble pas à la négociation !

La naissance d’une opposition

Dans un climat de frustration et d’inquiétude, accru par le mutisme de la gouvernance madrilène, nous avons interrogé Marta, une femme de 38 ans participant à toutes les manifestations.

« Je suis né et j’ai grandi à Barcelone. Je viens d’une famille cent pour-cent andalouse. Mon père est de Grenade et ma mère de Malaga. Mon grand-père était haut gradé dans la Guardia Civil (Ndlr : en français, la garde civile est, en Espagne, une force de police à statut militaire) et j’ai des cousins dans l’armée espagnole et à la Mossos de Esquadra (Ndlr : en français, les : « agents d’escadron » sont la force de police de la Catalogne.) ».

En dépit d’une trajectoire de vie peu propice à faire d’elle une indépendantiste confirmée, Marta explique que sa mutation est apparue à la suite du refus de reconnaître le statut autonome de la Catalogne.

« Je suis devenue indépendantiste quand j’ai vu que le PSOE (sous la présidence de Zapatero) a approuvé le statut d’autonomie de la Catalogne et que par la suite, Le PP* est arrivé au pouvoir et a enterré le statut. » (*PP : Partido Popular, parti de droite conservatrice fondée par l’ancien ministre franquiste Manuel Fraga)

Pour le sociologue espagnol Arkaitz Letamendia, le début du nationalisme émerge d’une société « qui s’est sentie humiliée, attaquée ». C’est aussi ce que confirme la trentenaire Barcelonaise « Une haine émerge vis-à-vis de la Catalogne et ils veulent nous interdire notre langue : LE CATALAN ».

Au-delà d’un sentiment d’exclusion éprouvé par les Catalans depuis de nombreuses années, elle regrette surtout la fermeture totale au dialogue des instances espagnoles et raconte que le point de non-retour a été atteint avec la lourde condamnation des neuf séparatistes suscitant une colère généralisée dans la région.

 « C’est aberrant ! La politique se règle en parlant, pas dans les tribunaux. Il est ahurissant dans un pays soi-disant démocratique comme le nôtre, que notre droit de décider soit bafoué de la sorte. Nous ne sommes même pas consultés ».

Nombreux sont ceux qui remettent également en cause la neutralité de la Cour Suprême. À commencer par 41 sénateurs et 51 députés français de droite et de gauche qui avaient publié une tribune en mars 2019 pour dénoncer « une répression d’élus légitimes ». On reproche également à la plus haute instance juridique d’Espagne d’avoir condamné les séparatistes à des peines démesurées pour faire figure d’intimidation et de découragement.

Pour cet avocat consultant espagnol de 32 ans qui souhaite garder son anonymat, parler de sentences démesurées pour évoquer les condamnations est « un manque de respect pour la justice et la démocratie espagnole ! (…) Ils ont fait un coup d’état ! ».

 

Un retour au dialogue impossible ?

Si Marta ne ferme pas la porte au dialogue, un fossé entre les deux partis semble cependant se dessiner. A la question centrale : faut-il un référendum ? Les deux hispaniques répondent instantanément. «Absolument pas !» pour l’Espagnol unioniste de 32 ans. Marta quant à elle, rétorque : « Bien sûr que je suis d’accord ! Sinon pourquoi est-ce que je manifesterais dans la rue ? Que tu sois pour l’indépendance de la Catalogne ou pas, tu dois pouvoir le dire dans les urnes ». Ces deux réponses antinomiques témoignent de la difficulté à raviver un lien de discours entre les unionistes et les indépendantistes. Plus encore, à l’évocation des violences présentes dans les manifestations, ils se renvoient la balle : « Les Catalans qui manifestent ne sont pas violents. J’en ai marre que nous soyons criminalisés et que les médias nous instrumentalisent et présentent une image erronée de notre mouvement ». Marta poursuit ensuite en dénonçant un autoritarisme de Madrid : « Tout se passe normalement jusqu’à ce qu’interviennent les forces de l’ordre et qu’ils commencent à frapper les manifestants … C’est à ce moment-là que le chaos commence ». Pour son opposant né dans un petit village basque régulièrement porté par des ambitions d’autonomie, les violences sont avant tout liées aux indépendantistes : « Je vis dans ma propre vie, le nationalisme qui est basé sur le racisme et la suprématie de certains Espagnols et sur des dérives de violence ! ».

Quelles sont les conséquences d’une perte de la Catalogne pour Madrid ?

Pour Marta qui a fait des études de psychologie, si le gouvernement se ferme totalement à l’organisation d’un référendum, c’est parce qu’il sait qu’il va perdre « la gallina de los huevos de oro » (comprenez « la poule aux œufs d’or »). C’est d’ailleurs tout l’enjeu de la question de la « Catalunya ». Perdre cette région pour un pays qui a souffert d’une forte récession et d’un climat d’austérité aurait des retombées catastrophiques.

Outre la question de l’identité, le facteur économique explique donc en partie, la guerre que se livrent indépendantistes et « pro-Madrid ». La Catalogne est un poids lourd de l’économie espagnole : c’est la première région exportatrice, l’une des plus en pointe sur l’industrie et celle la plus en vogue dans le domaine touristique. Par ailleurs, elle représente 19,1 % du PIB devant Madrid 18,9 %.

« La Catalogne est la Communauté Autonome qui contribue le plus et qui perçoit le moins… Tout l’argent va à Madrid» fustige Marta.

L’unioniste basque voit quant à lui en la volonté d’indépendance, une volonté de privilégier les classes élitistes : « Ce mouvement nationaliste a toujours été une stratégie de la classe supérieure catalane pour contrôler les gens, l’argent et maintenant le monstre a trop de croissance… ». Malgré un dynamisme économique de la région encore présent, la relance du combat pour l’indépendance a frappé de pleins fouets les entrepreneurs catalans qui craignent un nouvel « automne noir ». Effectivement, nul doute qu’avec cette crise incessante de nombreux investisseurs se sont détournés de cette région conflictuelle privilégiant d’autres destinations florissantes.

 

Kylian Prevost

Crédits photo 1 : Prise par Marta pendant une manifestation

Crédits photo 2 : © Oscar Del Pozo / AFP

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