Jeudi 7 janvier 2021, Camille Kouchner brise le silence et dévoile le secret qui hante sa famille depuis des années. L’avocate et juriste publie son livre, La familia grande. Elle accuse son beau-père, Olivier Duhamel, d’avoir commis des crimes incestueux sur son frère jumeau alors qu’il n’avait que 14 ans. Enquête.
Crédits : Stéphane de Sakutin, AFP
Camille Kouchner naît le 17 juin 1975 accompagnée de sa moitié qu’elle prénomme « Victor » dans son livre. Ce sont les enfants de l’écrivain et homme politique Bernard Kouchner et de la politologue Évelyne Pisier (décédée en 2017). En 1984, la fratrie subit le divorce de leurs parents et voit arriver un nouveau membre dans la famille : Olivier Duhamel, le beau-père. Pièce rajoutée quelque peu dépréciée par un certain nombre d’enfants. Lors de son entretien avec François Busnel pour La Grande Librairie, Camille Kouchner déclare, quant à elle, l’avoir beaucoup aimé.
Fin des années 1980, le frère de Camille Kouchner se confie à elle et lui demande de ne rien dire. Il lui crie sa souffrance et lui raconte les agressions qu’Olivier Duhamel lui fait subir. François Busnel la questionne sur ce moment tristement inoubliable : « Mon cerveau se ferme […]. Tous mes sens s’affolent […]. Je ne comprends pas ce qu’il me dit. ». L’autrice rappelle qu’elle n’avait que 14 ans au moment de la révélation, qu’elle ne connaissait rien à la sexualité. À ce moment-là, pour elle et son frère, aucun mot ne qualifie ce crime.
Perdue face à aux aveux de son frère, elle garde le silence sans jamais savoir si cela était un appel à l’aide… Trente ans plus tard, Camille Kouchner pousse son frère à parler à sa mère. Évelyne Pisier connaît maintenant toute la vérité et, pour autant, garde le secret pour protéger son mari et éviter tout scandale. Désolée de comprendre que sa mère ne ferait rien pour aider son frère, Camille Kouchner se renferme et déclare « J’avais au fond de moi une pierre dans le cœur […]. J’ai su que c’était grave. ».
En 2011, Marie-France Pisier, sœur d’Évelyne Pisier, est retrouvée morte dans une piscine. Une enquête est alors ouverte. Au cours des recherches, la justice découvre de multiples échanges de mails entre les sœurs Pisier qui évoquaient les agressions d’Olivier Duhamel. L’affaire éclate au grand jour. Victor a été entendu par la brigade de protection des mineurs mais n’a pas voulu porter plainte. L’affaire est alors classée sans suite faute de plainte de la victime.
À ce jour, le délai de prescription est achevé. La justice a, tout de même, rouvert une enquête pour « viols et agressions sexuelles par personne ayant une autorité sur mineur de 15 ans ».
Inceste, victimes, justice
L’affaire de la famille Kouchner montre la finesse du droit français et ses failles. S’agit-il d’un véritable inceste ? La question se pose car Olivier Duhamel n’a pas de lien de parenté biologique avec sa « proie » (propos de Camille Kouchner). Seule certitude, Victor a été victime d’un viol, crime puni de 20 ans de prison car aux moments des faits il était âgé de 14 ans.
Capture d’écran lors de l’entretien de Camille Kouchner pour la grande librairie avec François Busnel pour France 5
La loi française dit dans l’article 222-32-1 du code pénal « Les viols et les agressions sexuelles sont qualifiées d’incestueux lorsqu’ils sont commis par un ascendant ; un frère, une sœur, un oncle, une tante, un neveu ou une nièce ; le conjoint, le concubin d’une des personnes mentionnées aux 1er paragraphe et 2ème paragraphe ou le partenaire lié par un pacte civil de solidarité avec l’une des personnes mentionnées aux mêmes paragraphes, s’il a sur la victime une autorité de droit ou de fait ».
En ce qui concerne les droits de prescription, malgré les différentes lois qui ont permis d’allonger leur durée, les juristes expliquent que les faits concernant Victor ont été prescrits en 2003. Le 21 janvier dernier, le frère de Camille Kouchner a été entendu par les enquêteurs. L’inceste doit devenir une réalité. Lors de son entretien avec François Busnel, elle déclare avoir « pris la mesure de ce qui était arrivé à [son] frère ».
Publier son histoire est une manière de montrer à Olivier Duhamel tout le mal qu’il a fait à son frère, à sa famille, à elle. La familia grande porte un message universel, « L’inceste, l’emprise, la maltraitance sur les enfants c’est vraiment partout, dans tous les milieux » déclare-t-elle. Camille Kouchner raconte une histoire de famille singulière, le contexte dans lequel elle évolue n’est que peu important. Son livre met en lumière des faits graves dans le but de libérer la parole d’autres victimes.
Le 21 janvier, le Sénat a adopté en première lecture une proposition de loi promue par la présidente centriste de la délégation aux Droits des femmes Annick Billon : le droit d’ « un nouvel interdit : celui de tout rapport sexuel avec un mineur de 13 ans » sans que la question du consentement n’entre en compte. Éric Dupond-Moretti, Garde des Sceaux et ministre de la Justice, salue l’effort et souligne que toute modification de la loi pénale « doit être envisagée avec détermination mais prudence ».
Suite aux révélations de Camille Kouchner, le 13 janvier, des proches d’Olivier Duhamel ont démissionné de leurs fonctions : Marc Guillaume, préfet de l’Ile de France, Muriel Salmona, psychiatre, ou encore Élisabeth Guigou, ex-ministre socialiste. L’onde de choc produite par cette affaire incestueuse a permis de libérer la parole. Le député Bruno Questel témoigne et dit avoir été victime de viol dans son village corse lorsqu’il était enfant. Rodolphe Costantino, avocat : « Ces affaires-là ont le mérite, quand elles sont portées au grand public, d’offrir une prise de conscience collective de la réalité de l’inceste ».
Les crimes commis par Olivier Duhamel sur son frère ont anéanti Camille Kouchner. « Mon beau-père j’en ai fait quelque chose d’irréel […]. J’ai surtout évité de le regarder vivre ».
Camille Juanicotena
Crédits photo : Charles Kadri
Étudiante en M1 Nouvelles Pratiques Journalistiques à Lyon 2, mon but est de devenir journaliste. J’écris sur tout ce qui m’intéresse de la politique à la télé. Tout sujet est bon à traiter.