Armes à feu, débat délicat

Jeudi 8 avril dernier, le président démocrate des Etats-Unis, Joe Biden, a annoncé son plan de limitation des armes à feu. Depuis bien des années, les fusillades de masse sont le poison du pays. Entre démocrates et républicains, le sujet fait débat. Récit.

 

Petits pas par petits pas

Le deuxième amendement de la Constitution des Etats-Unis, dont les lois ont été votées en 1791, autorise les Américains à détenir des armes. Le peuple doit pouvoir se défendre et contribuer « à la sécurité d’un Etat libre ». En 1911, une première loi de contrôle a été adoptée : la loi Sullivan dans l’Etat de New York. La législation autour du port d’arme reste tout de même très légère. La population est très attachée à la « self-defense » (auto-défense).

Depuis plusieurs siècles, le sujet des armes est un sujet clivant, épineux, tabou. Pourtant, les chiffres devraient alerter les membres du gouvernement… En 2020, ce sont 43 000 morts (suicides inclus) et 611 fusillades qui ont eu lieu contre 417 en 2019. L’augmentation fulgurante de ces chiffres ne date pas d’hier. Les Etats-Unis sont la nation qui compte le plus de fusillades de masse dans le monde. Entre 1967 et 2017, le nombre de tueries a triplé, les blessures et suicides augmentent à cause des armes à feu. Le constat est alarmant.

 

Source :  Visactu

 

Les fusillades demeurent le fléau du pays… En janvier 2021, Joe Biden, président démocrate, s’empare de ses fonctions et commence un nouveau plan d’attaque à la Maison Blanche. Lors de sa première conférence de presse en mars dernier, le chef de l’Etat ne semble pas placer le sujet des armes au centre de ses priorités. Il reconnaît, à demi-mots, que son statut ne doit pas lui servir à changer un tel ancrage traditionnel américain. Après les tueries de mars, il prend en compte le problème…

Jeudi 8 avril, Joe Biden s’exprime au public dans les jardins de la Maison Blanche. Discours plein d’enjeux. Le président annonce six nouvelles mesures dans le but de limiter la prolifération des armes à feu. L’objectif est de contrôler et contrebalancer la hausse des ventes due à la crise sanitaire. Mars 2020, face à la crise de la Covid-19, Donald Trump, ancien président républicain, incite l’achat de matériel de combat. Les ventes explosent au même titre que celles du papier toilette en France…

Le chef de l’Etat demande la réglementation des armes fantômes : armes artisanales, non référencées. Ces armes échappent à tous types de contrôles, elles sont intraçables par les autorités. La deuxième mesure concerne les armes de poing équipées d’un stabilisateur, la détention de tels objets va devenir plus stricte. Parmi ces six décrets, Joe Biden nomme David Chipman, ancien agent fédéral, au poste de directeur de l’Agence fédérale chargée du contrôle des armes, de l’alcool et du tabac.

En 4ème point, le président américain annonce que le département de la justice va piloter, pour la première fois, un rapport sur le trafic d’armes à feu aux USA. Puis, le ministère s’engage à préparer un modèle de législation afin de permettre le signalement, par des membres de la famille ou des forces de l’ordre, d’individus potentiellement dangereux. Dernière mesure, la Maison Blanche prévoit un investissement massif dans des programmes locaux de lutte contre la violence.

 

Obstacles et lassitude

En mars dernier, les Etats-Unis vivent de nouveau dans la peur et l’angoisse. Trois tueries en moins de deux semaines. Atlanta, Boulder, Los Angeles, qui sera la prochaine sur la liste ? Joe Biden apporte son soutien aux agences impliquées dans la lutte contre les violences mais ce n’est pas suffisant. Le gouvernement, le Congrès et le Sénat sont tenus de le suivre dans ses démarches. Depuis le 1er janvier de la nouvelle année, 4 000 personnes ont, d’ores et déjà, succombé sous les balles des armes à feu…

Une semaine seulement après son discours, dans la nuit du 15 avril, un tireur fait irruption dans un centre de tri postal d’Indianapolis. L’homme ouvre le feu à l’aide d’un fusil d’assaut, il tue huit personnes et en blesse cinq autres. Craig McCartt, un des responsables de la police à Indianapolis, déclare que l’assassin « a commencé à tirer au hasard […] avant de se donner la mort ». La violence détruit le pays. Face à cette tragédie, Joe Biden ordonne la mise en berne des drapeaux dans les bâtiments publics fédéraux.

 

Crédits : AFP

 

« Beaucoup trop d’Américains meurent chaque jour de la violence par arme à feu » déplore Joe Biden.

Le fléau des armes rattrape de nouveau les Etats-Unis. En 1994, alors qu’il n’était qu’un simple sénateur, Joe Biden participe à l’adoption d’une loi interdisant les fusils d’assaut. Mesure valide pendant dix ans qui n’a pas été renouvelée à cause de l’opposition virulente des Républicains. Les Américains sont tellement attachés à leurs instruments de combat, qu’il est difficile de les supprimer. La Constitution, elle-même, les y autorisent…

Le président, Joe Biden, ne peut qu’annoncer des « micro-mesures ». Le système fédéral constitue un obstacle à une régulation homogène du port d’armes. Les 51 Etats fédérés des Etats-Unis sont souverains, ils peuvent refuser l’application du droit fédéral par exemple. Le Congrès demeure, lui aussi, un véritable frein à la mise en place d’un plan de limitation des armes à feu. La législation sur les armes nécessite 60 voix sur 100, résultat inenvisageable à ce jour.

En mars dernier, la Chambre des représentants a adopté une loi pour élargir le contrôle des antécédents psychologiques et juridiques des acheteurs d’armes. Selon Didier Combeau, spécialiste des Etats-Unis, c’est une loi qui n’a aucune chance d’être votée. Il déclare : « Certains démocrates qui viennent d’Etats très ruraux voteraient contre ». Les pro-armes dominent le pays, a fortiori, ses lois. D’après les données du FBI, en 2007, 11 millions de vérifications des antécédents ont été réalisées lors de l’achat d’une arme à feu, contre 25 millions en 2017.

Didier Combeau confirme pour Libération, « Depuis la fin des années 90, ce sont plutôt les partisans des armes qui ont eu le dessus ». Être anti-armes aux USA semble complexe. La lassitude des démocrates grandit de jour en jour. Depuis le 20ème siècle, seules trois lois fédérales ont été adoptées. Paradoxe, certains Etats comme la Géorgie optent pour un élargissement du port d’arme et un renforcement des protections des magasins qui les commercialisent.

Joe Biden avance lentement, et a conscience des enjeux. « La violence par arme à feu dans ce pays est une épidémie, c’est une honte internationale » conclut-il.

 

Camille Juanicotena

 

Crédits photo : Andrew Harnik/AP/SIPA

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